Débarquant à Paris après un long séjour professionnel au pays natal, un compatriote pas vu depuis belle lurette m’interpelle d'une manière qui nous est familière: « le pays, c’est comment là-bas »? Bien curieuse sensation m'assaillit à l’instant de rétorquer. Comment dire que rien ne va en affichant si bonne mine ? Ou ça va alors que mon esprit demeure accablé de scènes de misères toujours plus troublantes laissées derrière moi? Si seulement de là où ils nous regardent ZOLA ou HUGO pouvaient me prêter d’un peu de leur talent de conteur!

Au Cameroun, la mère isolée porte une seconde grossesse pour subvenir à l’allaitement du précédent bébé dont le père est porté disparu faute de pouvoir assumer quoique cela soit. Faire du sexe est le loisir le moins coûteux à la portée de chacun.

Au Cameroun, les pseudo centres de santé créés par des aides-soignants couverts par des médecins à la moralité douteuse conduisent au trépas des citoyens las de faire la tournée des marabouts et « hommes de Dieu » promettant de guérir SIDA cancer diabète et autres pathologies forcément lancées par le village. N’allez surtout pas vous agacez de cette crédulité collective ; "vous les benguistes vous dérangez" !

Au Cameroun, vous les verrez tous tirés à quatre épingles grâce aux rebus du Nord déversés au port de Douala ; mais habitent des taudis loués au prix fort par des marchands de sommeil sans le moindre scrupule. A grand renfort de propagande dans les médias d’État, les logements sociaux sont offerts aux plus modestes. Ne demandez surtout pas où sont construits ces logements et qui sont les plus modestes récipiendaires. Toujours est-il que les marchands de sommeil sont traqués par le fisc pour s’acquitter de l’impôt sur le revenu foncier.

Au Cameroun, le père la mère et les enfants se juchent sur une moto le matin pour vaquer. Chaque croisement d’une carrosserie de camion est une vision de la mort pour la petite famille. Ne dite surtout pas qu’un tel mode de transport est réservé aux amateurs de sensations fortes. "Dieu est au contrôle" ! Vous rétorquera-t-on.

Narration pessimiste d’anti patriote bien décidé à ternir l’image de la mère patrie. L’argument massue à l’usage des propagandistes qui saturent l’espace public. Mais qui sont-ils et d’où parlent-ils ?

Ce produit de l’ENAM rescapé de l’équilibre régional "familial" ou délesté de plusieurs millions pour accéder à une place de pitancier. Ce proviseur de lycée ayant hypothéqué plusieurs mois de salaire pour diriger un établissement dans lequel officient encore ces professeurs d’hier. Le soldat sauvé de la misère par un matricule qui lui vaut quelques sardines pour adoucir des fins de mois un peu compliquées. Parfois sortis de la misère obscure, ils occupent les villas luxueuses des bidonvilles abusivement qualifiés de quartier résidentiel ; roulent dans les épaves obtenues après une arnaque d’usager des services publics délabrés. Ont-ils la chance de se faire évacuer dans les formations hospitalières hors du pays pour échapper aux mouroirs locaux.  En sommes, des précaires qui s’ignorent.

Tous comme un seul homme magnifient leur bourreau de président, s’accommodent de leur misère et conspuent les esprits libres. Les souffrances multiples, les misères sociales atomisées plongent la société camerounaise dans un « maboulisme » imperceptible.

De la faillite morale du Cameroun! il en est ainsi de toute l’Afrique. Faut-il donc s’émouvoir et s’activer pour sauver ce peuple ? S’il s’agit de récompenser les mérites individuels des hommes, probablement pas. Simplement, si l’humanité est au-dessus de tout, nul ne saurait se désintéresser de cette tragédie sans perdre une part de son humanité. La coalition des forces progressistes qui dans la confusion peut-être, œuvre pour le changement au Cameroun n’en a donc que plus de mérite.