Cameroun: Le « matango » a trouvé son couloir  à Santchou
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Cameroun: Le « matango » a trouvé son couloir à Santchou :: CAMEROON

Une ruelle de la petite ville s’est transformée en haut lieu de consommation de cette boisson.

Dans la quête du bonheur enivrant, les Camerounais ont créé des « rues de la joie ». Sortes d’espaces bizarres et peu attrayants le jour, mais où curieusement à la nuit tombée, bien de personnes respectables se ruent, à la recherche de plaisirs factices et des sublimations les plus insolites. La réalité change selon les villes, avec une constante : on y mange et on boit ; on peut danser et trouver des belles-de-nuit avec qui se livrer à une belle gymnastique nocturne. Du moins pour ce qui est de la ville.

En zone reculée, les délices peuvent prendre une autre configuration. A Santchou, dans la Menoua, une « rue de la joie» existait bien avant cette mode et n’est pas prête de s’essouffler. Si ailleurs, on boit la bière et ses dérivés, ici on voue un culte particulier au « matango », le vin blanc. Si dans les villages à l’entour, le jour du marché est
un moment privilégié pour déguster le vin blanc, cette petite ville dispose d’un des marchés les plus vastes et les plus constants. Bâti sur plus de 60m de long, sur la rue contiguë à celle qui dessert l’hôtel de ville local, derrière ce qui tient lieu de gare routière, la rue de la joie s’est inscrite en lettres d’or mais aussi de sang dans l’imaginaire des populations de la contrée.

En pleine ville, non loin des services publics mais dans des baraquements de fortune, des femmes enivrent leurs clients de jour comme de nuit, au point d’abrutir certains, qui n’ont désormais pour seule vocation que de boire. Les esprits bien-pensants l’appellent « le couloir de la mort ». La rue de la joie s’articule autour de 12 hangars construits en matériaux provisoires et 4 box isolés pour les buveurs vip, à l’intérieur du marché qui ne cesse de s’étendre.

Tout indique que le constructeur n’a pas eu besoin d’architecture. Tout ce qui lui est tombé sous la main a été utilisé : du bois mal scié, des tiges de bambou, du papier plastique et des vieilles tôles. Là où ils s’arrêtent, le reste de la baraque est recouvert de paille. En cette fin de saison de pluies, les mares d’eau et la nappe verte qui les recouvre depuis que les rayons de soleil sont sortis n’intéressent pas les fins dégustateurs, sortis par groupuscules pour partager le « matango ».

Bien d’histoires sont racontées autour de ce liquide blanc, qui nappe des gobelets de grande et moyenne dimension.

Par endroits, ces outils de Blanc sont remplacés par des demi bouteilles d’eau minérale, coupées pour avoir un volume d’un litre.

Sec ou dilué

Le vin prisé ici est celui du dattier, le « menag ». « Les dattiers sont de minces arbres mais ils sont plus solides qu’un chevron », rassure Raudel Ngoufack, un natif du coin. La zone possède cette espèce végétale effilée, proche des palmiers et les vignerons bravent es marécages d’Essekou et les montagnes de Fonguetafou, Bebong, Nfontsam, Mokelewoum, Singam, etc. pour assurer à ce marché un fonctionnement quotidien. Le « menag» se boit en trois tons : le sec, le demi-sec et le dilué.

Selon une tenancière, il faut 10 litres d’eau pour diluer un bidon de 20 litres de « menag » accessible aux faibles et aux buveurs pauvres. « Le torrent », selon leur terminologie. Par contre, 5 litres permettent de le rendre bon. Mais les spécialistes préfèrent le sec, qui garde toute sa saveur naturelle.

Les prix varient de 150 à 250F le litre. Le processus, de la vigne à la gorge, obéît à des manipulations chimiques. Dans chaque buvette, il existe un fût dans lequel le vin collecté aux vignerons est mixé à de l’eau et certaines racines pour devenir digeste. Un bâton permet de le remuer avant de servir, pour disloquer les nappes qui ne manquent pas de se former au fond. « Des racines doivent être introduites dans le vin, pour en assurer la conservation.

En zone de montagne, les vignerons utilisent le raisin pour garder la qualité du vin et lutter contre les indigestions », explique « Ma’a Sous » de son surnom (elle est l’épouse d’un ex-employé de la sous-préfecture).

Selon les connaisseurs, le vin mal fermenté occasionne des diarrhées chroniques.

Le 3 novembre 2016, plus de 120 citoyens ont décidé d’étancher leur soif en même temps, sur une surface de 200m², par le liquide blanc. Ce soir, il y a tellement de clients que les vendeuses chahutent ceux qui boivent doucement et ne veulent pas céder la place. Par les prix pratiqués, la rue de la joie est le repère des anciens fonctionnaires et des gagne-petit. 8 sur 10 buveurs sont issus de ces deux catégories sociales.

A la tombée de la nuit, les ouvriers champêtres, pour la plupart originaires du Nord-Ouest anglophone et appelés pour cela « Bamenda » se déversent par grappes entières dans ces buvettes. Ils finissent leurs laborieuses journées de travail sur des banquettes fixées dans la véranda.

Les jeunes chômeurs qui veulent noyer leurs soucis complètent la bande, parce qu’un contrôle strict n’est pas organisé sur la bouteille. En grappillant ici et là, ils finissent par avaler plusieurs verres de vin qui, disent-ils, vont faciliter leur sommeil. « Quand ils boivent et deviennent saouls, ils dorment et au moins nous laissent tranquilles. Sans cet espace, il y aurait beaucoup de crimes dans la ville », se satisfait Georges Elongue.

Le coin de tous les potins

Mais il existe également des antichambres où on consomme des breuvages plus forts. En effet, le « menag » est complété par l’autre matango, le vin de palme ainsi que le « shah », le vin de maïs. Distillée sur placepar des femmes venues duNord-Ouest, cette boisson alcoolisée qui existe en deux versions : sweet et strong, est consommée prioritairement à l’intérieur des baraques, sur un mobilier tout aussi précaire, accompagnée de virulentes gouttes d’odontol. Cet alcooltraditionnel importé du Moungo ou du Nord-Ouest est présenté par de nombreux consommateurs comme un « renfort » salvateur, devant la faible teneur en alcool du vin blanc.

Vendu discrètement, le « shah », pour ses consommateurs, est incontournable lorsqu’on veut « se sentir à l’aise ». Même s’il brise leur vie.

Couloir de la mort donc ?

« Tous ceux qui boivent le matango dans ce coin boivent leur cerveau. Quand ils ont commencé, il devient difficile de faire un quelconque programme avec eux », regrette Idrice Milat. L’addiction, explique-t-il, conduirait à l’oubli de soi et à la paresse, puis au bavardage. Le coin est localement connu comme le repère des commères. « Si votre femme s’amuse avec le voisin et que vous voulez savoir ce qu’ils font, il faut seulement venir à la rue de la joie. De même, quand on vend un champ, un terrain ou une maison, c’est ici que l’information filtre.

Il ne faut pas lier certains coups de vol au hasard. Les acheteurs y viennent souvent chercher des offres », témoigne un connaisseur. La vie détaillée des agents de l’Etat, la carrière des autorités, les dernières frasques des élites, les bandits de la ville et leurs éventuelles cibles, tout y passe.

Ces gens seraient tellement renseignés que les éléments des renseignements généraux ne manquent pas, malgré sa laideur extérieure et sa puanteur régulière, de faire des tournées
intéressées en ces lieux, notamment à la veille d’échéances électorales.

Ville cosmopolite, Santchou est caractérisée en ces moments par une effervescence tribaliste, qu’il faut parfois comprendre pour y vivre. Le service d’hygiène de la mairie ne voit pas ces verres qu’on lave à l’eau sale ou ces gaillards qui se lèvent pour pisser dans le caniveau, les agents du fisc viennent régulièrement les racketter en percevant des sommes qu’ils ne reversent jamais au trésor.

Peu importe ce qu’on en pense, le matango nourrit desfamilles. Ces femmes qui louent les baraques à des prix variant entre 7 et 10.000F sont la cheville d’une nombreuse progéniture qu’elles nourrissent, soignent et envoient à l’école.

Installées dès 7h du matin, elles ferment généralement au-delà de 21h et plus tard encore si la pluie bloque des clients dans la buvette. Ma’a Victo, l’une d’elles, y officie depuis une vingtaine d’années et n’est pas prête à abandonner. Au contraire, elle s’est récemment excentrée pour ouvrir une vente à emporter. Pas tant parce que la bière rapporterait davantage, mais pour capter l’importante clientèle des non-buveurs de matango qui marche souvent avec ses clients et les détourne.

Sorcellerie

Le soir venu, les amateurs de bon vin, du « bon sec » la retrouvent pour communier avec d’autres dans un espace plus salubre et fréquentable. Quelques rares morceaux de gibier accompagnent parfois cette activité qui nourrit au quotidien sept personnes. Une persévérance qui ne laisse pas indifférent. Beaucoup de ses « consœurs » l’accusent, d’user de pratiques mystiques pour capter et fidéliser la clientèle.

Ici, un buveur rapporte qu’ils ont retrouvé l’année dernière une couche de bébé au fond de la marmite d’une préparatrice de « shah ». Saleté, accident ou magie noire ? La messe est dite : « Ces femmes ne sont pas simples. Elles dorment quand ? Leurs enfants réussissent à l’école plus que les nôtres alors qu’elles n’ont même pas le temps de les suivre ». Leur capacité de manipuler l’opinion publique grâce aux vraies/fausses informations diffusées dans leurs bistrots fait d’elles des femmes redoutables.

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