Un an après Eséka : Aucune indemnisation aux familles des victimes décédées
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Douze mois après la catastrophe ferroviaire qui a officiellement fait 79 morts et plus de 600 blessés, les procédures judiciaires n’ont apporté que peu de réponses aux familles des victimes, dont certaines cherchent toujours des proches disparus.

21 octobre 2016. Le jour s’est levé comme d’habitude sur le Cameroun. Il y a un moment que le train de voyageurs 152VE a quitté Yaoundé à destination de Douala. Il a cinquante minutes de retard et ses rames sont bondées de monde. A cause de l’effondrement d’une buse sur l’axe routier qui relie les deux villes, de nombreux usagers se sont rabattus devant les guichets de Camrail. Les tickets se sont arrachés. Certains n’ont même pas de place assise. Soudain, 11h15. La locomotive trainant plusieurs wagons derrière elle s’ébranle. Puis, la communication se coupe. Le silence dure. Il est 12h45 lorsque l’Inter City aborde une légère pente descendante d’une longueur de sept kilomètres. Une courbe se présente alors que le compteur de la vitesse indique 96 kilomètres par heure. Depuis 2014, les autorités ferroviaires y ont pourtant limité la circulation des trains à 40 kilomètres par heure, pour un mauvais état de la voie. Mais, en ce jour, le conducteur, ne parvient pas à réduire le train dans sa course d’enfer.

Surchargé,  handicapé par des défaillances de freinage, le convoi s’emballe. Et à la sortie d’une première courbe, les voitures de queue se détachent et chutent violemment dans un ravin. Deux cents mètres plus loin, une deuxième courbe, puis un affaissement de la voie portent un nouveau coup à l’Inter City, toujours lancé dans sa course folle. Onze wagons se détachent à leur tour et seuls restent sur les rails, la voiture 1323, le générateur 731 et la locomotive 3007, qui finissent par s’immobiliser quelques kilomètres plus loin, après la gare d’Eseka. Bilan officiel : 79 morts et plus de 600 blessés.

À la recherche des proches

Il y a un an que le drame s’est produit. Et pourtant, les chiffres cristallisent toujours les ressentiments des intimes de victimes. Parmi elles, beaucoup sont toujours à la recherche de leurs proches disparus, qui n’ont plus donné signe de vie depuis la catastrophe. Une « procédure en recherche de disparus » a été lancée en mai 2017 par leurs avocats devant le tribunal de première instance de Douala, en assignant Camrail et son actionnaire majoritaire, le groupe Bolloré. L’affaire est toujours en suspens alors que les victimes ont saisi le ministre de l’Administration territorial et de la Décentralisation, René Emmanuel Sadi. Sans succès. A Eseka, l’enquête judiciaire ouverte par le paquet général du Centre a abouti au renvoi de cadres de Camrail devant le tribunal de première instance de la ville.

Mais, lors de la dernière audience, le 11 octobre dernier, « ni l’ancien directeur général de la société ferroviaire, Didier Vandebon (qui a démissionné depuis), ni son successeur Michel Roussin, ne se sont présentés et les procès-verbaux de l’enquête réalisée sur la catastrophe n’ont toujours pas été versés au dossier », indique Jeune Afrique. L’affaire a donc été « renvoyée au 8 novembre prochain », renseigne le magasine panafricain.

« Le moins que l’on puisse observer est que, pour le moment, seuls des troisièmes couteaux écument le banc des accusés », déplore Michel Janvier Voukeng, un des avocats des familles de victimes. « Il y manque cruellement les hommes de l’affaire, puissants et connus de tous », ajoute le juriste camerounais, qui se débat depuis douze mois dans des procédures jusqu’en Europe.

Des instructions en Cours en France

En France, les conseils des victimes, également appuyés par le Comité de libération des prisonniers politiques et le Syndicat professionnel des conducteurs de train du Cameroun, y ont déposé des plaintes pour « tentative de meurtre », « homicide involontaire », « mise en danger d’autrui », « blessures involontaires » et « non-assistance à personne en danger », avec pour cible le groupe Bolloré et les autres actionnaires de Camrail, dont Total. Des instructions sont en cours, mais elles stagnent, sans doute faute d’avoir reçu les procès-verbaux des enquêtes réalisées au Cameroun.

Entre temps, l’indemnisation des familles des victimes a débuté. La société Camrail a proposé des sommes d’argent et des remboursements d’objets de valeur perdus dans la catastrophe. Et officiellement, des accords ont été trouvés avec les proches de 36 des personnes décédées. « Mais des familles ont choisi de refuser, jugeant les offres dérisoires », poursuit Jeune Afrique qui confie que Michel Janvier Voukeng avait estimé le montant de la somme à accorder à ses clients à près de 3 millions d’euros (environ 1 milliard 965 millions de francs CFA), espérant « obliger le groupe Bolloré et ses assureurs, notamment l’Italien Generali, à prendre en main le dossier ». En réponse, Camrail aurait proposé 260 000 euros (environ 170 300 000 francs CFA), et a dénoncé « les pratiques de certains agents et collectifs d’avocats qui, agissant à des fins mercantiles, bloquent toute discussion ».

Indemnisation : où En est-on ?

Pourtant, 1 200 dossiers d’indemnisation ont été enregistrés à Camrail, annonce son président de Conseil d’administration, Aboubakar Abbo. Dans le détail, 590 dossiers de personnes blessées ont donné lieu à des avances de fonds pour préjudices sociaux et de remboursements de frais médicaux. 716 demandes de remboursement suite à des pertes matérielles diverses ont fait l’objet d’indemnisations définitives. 35 dossiers de personnes blessées ont donné lieu à des avances.

« A ce jour, a-t-il révélé à Cameroon Tribune, sur 332 blessés évalués, 253 rapports définitifs d’évaluation ont été rendus. Les 79 autres ont pour le moment été déclarés non consolidés ». Concernant les victimes décédées, « 72 dossiers ont déjà été ouverts et la situation à ce jour montre que des accords sur proposition d’indemnisation ont été mis en œuvre pour 36 victime tandis que 27 dossiers sont en cours de discussions avancées, et que 5 dossiers sont en cours de constitution documentaire par les familles », poursuit-il.

De son côté, le chef de l’Etat camerounais lui, s’est engagé à verser une dotation d’un milliard de francs CFA aux victimes et les conditions de la répartition de la somme doivent être rendues publiques prochainement. En outre, le 23 mai dernier, la présidence publiait le rapport de la commission d’enquête dirigée par le Premier ministre pointant Camrail, qui en a rejeté les conclusions, comme le principal responsable du déraillement.

Non sans oublier de mettre en lumière la responsabilité des pouvoirs publics camerounais comme les ministres de l’Administration territoriale et de la Décentralisation (Minatd), de la Santé publique, et surtout des Transports. Les résultats de l’enquête parlent d’une surcharge du convoi et d’une rallonge inappropriée de la rame ; de la défaillance du système de freinage ; de l’utilisation d’une motrice dont le freinage rhéostatique était hors de service ; de l’absence de vérification sérieuse de la continuité du freinage de la rame avant son départ de Yaoundé ; du refus de la hiérarchie de Camrail de prendre en considération les réserves émises par le conducteur du train.

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