Gabon : l'opposant Jean Ping compte sur le soutien de la France
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Gabon : l'opposant Jean Ping compte sur le soutien de la France

Confusion et violences se sont installées au Gabon depuis la proclamation officielle des résultats de l’élection présidentielle du 27 août 2016. Ali Bongo est donné vainqueur avec seulement 5.000 voix d'avance sur l'opposant Jean Ping. Ce dernier compte aujourd'hui sur l'appui de la France.

Confusion et violences se sont installées au Gabon depuis la proclamation officielle des résultats de l’élection présidentielle du 27 août 2016, donnant Ali Bongo Ondimba gagnant, de justesse, contre Jean Ping. Deux versions s’affrontent dans un scénario qui était largement prévisible et redouté. Bongo Ondimba, président sortant, dit avoir gagné à la loyale. Jean Ping l’accuse d’avoir triché dans la province du Haut-Ogooué, où le taux de participation a été, selon les résultats de la commission électorale, exceptionnellement élevé. Alors qu’il est de 59,46 % sur le plan national, il a été de plus de 99 % dans cette province, dont est originaire la famille Bongo.

Ping étant en tête dans les huit autres provinces, c’est donc le Haut-Ogooué qui a donné la victoire à Ali Bongo Ondimba, dit aussi « ABO ». Lors de la précédente présidentielle, en 2009, il s’était passé la même chose : le taux de participation dans le Haut-Ogooué avait été plus élevé qu’ailleurs, et le score attribué à ABO était de 90 % dans cette province. L’opposition avait crié à la fraude, le camp Bongo avait répliqué en mettant en avant le chiffre, lui aussi exceptionnel (81 %), obtenu par l’un de ses principaux concurrents de l’époque, André Mba Obame, dans sa province d’origine, le Woleu-Ntem.

Pour expliquer le résultat du Haut-Ogooué, un haut fonctionnaire explique aujourd’hui : « Ces gens (du Haut-Ogooué) ont vécu le pouvoir comme leur chose. Tant qu’ils auront l’impression de tout perdre du jour au lendemain, ils feront bloc. »

Au final, le résultat officiel de cette élection donne une victoire très courte à ABO, 57 ans : il a été crédité de 49,80 % des suffrages exprimés, contre 48,23 % pour Ping, soit seulement 5 000 voix d’écart! Comme en 2009, des partisans de l’opposition, qui rêvent d’une alternance après quasiment cinquante ans de pouvoir de la famille Bongo et d'une gestion souvent familiale des ressources nationales, n’ont pas attendu que leur candidat utilise les voies légales de contestation pour protester dans la rue.

Dès que le verdict a été prononcé mercredi en fin de journée par la commission électorale, des émeutes ont éclaté dans Libreville, accompagnées de pillages et d'incendies. Les bâtiments de l’Assemblée nationale, notamment, en ont fait les frais. Vendredi matin, les violences se poursuivaient et le ministre de l'intérieur a annoncé que plus d'un millier de personnes avaient été interpellées dans tout le pays.

L’épisode qui a suivi cette flambée de violences a été la réplique du pouvoir en place : les forces de sécurité ont attaqué dans la nuit de mercredi à jeudi le QG de campagne de Ping, à Libreville.  « Convaincu du soutien de la France, Ping a lancé les émeutiers dans la rue. Les forces de sécurité n’ont pas d’autre choix que de rétablir la sécurité de tous. Elles ont investi dans la nuit le QG de Ping d’où partaient et revenaient les émeutiers », justifie une source proche des autorités. Deux personnes ont été tuées dans cette opération armée, selon l’opposition. Le pouvoir a par la suite évoqué trois morts. Plusieurs cadres de l’opposition ont été interpellés dans les heures suivantes, dont René Ndemezo’o Obiang, directeur de campagne de Ping.

Ping, 73 ans, qui n’était pas présent à son QG lorsqu’il a été pris d’assaut, se refuse depuis à lancer tout appel au calme. « Quel appel puis-je lancer ? Vous ne pouvez pas appeler à la raison dans une situation comme celle-là. C’est la population qui manifeste, qui brûle l’Assemblée nationale, pas les militants de Jean Ping. Les militants sont gazés, arrêtés, emprisonnés : ils ne peuvent plus manifester », a-t-il confié à Libération.

En réalité, l’opposant compte sur une intervention extérieure pour remporter le bras de fer engagé contre l’oncle de ses enfants – Ping a eu deux enfants avec une sœur d’ABO, Pascaline Bongo. La voie légale a en effet peu de chance de lui réussir si l'on se fie, une fois de plus, aux événements de 2009 : les recours déposés par des candidats pour contester la victoire d’ABO avaient été tous rejetés par la Cour constitutionnelle. À l’époque, les concernés fulminaient à propos des liens de la présidente de cette cour avec la famille Bongo (elle est la mère de deux enfants d’Omar Bongo, le père d’ABO qui a dirigé le pays pendant quarante et un ans jusqu’à sa mort en 2009). Mais ils ne l’avaient pas récusée formellement. Il faut préciser que des cadres de l’opposition d’alors étaient aussi apparentés aux Bongo : la fille de l’un d’entre eux, Zacharie Myboto, a par exemple eu elle aussi un enfant avec Omar Bongo.

Ping, qui a été pendant longtemps l’un des piliers du régime d’Omar Bongo et complice de ses magouilles, appelle donc la « communauté internationale » à l’aide, « car nous avons affaire à un véritable tyran qui tire sur sa population et qui casse tout (…) La communauté internationale intervient, normalement, chaque fois que ce genre de situation se produit ». Bien qu’ancien patron de l’Union africaine, il compte plus spécialement sur la France, l’ex-puissance coloniale qui a une base militaire à Libreville. « J’ai eu plusieurs fois Jean-Marc Ayrault au téléphone pendant la nuit, il parle lui aussi d’appel au calme : c’est son rôle », a-t-il expliqué à Libération.

Le soutien de Paris lui est visiblement acquis. L’Élysée a appuyé sa demande de recompter les voix bureau par bureau. La présidence française a en effet déclaré jeudi : « Le président appelle toutes les parties à la retenue et à l’apaisement, ce qui suppose un processus garantissant la transparence sur les résultats du scrutin ». Auparavant, le ministère des affaires étrangères avait estimé que « les conditions de l’annonce des résultats de l’élection présidentielle au Gabon sont une source de préoccupation ».

La crise dépasse largement le seul cadre gabonais et franco-gabonais

Le retournement de situation par rapport à la présidentielle de 2009 et toutes celles qui l’ont précédée est exceptionnel et digne d'être souligné. Jamais, en effet, les autorités françaises n’ont fait de telles déclarations, bien que le contexte ait été similaire. En 2009, Paris avait été au contraire régulièrement accusé par des opposants de soutenir Ali Bongo, avant que les relations ne se dégradent par la suite. Il doit y avoir tout de même en ce moment une légère schizophrénie au plus haut sommet de l’État français : les forces de sécurité françaises et leurs homologues gabonaises ont des accords de coopération étroite toujours en vigueur, la France n’ayant jamais cessé d’assurer la formation de militaires et de policiers gabonais ces dernières années.

Pour le camp ABO, il s’agit évidemment de tout faire pour mettre fin à la contestation dans la rue, afin d’éviter que des troubles plus importants n’aient lieu et ne justifient l’intervention étrangère attendue par Ping. L’entourage d’ABO se dit bien sûr contre toute « ingérence étrangère », avec en ligne de mire la France. « Les pressions internationales doivent tenir compte de la loi gabonaise : ce ne sont pas elles qui vont la changer », a dit jeudi le porte-parole d’ABO et ministre de la communication, Alain-Claude Bilie-By-Nze.

Le Parti socialiste français, qui a pris parti contre ABO dès dimanche, « était sûr que Ping allait envoyer des mallettes pour l’élection présidentielle de 2017 » en France s’il parvenait à la présidence, grince au passage un bon connaisseur des relations France-Gabon. La politique française n’est décidément jamais loin de celle du Gabon et vice versa, a d’ailleurs lui-même rappelé Ping, pendant sa campagne électorale : « Ali Bongo est la chose de Sarkozy et de Guéant. Ils l’ont fabriqué », a-t-il notamment dit.

La crise dépasse largement le seul cadre gabonais et franco-gabonais : il y a aussi des implications de pays africains. La veille de la proclamation des résultats, le ministre de la communication et porte-parole du candidat ABO a ainsi accusé un conseiller du président ivoirien Alassane Ouattara de complot avec Ping, écoutes téléphoniques à l’appui. Ping a nié, mais a été contredit par Ouattara qui a aussitôt annoncé le limogeage de son conseiller, Mamadi Diané.

En Afrique centrale, chacun des candidats a aussi des soutiens. Ping a celui du chef de l’État congolais, Denis Sassou Nguesso, et du président équato-guinéen, Teodoro Obiang Nguema, qui appuyaient déjà André Mba Obame contre ABO en 2009. Selon une source camerounaise, le président du Cameroun, Paul Biya, est lui du côté d’Ali Bongo. En 2009, il avait joué un rôle important : après la mort de Bongo père, il avait fait le médiateur entre Ali Bongo et sa sœur, Pascaline Bongo. Tous deux se voyaient briguer la présidence, et il avait convaincu Pascaline de se retirer de la course.

Par la suite, Biya avait envoyé des militaires camerounais lors de la crise postélectorale opposant ABO à André Mba Obame pour prêter main-forte au fils Bongo. Cette fois encore, il a, semble-t-il, fait partir 400 soldats chez son voisin pour l’aider de nouveau. Pour Biya, le contexte a aussi changé par rapport à 2009 : il n’est plus en odeur de sainteté dans les cercles du pouvoir français, tout comme ABO.

Les événements gabonais sont évidemment très suivis en Afrique, notamment en Côte d’Ivoire, qui a aussi connu une grave crise postélectorale en 2010-2011. Beaucoup d’Ivoiriens se moquent d’ailleurs de Ping : lors du conflit ivoirien, il était président de la commission de l’Union africaine et faisait partie de ceux – avec la France et l’ensemble de la « communauté internationale » –  qui avaient refusé le recomptage des voix réclamé par le président Gbagbo. Sur les réseaux sociaux, des internautes rappellent l’une de ses déclarations de l’époque : « On ne reviendra pas en arrière. Pas de recomptage des voix parce que Gbagbo a perdu les élections. »

D’autres font mine de s’étonner que la France réagisse à propos du cas gabonais, alors qu’elle s'est peu, ou pas, manifestée (tout comme les médias français) lors de la réélection très contestée en avril 2016 au Tchad de Idriss Déby – le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, s’était plutôt déplacé pour assister à l’investiture de Déby – et de celle de Denis Sassou-Nguesso en mars 2016. Mais personne n’est dupe : tout est évidemment affaire d’intérêts, comme toujours en Françafrique.

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