Le scandale des comptes d’affectation spéciale
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Pour la seule année 2013, plus de 40 milliards de francs CFA alloués à ces comptes «hors budget» ont disparu de la comptabilité finale de l’Etat.

Le premier rapport de certification du compte général de l’Etat de la Chambre des comptes (CDC) du Cameroun est un camouflet pour le gouvernement. Contenu dans le rapport annuel 2014 de la chambre, distribué aux parlementaires lors de leur session du mois de juin dernier, il porte sur l’exercice 2013. Dans ses conclusions, le document indique que «le compte général de l’Etat de l’exercice 2013 tel que produit, ne se prête pas à la certification». En clair, pour le juge des comptes, les états financiers de cet exercice ne sont ni «réguliers» ni «sincères» et ne donnent non plus «une image fidèle de la situation financière de l’Etat».

Parmi les éléments qui motivent la décision de la chambre, il y a le fait que «les incertitudes sur certains comptes n’ont pas pu être levées en l’absence de circularisassions». Au rang des comptes sujet à caution, figurent les comptes 902 encore appelés comptes d’affectation spéciale (CAS).

«Sur une dotation initiale totale de 95 300 000 000 de francs CFA, pour les treize (13) comptes d’affectation spéciale ouvert pour l’exercice 2013, les recettes ont été réalisées pour un montant de 94 157 796 220 francs CFA tandis que les dépenses ont été exécutées pour un montant global de 53 773 901 895 francs CFA, soit un excédent de 40 383 894 325 francs CFA qui n’a pas été intégré au résultat général conformément aux dispositions de l’article 32 (3) de la loi n°2007/006 du 26 décembre 2007 (partant régime financier de l’Etat)» (voir tableau 1 ci-dessus), révèle la juridiction financière dans son avis sur le projet de loi de règlement 2013, toujours contenu dans le rapport annuel 2014.

Fonds routier

Les inquiétudes sur le sort réservé à ces 40 milliards, composés d’une part d’excédents de recettes voir (tableau 2 page 11) et d’autre part de reliquats de budgets non consommés, se font grandes lorsqu’on se rappelle que dans son rapport annuel 2012, la CDC faisait déjà observer qu’«aucune disposition légale ou réglementaire ne fixe la destination de l’excédent des ressources mobilisées par rapport au plafond arrêté d’une part, et sur les reliquats des ressources non consommées d’autre part».

La juridiction financière recommandait alors qu’«à défaut des dispositions statutaires ou légales en la matière, les clarifications soient toujours apportées sur l’affectation des recettes excédentaires des comptes d’affectation spéciale». Cette recommandation n’est toujours pas effective, du moins pour l’ensemble des comptes 902.

La situation est davantage critique pour près de 32 milliards de francs CFA représentant une partie de ces excédents. Cette somme est le solde au 31 décembre 2013 d’un seul des CAS. Il s’agit de la Redevance d’usage de la route (Fonds routier). Car ce compte à disparu de la loi de finance 2014. Et aucune ligne de ce document n’explique ce que l’argent est devenu. En 2012 déjà, le Fonds routier a accumulé  d’importants excédents.

La Taxe spéciale sur les produits pétroliers (TSPP) de la Redevance d’usage de la route encaissée par le Trésor public s’est élevée à plus de 83 milliards francs CFA (83 058 460 255 exactement) pour cet exercice alors que la loi de Finances avait limité le plafond de la redevance devant alimenter le budget du Fonds routier à 55 milliards engendrant ainsi un excédent en recette de plus de 28 milliards (28 058 460 255 exactement). Et à peine 2,33 milliards avaient été dépensés entrainant un reliquat de ressource non consommées de près de 52,66 milliards. Dans la loi de finances 2014 adoptée au Parlement en fin d’année 2013, il est dit que l’excédent en recette «a été reversé dans le compte unique du Trésor pour le financement du budget de l’Etat»; et pour ce qui est du reliquat de ressources non consommées, le document se contente «de préciser que plusieurs grands travaux engagés en 2012 verront leur réalisation définitive au cours de l’exercice 2013 en l’occurrence».

Tous ces travaux ont-ils absorbé les près de 52,66 milliards de reliquat de ressources non consommées au 31 décembre 2012? Rien n’est sûr. Une chose est certaine, seul un audit du Fonds routier, dont les ordonnateurs sont les ministres des Travaux publics, des Transports et du Développement urbain et de l’Habitat, est nécessaire pour avoir le coeur net.

Détournements

En plus des excédents, la CDC a par ailleurs tablé sur la régularité des dépenses des comptes 902 de l’exercice budgétaire 2013. Selon l’article 26 alinéa 1 de la loi de 2007 sur le régime financier de l’Etat, ces comptes «retracent, dans les conditions prévues par une loi de finances, des opérations budgétaires financées au moyen des recettes particulières qui sont par nature en relation directe avec les dépenses concernées».

Or, il ressort de l’examen du juge des comptes que près de 5 milliards de franc CFA de dépenses exécutées dans certains CAS n’ont pas de lien directe avec les ressources (voir tableau 2 page 11). Pire, certains de ces comptes ont supporté le paiement des salaires et autres indemnités diverses. Pourtant l’article 32 alinéa 1 de la loi portant régime financier de l’Etat interdit «d’imputer directement à un compte spécial, des dépenses résultant du paiement des traitements, salaires, indemnités et allocations de toute nature».

A l’Inspection nationale des services du Trésor à la direction générale du Trésor et de la Coopération Financière et Monétaire (DGTCFM), on soutient que ces dépenses peuvent être assimilées à des détournements. Nomenclature du Trésor public sous les yeux, un fonctionnaire rompu au contrôle de la dépense publique explique: «Les comptes d’affectation spéciale permettent de retracer les ressources et les financements de certains immobilisations incorporelles et corporelles ou financières grâce à ces ressources obtenues à l’échelon local et à l’extérieur, selon l’intention du donateur. Donc c’est l’intention du donateur qu’on questionne. Et dès qu’on n’a pas fait ce que le donateur veut, alors on a détourné de l’argent».

Et de poursuivre: «Ce que la Chambre des compte doit donc faire, c’est de dresser un procès-verbal constatant les opérations des comptes d’affection spéciale qui ne correspondent pas à la volonté du donateur. Car en fait, un tel document sert déjà de base de mise en jeu de la responsabilité de ceux qui ont ordonné ces dépenses. Là, le procès ne dure même pas trois mois et on vous condamne. Mais si elle ne le fait pas, ça restera sans conséquence».  

Complaisance

Pour ce qui est des excédents, on estime ici que la CDC n’a pas achevé le travail. «La Chambre des comptes qui est juge des comptes aurait dû nous dire de quoi résulte cette non intégration au résultat général (du détournement?). Et pour le savoir, la chambre aurait dû dépêcher ses auditeurs auprès des comptes d’affectation spéciale ouverts en 2013 pour qu’on leur ressorte la situation et qu’ils saisissent même les registres de suivi de ces comptes (parce que chaque compte d’affectation spéciale est adossé sur un registre qui retrace les opérations qui entrent et celles qui sortent)» explique un auditeur de ce service.

Cela est d’autant plus nécessaire,  indique-t-il, que les comptes 902 sont des comptes hors «budget principal ». «Et il faut le faire le plus rapidement possible pour ne pas s’entendre dire plus tard que les registres ont disparu», ajoute l’un de ses collègues. Dans son rapport annuel 2014, la juridiction financière avoue en effet n’avoir pas «pu collecter d’élément probant des observations faites sur les états financiers».

«La vérification sur pièce n’a pas pu être effectuée en l’absence des vérifications «intérimaires» au cours de l’exercice, et en raison des délais réduits de la mission de certification», se justifie-t-elle. Un inspecteur du Trésor à la retraite qualifie ces explications de la CDC de «faux alibis pour se donner bonne conscience». Pour ce dernier, la réalité est que «les comptes hors budget sont considérés comme des comptes spéciaux du chef de l’Etat. C’est lui qui suit ça».

«Ici, aux Finances, indique d’ailleurs une source, on contrôle tout sauf ça». Et d’illustrer: «Tout le désordre qu’il y a au compte d’affection spéciale pour le soutien de la politique culturelle, tu crois que les gens sont allés voir ça? Mouelle Kombi a écrit, mais personne ne peut aller làbas. Comme le ministre des Finances (Minfi) n’est pas d’accord avec les comptes hors budgets (puisque lorsqu’on crée un compte hors budget, on dessaisit en fait le Minfi, qui est ordonnateur principal du budget de l’Etat, de ses prérogatives).

Ça fait que, il ne s’occupe pas de ça. Donc, Il n’envoie même pas les gens contrôler(…) En plus, on considère que quand le Président crée un compte d’affectation spéciale, c’est qu’il veut faciliter la tâche à quelqu’un» En effet, moins de trois semaines après sa nomination le 02 octobre 2015 comme ministre des Arts et de la Culture (Minac), Narcisse Mouelle Kombi écrit à Alamine Ousmane Mey pour solliciter un audit du Minfi sur ce compte 902 dont le Minac est l’ordonnateur.

L’agrégé de droit indique qu’au moment où il prend fonction, «ce compte doté d’un milliard de francs pour l’exercice 2011 est entièrement consommé et présente un solde débiteur à la Paierie générale du Trésor». L’ancien conseiller à la présidence de la République ajoute que «d’importants décaissements d’un montant de 1.096.150.000 de francs CFA y ont été opérés par l’agent comptable» et s’alarme du «niveau d’endettement très élevé du ministère des Arts et de la Culture par rapport aux engagements pris sur ce compte spécial».

On ignore si une suite a été donnée à ce courrier. Tout juste sais-t-on que la presse a plutôt signalé, moins d’un mois après que le Minfi a été saisi, la présence d’une équipe d’inspecteurs d’Etat du Contrôle supérieur de l’Etat au Minac.

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