Cameroun : La République des privilèges toujours grandissants pour les puissants et de la répression continue des faibles
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Cameroun : La République des privilèges toujours grandissants pour les puissants et de la répression continue des faibles :: CAMEROON

L’adoption du nouveau Code Pénal par l’Assemblée Nationale vient une fois de plus renforcer la fâcheuse politique de notre pays depuis l’indépendance qui consiste à toujours privilégier les riches et les puissants, en écrasant constamment, dans le même temps, les faibles.

A la faveur d’un passage à l’émission de Canal2 International « L’Arène », le journaliste Jean Dedieu Ayissi m’avait posé la question suivante : « qui préférez-vous entre Mbida, Ahidjo et Biya ? ». Ma réponse avait été la suivante : « tous les trois appartiennent à la même famille politique, celle des conservateurs ». 

En effet, j’ai beau passer au crible les décisions prises par le pouvoir au Cameroun depuis le tout premier gouvernement constitué le 15 mai 1957 et dont le Premier Ministre était Mbida André-Marie, j’ai de la peine à identifier une mesure qui ne soit pas au bénéfice des hauts fonctionnaires et des politiciens, pendant que dans le même temps j’ai dénombré une kyrielle de décisions écrasant toujours avantage les faibles et les pauvres. 

Salaires faramineux pour les députés en 1957.

En 1957, on l’a déjà oublié, le Cameroun avait été secoué par un scandale monumental : le salaire faramineux que s’étaient octroyés les députés, en comparaison avec la grande misère dans laquelle vivait le peuple. Ce fut la toute première proposition de loi dont ils avaient débattu, aussitôt leurs mandats validés. Loi du 27 mai 1957 fixant les indemnités à allouer aux membres de l’Assemblée. Ils s’étaient fixés un salaire de 175.000 F CFA, ce qui correspondait au prix d’un véhicule de 6 CV à l’époque, soit aujourd’hui le prix d’une 206 Peugeot, à savoir 6.000.000 F CFA hors taxes !!!! la population avait hurlé au scandale, mais nos députés n’en avaient cure …

Eyidi Bebey, devenu député du Wouri lors des élections législatives suivantes, celles du 10 avril 1960, avait, en conséquence, devant le tollé de la population, déposé en retour, avec le député Douala Manga Bell, une nouvelle proposition de loi (n°5-Ppl-AN) diminuant le salaire des députés. Cette dernière avait été rejetée avec dédain par la Commission des Finances, présidée par Marigoh Mboua Marcel, député de la Kadéi, et membre du groupe parlementaire de l’Union Camerounaise, en ces termes :  « Les membres de la Commission des Finances (…) ont fait valoir que le député devait être en mesure de faire face aux charges de son mandat, afin de lui éviter de connaître toute tentation de corruption susceptible de l’empêcher de traduire les vœux et les objectifs de la souveraineté populaire (…) la Commission des Finances a en conséquence repoussé la proposition de loi de MM. Bebey Eyidi et Douala Manga Bell qui proposaient la fixation de l’indemnité législative mensuelle de base à 69.407 F. Les membres de la commission ont estimé que les aller et retour des députés pour une session se chiffrent à 6 millions de francs cfa environ. 

En revanche, les membres de la Commission des Finances se sont montrés favorables à l’adoption des mesures préconisées par MM. May Abamet et Moussa Yaya. (…) En conséquence, la Commission a adopté les dispositions proposées par MM. May Abamet et Moussa Yaya tendant à fixer l’indemnité législative de base à 102.947 francs cfa (…) le total de l’indemnité mensuelle de base (102.947) et de l’indemnité spéciale dite de frais de mandat (50.000) doit ainsi se chiffrer à 152.947 francs. 

L’adoption des mesures proposées par MM. May Abamet et Moussa Yaya et approuvées par votre commission (…) prouverait l’esprit de sacrifice des élus de la nation qui veulent que l’exemple de l’austérité budgétaire vienne d’en haut … » (1)

Mais, Bebey Eyidi ne s’était pas laissé conter pour autant. Il était revenu à la charge pour expliquer les motivations à la base du salaire faramineux des élus du 23 décembre 1956 : « … en 1957, il s’agissait de mettre en place un régime. Il se trouvait que celui-ci n’était pas très aimé dans le pays, et pour avoir des gens qui supportent ce régime, qui puissent le soutenir, il fallait les contenter de quelque chose. C’est à ce moment-là que de la situation de simple élu ne gagnant que 120.000 francs par an, nous sommes passés à celle d’un député gagnant 175.000, puis 184.000 francs par mois. (…) ce régime qu’il fallait soutenir par tous les moyens s’est caractérisé par la création d’une fausse bourgeoisie, ou si vous le voulez, d’une bourgeoisie artificielle. (…) Nous en avons une preuve récente par les élections qui viennent de se dérouler le 10 avril (1960). Tout le monde a constaté le nombre extrêmement important de candidats. Je ne crois pas que tous se sont présentés uniquement dans le désir de servir leur pays. (…) Je crois que si nous continuons dans cette voie, mettre en place une bourgeoisie artificielle, qui s’est créée par le simple fait des élections, nous arriverons à des complications que nous regretterons dans l’avenir (…) l’indemnité parlementaire est source de mécontentement populaire. Si nos collègues du Nord ne sont pas bien au courant de ce problème parce que, chez eux, tout est encore calme et que nos compatriotes du Nord acquiescent à tout ce que peuvent leur dire leurs élus, nous, du Centre, de l’Est, de l’Ouest (2), nous savons ce que les électeurs ont pu dire au cours de la campagne électorale. (3) 

Eyidi bebey avait été suivi par Mayi Matip : « Monsieur le président, le 27 mai 1957, l’Assemblée législative de l’Etat sous tutelle du Cameroun avait créé un précédent à la fois scandaleux et dangereux. Elle adopta un montant d’indemnités parlementaires, par rapport au niveau de vie de l’ensemble de la population dans ce pays, qui fit couler beaucoup d’encre et de salive. Il a été une cause de mécontentement dans le pays. Nous savons que, pour la dignité et l’indépendance des députés, il faut qu’ils aient une indemnité convenable. Mais, devant le niveau de vie bas de la population, ce n’est pas une question d’indemnité parlementaire qui se pose, mais celle de la politique économique tout entière du pays. Si nous, responsables, ne faisons pas un effort pour nous « serrer la ceinture » et donner l’exemple de l’austérité, qui le fera à notre place ? (…) Ce montant des indemnités parlementaire avait été fixé à une époque où il fallait en quelque sorte – si je peux me permettre le terme – acheter des consciences pour approuver un régime. Elles ne correspondent pas à la réalité économique du pays… » (4)

Les salaires faramineux des élus du « peuple » aujourd’hui.

Le quotidien Le Messager n°4045 du mardi 25 mars 2014 nous en rend compte à travers quelques exemples : 

Et un député « prolétaire », c’est-à-dire qui n’est pas membre du bureau de l’Assemblée, gagne en un mandat, à savoir en cinq ans : 

Nouveau Code Pénal : sécurité pour les ministres et insécurité pour le bas peuple.

Le nouveau Code Pénal adopté récemment ne déroge pas à cet esprit, à savoir privilégier les puissants, et écraser les faibles. C’est ainsi que pendant qu’un miséreux se retrouvera en prison simplement pour n’avoir pas pu payer son loyer, le ministre, lui, dans toute sa puissance, fera toutes les bêtises de la terre, et rien ne lui arrivera. Il ne pourra plus se retrouver à Kondengui. Donc, finies les arrestations. 

Le « renouveau » a ainsi effectué un gigantesque rétropédalage dans sa fumeuse histoire sur fond d’éliminations politiques qu’il a dénommée « Opération épervier ». Nous venons d’assister, à travers ce nouveau Code Pénal, à une riposte en bonne et due forme des ministres face au Président de la République, grand maître des incarcérations de dignitaires de son régime. Ils ont trouvé une parade pour ne plus se faire arrêter. Les concepteurs de ce projet de loi ont placé le Président de la République devant un bien embarrassant dilemme. Comment, alors que lui il jouit de l’immunité judiciaire dans ses fonctions, pourrait-il valablement continuer indéfiniment à la refuser dans le même temps aux membres de son gouvernement, qui bourrent continuellement les urnes pour son maintien au pouvoir lors des élections à travers le pays, sans courir le grand risque de se retrouver esseulé le jour où les choses viendraient à mal tourner ? Ainsi, une fois de plus, voilà une loi qui déroge au principe fondamental de la loi, à savoir l’impartialité et l’impersonnalité. Mais, est-ce la première fois que cela se produit-il dans notre pays ? Notre constitution elle-même n’est-elle pas avant tout centrée sur une personne, dès lors qu’elle a instauré une « République monarchique », et qu’elle a été conçue, comme nous en avons été les témoins oculaires, de fort singulière manière ?   

Quant aux députés de la majorité qui ont voté cette loi, ils ont une fois de plus, à l’exception toutefois de l’un d’entre eux seulement, démontré qu’ils n’étaient avant tout que de misérables laquais au service du régime à l’Assemblée, et nullement du peuple qu’ils prétendent représenter, et au nom duquel ils se bâtissent, d’un mandat à l’autre, de colossales fortunes. 

1-Journal Officiel des débats de l’Assemblée Nationale du Cameroun séance plénière du 11 juin 1960.                             
2- Le découpage administratif du Cameroun à l’époque, le Nord, le Centre, l’Est et l’Ouest, quatre régions seulement. Le littoral et le Sud n’existaient pas encore, encore moins l’Adamaoua et l’Extrême-Nord qui ne sont nés qu’en 1983 sous Biya.
3- Journal Officiel des Débats de l’Assemblée Nationale du Cameroun. 
4-Ibidem.
 

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