Hubert Mono Ndjana : Grandeur et misères d’un philosophe
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Journaliste et philosophe, Jean Philippe Nguemeta a longuement interviewé l’un des intellectuels camerounais les plus marquants de son temps. Le résultat est un livre saisissant de détails qui exhale la compétence d’un esprit brillant mais frustré.

Qui est donc Hubert Mono Ndjana, ce bouillant intellectuel qui occupe vaillamment la scène médiatique camerounaise depuis une vingtaine d’année ? La question des origines du philosophe n’a pas échappé à Jean Philippe Nguemeta qui a d’emblée tenu à entendre du parcours de son interlocuteur. « Je suis né le 3 novembre 1946 à Ekabita, un petit village situé quelque part du côté ouest d’Obala. Je suis de la tribu Essele… Mes parents étaient tous chrétiens, d’obédience catholique, et m’ont naturellement fait suivre leur chemin, en m’inscrivant à l’Ecole Saint Charles d’Efok, près d’Obala », déclare Mono Djana dès les premières lignes de ce « dialogue » entre philosophes. On apprend ensuite que l’homme a baigné dans la chrétienté dès sa prime enfance et que son infirmier de père s’est décarcassé comme il a pu pour l’inscrire dans le prestigieux collège Vogt. Mais comment donc Mono devient-il philosophe ? « Par pur hasard », répond l’intéressé.

Costume, cravate et chaussures bien cirées

Le jeune étudiant qui voulait faire du droit pour devenir « un grand type » tombe en tâtonnant sur les cours de philosophie du redoutable Laburthe-Tolra. S’il reconnait la place centrale qu’occupe le philosophe françaisdans sa formation initiale, Mono rend aussi un hommage appuyé à Njoh Mouelle, Martien Towa, Guillaume Bwele et Juléat Fouda qui furent ses premiers maitres en Fac. Mais c’est en France, à Tours que l’interviewé avoue avoir donné de l’épaisseur à sa formation. Offensif et audacieux, Mono Ndjana le sera tout au long de son riche parcours.

Affecté au lycée de Bafoussam après sa maitrise alors qu’il n’a que 26 ans, le jeune enseignant met un point d’honneur à préparer minutieusement ses cours et à soigner sa mise : « Costume, cravate et chaussures bien cirées … beaucoup d’anciens du « Lyclabaf » m’avouent avoir pris chez moi leur style d’habillement, jusqu’à la couleur marron du costume que je mettais souvent », se réjouit-il. Muté par la suite au lycée d’Ebolowa, l’enseignant en herbe qui a plus de temps libre profite pour boucler sa thèse de 3e cycle. Il fait des vacations dans des collèges de Bafoussam et Nkongsamba et lance L’Interdisciplinaire, une revue à l’intention de tous les enseignants du Cameroun. Selon lui, c’est pour briser l’élan de son journal que la haute administration créa, elle aussi, une revue appelée Lueurs pédagogiques de l’Ouest.

La suite du parcours philosophique de l’interviewé force le respect. En 1990, Il passe à l’Académie des sciences du Djoutché à Pyongyang une thèse d’Etat (critiquée mais dont il parait bien fier) intitulée « Révolution et création-Essai sur la philosophie du Djoutché ». Le politologue Ntuda Ebodé qui préface l’ouvrage salue « l’un des tout premiers intellectuels africains à avoir perçu l’importance de l’Asie dans la renaissance africaine ». Mono atteint les cimes académiques de sa discipline quand il devient professeur des universités, le 5 février 2003. Le tout premier au Cameroun et dans la sous-région dans le domaine de la philosophie. Avec ce record, Mono il s’attend à une récompense au plus haut niveau de l’administration. Mais le philosophe va brutalement dégringoler de son nuage pour faire face à la dure réalité : « Mon record a été superbement ignoré, banalisé, s’enrage-t-il. Ceux qui ont accédé au même grade cinq ans après moi ont été promus à de prestigieux postes de responsabilité.

De plus jeunes et moins gradés sont même devenus mes patrons dans l’institution de sorte que, sans avoir fini leur parcours académique, c’est-à-dire leurs recherches, ils sont institutionnellement amenés à décider, oui ou non, sur mes projets de recherche, sur mon destin académique !... Comment ne pas parler de sadisme, de cynisme et d’arbitraire comme principes de gestion ? Il s’agit plutôt d’anti-principes, puisqu’ils inspirent la peur ».

Frustré…Trop frustré

La frustration et la déprime transpirent des propos de ce penseur du Renouveau qui a longtemps mouillé le maillot sans être récompensé. Un homme qui avait pourtant senti le bon coup
en publiant en 1985 « L’Idée sociale chez Paul Biya » qui lui ouvre les portes du Comité central du Rdpc où il est appelé en 1990 comme secrétaire à la communication. Le penseur a beau chassé l’aigreur on le sent toujours inhibé de cette ingratitude qui l’a précipitamment mis hors jeu. A 70 ans, l’enseignant à la retraite n’a plus rien à perdre. Alors il donne des coups. Il accuse les réseaux et les sectes et critique de ce fait la dérive irrationaliste qui s’empare de la société camerounaise.

Spécialisé en épistémologie, Jean Philippe Nguemeta en profite pour susciter un éloge de la rationalité scientifique au détriment de pratiques obscurantistes qui condamnent l’Afrique à la stagnation. D’Afrique justement il est longuement question dans cet ouvrage.Auteur d’un livre référence sur la philosophie Africaine, Mono revisite, dans le 3ème chapitre, le cheminement laborieux de ce corpus de pensée qui s’est affirmé dans une contestation virile de ce que Paulin Hountondji a appelé l’ethnophilosophie. Nguemeta qui en veut plus sur les conditions d’émergence de la science en Afrique interroge encore son interlocuteur sur les rapports qu’entretient l’Afrique avec la science avant de consacrer le chapitre 4 à la pensée de Karl Popper passée au crible analytique de ce philosophe africain résolument engagé à l’émergence conceptuelle de son continent.

Au final, Nguemeta et Mono nous servent un bouquin croustillant et agréable à lire. Outre les révélations inédites du philosophe (on peut citer sa rencontre avec Paul Biya), tout le mérite des deux protagonistes de l’ouvrage est de ramener la discipline philosophique réputée absconse à la portée du commun des lecteurs. Sans perdre sa valeur scientifique, l’ouvrage respire le style imagé et chatoyant d’un Mono Ndjana qui confirme l’extraordinaire culture livresque qu’on lui connait. On peut reprocher à l’auteur de n’avoir pas entamé des préoccupations prégnantes comme ce fameux duel intellectuel qui a opposé Mono à son collègue Sindjoun Pokam autour de la question du tribalisme dans les années 1990. De même, on est surpris que Nguemeta, journaliste culturel au Quotidien Le Jour, n’ait pas pensé à interroger le professeur sur son passage chaotique à la tête de Société civile des droits de la littérature et des arts dramatiques (Sociladra).

Toutefois, « Dialogue avec Hubert Mono Ndjana » -qui n’est pas exempt de coquilles et de ratés iconographiques- n’a pas l’intention d’avoir tout tiré de cet abîme de science qu’est l’éminent professeur qui compte parmi les auteurs les plus prolifiques du pays. Le livre est avant tout une invite à l’humilité dont le ton est donné par Mono lui-même.

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