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© Correspondance : Me Amédée Dimitri TOUKO TOM
- 15 Sep 2021 15:16:09
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CAMEROUN :: DÉCONSTRUIRE LA PRÉÉMINENCE DE LA CONSCIENCE ET DE LA QUESTION TRIBALE DANS LA POLITIQUE EN AFRIQUE :: CAMEROON
UN IMPÉRATIF POUR L'ÉDIFICATION DE VÉRITABLES ETATS-NATIONS : LA CRISTALISATION ANTI-BAMILEKE ET LES BALBUTIEMENTS DE LA DEMOCRATIE AU CAMEROUN
Si les dirigeants post - coloniaux de la plupart des ÉTATS africains ont échoué quant à leur aptitude à apporter à leur peuple, la DÉMOCRATIE, La LIBERTÉ et la PROSPÉRITÉ, on ne peut en dire autant quant à l'intelligence politique qu'ils ont déployée pour promouvoir la division des peuples sur des bases ethniques ou tribales, reproduisant à la perfection la politique coloniale du « DIVISER POUR RÉGNER ».
La manipulation des matériaux fissiles de l'ethnicité pour en faire l'arme atomique de la survie des pouvoirs politiques est un art maîtrisé du régime néo-colonial camerounais. Conjurer cette politique d'apartheid tribal, est un défi intellectuel et politique pour l'opposition qui aspire à gouverner un peuple piégé par la question ethnique encore appelé ethnocentrisme ou tribalisme.
En effet, si BIYA s'est illustré comme une véritable catastrophe managériale pour le Cameroun qu'il a plongé dans l'obscurantisme et la misère après 40 années de dictature, c’est parce qu’il s’est situé dans le prolongement des politiques coloniales en développant une véritable industrie de la haine de l'autre, dont le summum a été atteint avec la guerre au NOSO. Parallèlement, il a réussi, pour assurer la pérennité de son pouvoir, à fragmenter ethniquement le Cameroun, à coaguler autour de celui-ci, une partie minoritaire de sa composante ethnique.
Dans cet ordre d'idées, outre les anglophones, il a depuis des décennies encouragé et développé une véritable politique d’exclusion, de marginalisation de camerounais souvent sur des bases sociologiques. Les Bamiléké qui ont subi des massacres pendant la période des indépendances, apparaissent encore ici comme une des grandes victimes de ce système inique, ce que MONGO BETI dans sa revue AGIR ICI SURVIE, qualifiait déjà "d'offensive tout azimut contre les Bamileké". La dernière élection présidentielle et l'actualité récente des débats politiques au Cameroun, nous ont encore offert un spectacle affligeant de la métastase du tribalisme au Cameroun. Pour barrer la voie à Maurice Kamto, le pouvoir RDPC n'hésite pas à crier au complot bamiléké contre les institutions de la République.
Dès lors, le changement qu'il incarne et pour lequel une majorité de Camerounais sont favorables, est présenté par les adeptes du statu quo comme une agression contre la tribu au pouvoir par l'ethnie bamiléké, présentée et perçue par d'aucuns comme dangereuse... Les persécutions et violences impunies dont ils sont à répétition victimes au Sud-Cameroun, région d'origine de Paul BIYA et des principaux barons du régime, ne sont pas de ce point de vue une fiction.
Pour insuffler la peur, des contrôles au faciès sont effectués dans les aéroports, une répression barbare à tête chercheuse pendant les « marches blanches » spécialement orientée contre des ressortissants Bamileké, dans l'optique de couper Maurice KAMTO d'une partie de l'électorat issue de sa communauté d'origine et en même temps, inoculer dans l'opinion l'idée qu’un Bamiléké est impropre à gouverner car fondamentalement tribaliste.
L'EXCLUSION POLITIQUE DU BAMILEKE COMME ENJEU CRUCIAL DE LA POLITIQUE COLONIALE
La politique coloniale au Cameroun s'élabore autour de deux postulats :
· casser la conscience nationale pour dominer,
· rechercher l'ennemi de l'intérieur pour diviser.
Susciter l’antagonisme ethnique est donc la méthode.
En mars 1960, le lieutenant-colonel Lamberton écrivait : « Le Cameroun s’engage sur les chemins de l’indépendance avec, dans sa chaussure un caillou bien gênant. Ce caillou, c’est la présence d’une minorité ethnique, les Bamiléké (…), sans doute le Cameroun est-il désormais libre de suivre une politique à sa guise et les problèmes Bamiléké sont du ressort de son gouvernement. Mais la France ne saurait s’en désintéresser : ne s’est-elle pas engagée à guider les premiers pas du jeune État et, ces problèmes, ne les lui a-t-elle pas légués non résolus ? ».
C’est cette appréciation qui guidera l’action française de répression des Bamiléké, alors massivement engagés dans Le mouvement indépendantiste des années 1950. La vaste offensive contre leurs derniers réduits dans le maquis fera entre huit cent mille et un million de victimes entre 1955 et 1965. Aujourd’hui, d’aucuns n’hésitent pas à parler, par référence à cette macabre statistique, de véritable génocide perpétré par l’État colonial dans un premier temps, puis par le pouvoir installé au lendemain de l’indépendance dans un second. Il s'agit donc là, d'un peuple qui avec le peuple Bassa, dans une moindre mesure a une histoire singulière au Cameroun.
En effet, les gouvernements successifs de AHIDJO et BIYA ont repris à leur compte ce principe : « diviser pour régner ». La Constitution distingue ainsi les citoyens « autochtones », des citoyens « allogènes » (originaires d’une autre région que celle où ils résident), réservant aux premiers, l’essentiel des pouvoirs politiques locaux. Les Bamiléké, historiquement dispersés, se retrouvent maintenus en position de boucs émissaires. Largement écartés de l’emploi public ou privé, ils se concentrent souvent dans l’activité commerciale. N’y a-t-il pas là preuve de leur volonté de domination économique ? Diront les théoriciens du complot bamiléké...
Un rappel historique sur la savante alchimie mise en place pour contenir le peuple "délinquant" Bamiléké permet de donner plus de lumière à ce propos et nous rappelle que AHIDJO et BIYA sont de parfait exécuteurs testamentaires de la colonisation.
Les premiers partis politiques de l’Etat du Cameroun, à l’exception de l’U.P.C. très implantée en pays Bassa et Bamiléké, seront de près ou de loin parrainés par la France à travers le mentor, Louis Paul Aujoulat.
Le Bloc Démocratique Camerounais (B.D.C.), section locale des indépendants d’outre-mer, a pour président M.Philémon Sakouna et M. Benoît Bindzi pour Secrétaire général ; le Dr Aujoulat qui fut longtemps son grand leader, reçu un jeune du Nord, M. Ahidjo dont la carrière allait connaître un succès rapide. Le mouvement étendait son influence surtout dans les régions du Centre et les milieux urbains de Yaoundé, Douala, Ebolowa. Il dispose d’un journal : « le Cameroun de demain » que dirige M. André Fouda, bientôt Maire de Yaoundé.
C’est sur les cendres du BDC que M. Ahidjo lancera l’Union Camerounaise qui demeure aujourd’hui à travers ses dénominations successives (UNC, RDPC) le parti de la majorité ;
L’Union Social Camerounaise (USC) de M. Okala, s’apparente à la SFIO française ;
L’Evolution Sociale Camerounaise (ESOCAM) fondée Pierre Dimalia, a pour leader Guillaume Bisseck et Thomas Tonye. Son ambition est de s’opposer à l’UPC ;
L’Unité d’Action France-Cameroun de M. Satougle ;
Le Front National de Guillaume Bagam ;
Le Comité de coordination du Cameroun de M. Claude Akono ;
Les Démocrates Camerounais de M. Mbida ;
Le Mouvement d’Action Nationale Camerounaise des MM. Assale et Soppo-Priso ;
L’Union des Populations du Cameroun (UPC) de Um Nyobé, Kingué Abel et Ouandié Ernest, etc.
Tout ceci donnera naissance à deux groupes: celui de l’élite camerounaise dite de la légalité, composée d’anciens députés français et assimilés que sont les Soppo-Priso, Eyidi-bebey, André Marie Mbida, Okala, André Fouda, Prince Douala Manga Bell, Ahmadou Ahidjo, Moussa Yaya, Charles Assalé, pour ne parler que des plus en vue, et l’élite dite du maquis que sont Ruben Um Nyobé, Ernest Ouandié, Ngapet et Tchaptchet. L’appartenance ethnique des leaders de partis et des personnages suscités n’est donc pas un détail…
Voilà comment fut inoculée dans la politique camerounaise la prééminence de la conscience tribale au détriment de la conscience nationale et citoyenne. Et depuis lors, la question bamiléké nourrit de manière endémique le débat politique. La diversité ethnique qui est en réalité un atout est pervertie... On prête aux bamiléké des intentions hégémoniques, querelles inspirées d'un chauvinisme ethnique et entretenu par le pouvoir politique.
QUI SONT AU JUSTE LES BAMILEKE POUR SUSCITER TANT DE CONTROVERSES ?
« Ce qui caractérise ce peuple », écrit le révérend père Engelbert Mveng, prêtre jésuite et intellectuel camerounais, « c’est à la fois une ardeur au travail qui ne compte guère beaucoup de concurrents sous les tropiques, un esprit d’économie et de prévoyance qui ne va pas sans une certaine âpreté au gain, une intelligence pratique rare, un individualisme qui s’allie paradoxalement à une vie communautaire sans fissure... Une propension à migrer qui leur vaut le qualificatif d’envahisseurs où qu’ils s’établissent s’expliquerait à l’origine par les fortes densités de population qui caractérisent leur berceau ancestral de la région occidentale : 70 habitants au kilomètre carré contre 13 pour l’ensemble du Cameroun. Par la suite, elle sera surtout motivée par une quête d’ouvertures économiques. Cette Eehnie majoritaire du pays, quatre des quinze millions d’habitants que compte le Cameroun se singularise aussi par son esprit d’entreprise. À Douala, par exemple, ville côtière cosmopolite et principal port du Cameroun au fort brassage ethnique, les Bamiléké compteraient pour environ 70 % de la population ! À Yaoundé, capitale politique et deuxième métropole située au sud du pays, ils arrivent toujours en termes démographiques juste derrière l’ethnie majoritaire béti. Généralement représentés, dans l’imaginaire collectif, comme le groupe ethnique le plus entreprenant et le plus prospère en l’absence de toute statistique officielle, ils entretiennent eux-mêmes ce mythe qui les flatte et s’en enorgueillissent en lui opposant, à l’occasion, celui du nkwa (terme péjoratif pouvant s’appliquer à tout non-Bamiléké) paresseux, fanfaron et parasite. Cependant, le dernier recensement de 1976 atteste aux Bamiléké un poids économique loin d’être négligeable : 58 % des importateurs nationaux, 94 % des propriétaires de boutiques dans les grands centres urbains, 75 % des négociateurs de cacao et de café, 47 % des grossistes industriels, 80 % des patrons de la flotte de taxis, 50 % des commerçants informels, 75 % des hôteliers et 50 % des transporteurs routiers interurbains ».
Une supériorité économique qui a dû se renforcer significativement au cours des trois dernières décennies, même si des groupes ethniques concurrents accèdent eux aussi, et de plus en plus, à l’accumulation de capital et à l’enrichissement. De fait, après avoir longtemps privilégié l’investissement à court terme et à rentabilité immédiate, débits de boissons et de tabac, hôtellerie, négoce des cultures d’exportation, commerces alimentaires et plus généralement la distribution –, les entrepreneurs bamiléké se sont transformés en profondeur et ils ont amorcé un virage, dans les années 1980 et 1990, s’orientant de plus en plus vers des investissements lourds à long terme autrement plus lucratifs dans l’industrie, les services et la banque.
Un poids économique couplé à la qualité de leurs élites et à un sens poussé de la solidarité communautaire qui vaut aux Bamiléké d’être au cœur des enjeux de pouvoir au Cameroun. Leurs adversaires les plus virulents, particulièrement nombreux au sein de l’ethnie béti les accusant notamment de tirer profit de leur poids démographique et économique, et du contrôle de nombreux médias, pour tenter de s’emparer du pouvoir politique et d’asseoir de la sorte une mainmise totale sur le pays. Comme le pouvoir politique est actuellement détenu par l’ethnie béti dont sont issus le président de la République et la majorité des membres de son équipe gouvernementale, la question bamiléké originelle semble s'être muée, dans les faits et avant tout,en une rivalité Béti-Bamiléké. Dans une stratégie d'isolement, le pouvoir essaye d'agréger à l'ostracisme contre le bamiléké d'autres groupes ethniques , sans succès significatif.
CONSTRUIRE LE CAMEROUN SUR SES VALEURS
Les prétentions hégémonistes qu’on prête aux bamiléké relèvent pour partie du fantasme, et pour partie d’une paranoïa collective qui voudrait systématiquement trouver une intention cachée et malveillante dans leurs moindres faits et gestes. Au demeurant, on ne saurait interdire à des individus de quelque appartenance ethnique ou obédience politique que ce soit d’avoir des ambitions pour eux-mêmes ou pour leur communauté, dès lors que celles-ci s’expriment dans un cadre juridique défini et équitable, garantissant les mêmes droits à tous. Par ailleurs, il serait contre-productif de réprimer des compétences et des talents avérés au seul prétexte qu’ils n’appartiendraient pas à la bonne ethnie.
La cristallisation anti-bamileke est un des facteurs engendrant les balbutiements de la démocratie au Cameroun. Sa prise en compte permet d'envisager des solutions plus pertinentes dans la direction de l'exorcisation de la question ethnique et même de sa valorisation.
Le peuple camerounais doit se laver du pêche originel de l'appartenance ethnique. L'ethnie, dans sa dimension culturelle voire civilisationnelle doit être promue comme une réalité dynamique, un facteur de développement économique social et culturel.
L'ethnicité est avant tout le socle dans lequel s'élaborent et se développent des instruments de puissance et d'épanouissement individuel et collectif, tant il est vrai que la NATION camerounaise espérée qui sera en réalité une union ou fusion des ethnies, ne doit pas être une association des misères, mais une conjonction des valeurs et des talents propres à chacune de ses composantes.
La perversion de l'ethnicité par les politiques coloniales et neo-coloniales, a donc donné naissance à des pouvoirs politiques claniques et à une l'opposition dont une partie se construit sur l'urgence de survie, sur la necéssité de briser l'ordre établi, par une forme de "tribalisme défensif" ou tribalisme d'auto-défense ou de légitime défense, visant l'instauration d'un ordre politique nouveau, plus démocratique. En réalité les discours de cette frange aux apparences tribalistes visent simplement à briser le système tribal. De manière résiduelle, gravite autour de cette opposition, une opposition dite de la loi du talion, qui souhaite remplacer l'hégémonie politique actuelle par une autre forme d'hégémonie vengeresse.
Préconiser l'instauration d'un véritable État de droit et promouvoir une véritable religion de la libération des contingences tribales et d'émancipation intellectuelle et spirituelle du peuple camerounais sont les voies de mon point de vue.
Amener le peuple camerounais tout entier, à prendre la mesure d'une véritable paix est un impératif. La paix ne doit plus se faire au détriment d'une partie du peuple fusse-elle anglophone... l'exigence de paix qui n'est invoquée que pour soumettre les plus faibles doit être repensée.
Le pacifisme intégriste dans une dictature, fait le lit des abus et des génocides. Il est des moments dans l'histoire des peuples où l'on doit savoir dire "ça suffit!". Le peuple anglophone l'a fait, à sa façon, les camerounais ou une partie des camerounais opprimés doivent sérieusement l'envisager tant il est vrai qu'au prix d'un génocide s'il le faut, le pouvoir clanique et dictatorial de YAOUNDE entend se perpétuer et se reproduire.
En clair, quel que soit l'issue de la guerre en cours au NOSO, plus rien pour ces populations ne sera comme avant, car on sait désormais avec elles ce que vaut la paix.
Le Cameroun, à l'image de tous les grands peuples de ce monde, ne saurait faire l'économie de son auto-libération si elle lui est imposée.
Me Amédée Dimitri TOUKO TOM
Membre fondateur de la Ligue des Droits et Libertés (LDL)
Ancien représentant Ouest Cameroun de Human Wrights Watch (Albert MUKON)
Ancien Conseiller Juridique SDF
Ancien Secrétaire Provincial SDF-OUEST
Conseiller juridique d'associations
Membre fondateur et Secrétaire Général du RESEAU RESPONDERE ADVOCATUS
Analyste Politique
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