Emmanuel Wafo,une certaine idée du patronat
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L’homme d’affaires est la figure de proue d’un groupe déterminé à empêcher que le Gicam soit dissous. Pour JA, il a accepté de se dévoiler, ainsi que les contours de son combat.

Pendant longtemps, il est resté loin des lumières qu’aurait pu lui conférer son statut de chef d’entreprise. Mais depuis bientôt huit mois, il ne se cache plus. Alors que le patronat est plongé dans une intense bataille interne au sujet de son avenir, Emmanuel Wafo a pris la tête du camp des conservateurs, ceux qui refusent de voir le label Gicam s’éteindre. « Je dois avouer que cette situation m’a permis de me familiariser davantage avec la presse », reconnait le patron de Mit-Chimie, entreprise industrielle basée à Douala.

L’homme d’affaires nous reçoit dans son bureau, non loin de la zone industrielle de Bassa. Il porte une chemise de marque française, et parle avec une extrême délicatesse. Est-ce qu’il n’est pas habitué à l’exercice ? Ou qu’il veut contrôler une communication qu’il sait désormais scrutée ? Pour autant, Emmanuel Wafo ne fait pas dans la langue de bois. « Je dis les choses telles que je les pense, n’en déplaise à certains, affirme-t-il. J’ai toujours été comme ça ».
Cette liberté de ton, le Cameroun l’a découverte en avril dernier, lorsqu’Emmanuel Wafo s’est fermement opposé au projet de fusion entre le Gicam et Ecam, les deux principales organisations patronales du pays. L’opération envisagée doit aboutir à la disparition du Gicam, label que l’organisation utilise depuis 1992. Celui-ci devrait laisser la place à une nouvelle entité dont l’identité reste à dévoiler, tout comme ses nouveaux statuts qui seront soumis à l’adoption des membres.

Bataille interne

Dans ce meilleur des mondes, l’exécutif actuel que dirige Célestin Tawamba aurait la possibilité de briguer un troisième mandat de fait à la tête du patronat camerounais, la règlementation actuelle du Gicam limitant le renouvellement à une fois. « Quand le syndrome du pouvoir éternel s’empare du patronat, nous bafouons nous-mêmes nos valeurs », a lancé Wafo dans une lettre ouverte rendue publique en avril dernier, au moment de l’annonce du projet. Car pour lui, ce projet de fusion-création n’est rien d’autre que la volonté de Tawamba de se maintenir à la tête du Gicam.

Depuis lors, les deux camps n’ont eu de cesse de se rendre coup pour coup dans une bataille largement médiatisée. Aux partisans du projet de fusion-création qui soutiennent l’avènement « d’un patronat uni et fort », leurs adversaires opposent « la braderie du patrimoine du Gicam » qui en découlerait. Selon ces derniers, le rapport de force est vite vu : 66 ans d’existence, 1 000 adhérents dont 27 associations professionnelles, 73 % des recettes fiscales de l’État et 185 426 employés et représentation pour le Gicam, contre 14 ans d’existence pour Ecam et un poids économique difficile à évaluer.
Candidat – pas candidat ?

Emmanuel Wafo ne dit pas s’il compte lui-même se porter candidat à la présidence du l’organisation, même si tout porte à croire qu’il s’y prépare. « Rien ne m’en empêche », précise-t-il. Sa trajectoire a souvent été faite de revirements inattendus. Plus jeune, son père le prédestine à la médecine. Mais après un an passé à l’université Paul Sabatier de Toulouse, le carabin décide de claquer la porte et de s’inscrire en école de commerce, notamment à l’Essec de Paris. 
"Avec André Siaka, c’était l’âge d’or de cette organisation avec un président respecté aussi bien par les milieux économiques que par les hommes politiques"Emmanuel Wafo

De retour au Cameroun en 1992, et à la surprise générale, il rejoint l’entreprise familiale que dirige son père. Six ans plus tard, Emmanuel Wafo quitte le navire, lassé de « sa gestion paternaliste » du business. Il se met à son propre compte et ouvre une entreprise unipersonnelle.

Au fil des évolutions, celle-ci deviendra Mit-Chimie, entreprise spécialisée dans le négoce des produits chimiques et la production de matière plastique.

Les proches d’Emmanuel Wafo le considèrent comme un nostalgique de l’ère Siaka, le premier président camerounais du Gicam, qui a dirigé l’instance entre 1993 et 2008. Il ne s’en défend pas. N’a-t-il pas fait son entrée dans l’organisation en 2005, alors que l’ancien tout-puissant directeur général des brasseries du Cameroun présidait sa destinée ? « C’était l’âge d’or de cette organisation avec un président respecté aussi bien par les milieux économiques que par les hommes politiques », se remémore-t-il avec un brin d’émotion. 

9,7 milliards de francs CFA de chiffre d’affaires 

Son entrée dans le gotha des patrons a été favorisée par une autre personne : l’ancien secrétaire général du Gicam, Martin Abega.

« Notre entreprise avait certes franchi la barre des 500 millions de francs de chiffre d’affaires, mais j’estimais toujours que ce n’était pas assez pour rejoindre le groupement patronal. Il a fallu qu’il insiste pour que je me décide à sauter le pas », explique-t-il. Mit-Chimie n’est pourtant pas un intrus au milieu des principales organisations du pays. La petite entreprise crée en 1998, « sur un coup de tête », connait une rapide évolution. Elle est aujourd’hui une valeur montante du paysage industriel camerounais avec ses 9,7 milliards de francs CFA de chiffre d’affaires, et sa centaine d’employés. Le poids de cette structure est de fait un atout non négligeable pour Emmanuel Wafo : elle fait de lui un interlocuteur sérieux, et de nombreuses personnalités n’hésitent pas à lui ouvrir leurs portes. Il y a quelques semaines encore, Jeune Afrique révélait que le dirigeant avait engagé un lobbying tous azimuts pour défendre sa position auprès des hautes autorités du pays. « Je suis prêt à rencontrer quiconque serait disposer à nous entendre, ou faire quoi que ce soit pour empêcher que le projet de mise à mort du Gicam aboutisse », assume-t-il.

Son message ne manque pas d’oreilles favorables. En mai dernier, le sous-préfet de Douala 1 , dans une manœuvre plutôt grotesque, avait tenté de faire interdire la tenue du conseil d’administration devant donner quitus à Tawamba pour poursuivre le processus de fusion. Nombreux y ont vu la main du ministre de l’Administration territoriale Paul Atanga Nji, patron de la préfectorale et sécurocrate de Paul Biya. Mais cette intervention n’a pas empêché l’assemblée générale extraordinaire du Gicam de se prononcer à 73% en faveur du projet de fusion, en juillet.

Emmanuel Wafo dénonce ce plébiscite. « Les membres ont voté pour la fusion sans en connaitre le contenu, soutient-il. Selon nos textes, tout projet de modification des statuts doit être débattu au cours d’une assemblée générale extraordinaire. Or le débat a plutôt eu lieu au cours d’un conseil d’administration. L’assemblée générale ne peut pas être réduite à ne donner qu’une caution à un acte élaboré sans son accord et sans sa consultation. »

Recours aux sages

Malgré ce revers, Emmanuel Wafo espère faire entendre sa voix sur un autre terrain : celui du droit. Selon les statuts du Gicam, « une majorité des trois quarts des voix est requise pour faire adopter pareille modification ». Autrement dit, 75 % des voix étaient nécessaires pour faire passer sa réforme, et Tawamba ne les a pas obtenus. Le président du Gicam n’a pas non plus reçu le soutien du conseil des sages, un organe de l’instance dont l’avis favorable est nécessaire avant tout projet de modification des statuts. 

"Le sort du Gicam est entre les mains de la justice, et nous lui faisons pleinement confiance" Emmanuel Wafo

« Comme nous, le conseil des sages estime que l’initiative de rassembler les deux organisations patronales est louable, mais qu’elle devrait se faire en intégrant Ecam comme membre institutionnel et non en créant une nouvelle organisation », affirme Wafo. Pour se conformer aux textes donc, il était attendu que le président du Gicam convoque une nouvelle assemblée générale extraordinaire. Au lieu de quoi, les membres du Gicam ont été convoqués pour une assemblée générale ordinaire qui se tiendra 14 décembre prochain, dans l’optique d’entériner le projet précédemment adopté.

Terrain judiciaire

Jusqu’où Emmanuel Wafo est-il prêt à aller pour faire obstacle aux ambitions de Célestin Tawamba ? Pas moins de quatre procédures sont actuellement en cours devant les tribunaux de Douala, toutes visant à interrompre le processus qui doit aboutir en février 2024 avec l’élection des dirigeants de la nouvelle organisation. « Le sort du Gicam est entre les mains de la justice, et nous lui faisons pleinement confiance », confie cet abonné du tennis club du plateau Joss de Douala.

En 2008, Célestin Tawamba qui lorgnait le fauteuil présidentiel n’avait pas hésiter à claquer la porte de l’organisation lorsque André Siaka avait préféré soutenir Olivier Behle pour lui succéder. Une belle brochette de patrons l’avaient suivi et, ensemble, ils avaient donné naissance à Ecam, une organisation concurrente du Gicam. Quinze ans plus tard, le patronat est de nouveau à la croisée des chemins. Difficile de savoir comment cela va se terminer tant le projet d’un « patronat uni et fort » vanté par l’actuel exécutif est sérieusement menacé, avant même d’avoir vu le jour.

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