Les paysans se plaignent
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Bien qu’ils soient les artisans qui provoquent et soutiennent une bonne partie de la richesse nationale, nos paysans, ceux qui cultivent le cacao à Ngomedzap, comme ceux qui vannent le mil ou le riz aux autres coins du pays, ont, dans leur grande majorité et quel que soit le domaine dans lequel ils se sentent lésés, pris l’habitude de ne pas trop se plaindre. Pour protester, ils ne savent, ni brandir le poing, ni organiser de grands meetings et d’imposants défilés, ni confisquer et payer des pages de journaux, pour y énumérer leurs doléances parfaitement fondées.

Ils portent leurs colères en eux, avec une rare dignité et une belle patience, alors que les gens des villes viennent souvent les provoquer, en se comportant, la plupart du temps, comme si c’est à eux seuls que le Cameroun tout entier appartient. À ce niveau, les dirigeants de notre pays ont laissé nos paysans à eux-mêmes, exprès, évitant de leur apprendre à créer leur propre force, en se regroupant, par corps de métiers ou bien par secteurs d’activités agricoles, dans des associations et dans des syndicats. Mais, nous ne perdons rien pour attendre ; il est certain que l’histoire de demain de notre pays va se raconter autrement…

Déjà, à l’heure qu’il est, les paysans sont de moins en moins dupes ; ils ne sont plus du tout cet enfant proverbialement trop naïf qui s’exécutait docilement, chaque fois qu’on lui disait : « ferme les yeux ; je vais te tromper » … Nous avons ainsi, à plusieurs reprises, surpris nos nouveaux amis d’Abod-Mveng en pleine discussion, dénonçant bruyamment ce dont, selon eux, la plupart des paysans de leur zone étaient régulièrement victimes. Parmi les sujets de discussion, il y avait, d’abord et tout naturellement, le cacao.

Selon nos palabreurs, la nouvelle espèce de cacao qu’on leur demande de planter et qu’on trouve dans toutes les pépinières aurait un très gros défaut d’adaptation. Le plant pousse vite et porte ses premières cabosses à trois ans à peine. Malheureusement, ce beau cacaoyer meurt tout aussi vite, sans qu’on sache pourquoi.

Le spectacle est absolument désolant quand, un matin, vous vous rendez à votre champ et que vous y trouvez des dizaines de cacaoyers portant des feuilles qui ont jauni en une nuit, qui annoncent le dessèchement prochain et irréversible des arbres. Comme les paysans tirent leurs conclusions trop rapidement, ils n’hésitent pas à dire que ce sont « les Blancs et leurs complices qui leur imposent une espèce de cacaoyer de mauvaise qualité, pour les ruiner » …

Notre Ministère qui s’occupe de l’Agriculture a donc intérêt à déployer ses ingénieurs agronomes dans des zones c a - caoyères, afin que ces derniers aillent aider nos paysans à mieux soigner leurs champs… La seconde grosse préoccupation de nos paysans concerne leurs terres dont ils sont traditionnellement propriétaires. En effet, les gens de la ville, - hommes d’affaires, officiers supérieurs et ministres, en tête, - sont en train de spolier proprement nos paysans, par la ruse et l’argent, des terres que leurs ancêtres leur ont laissées.

L’opération est cynique et se déroule sensiblement de la même façon : le paysan propriétaire terrien a des problèmes financiers de première urgence. Le bienfaiteur fortuné, qui ne rode jamais trop loin, se présente et propose l’achat de deux cents hectares, à… dix mille francs (!) l’hectare.

Deux millions de francs, d’un seul coup !... Pour un paysan auquel son cacao ne rapporte que cinq cent mille francs par an, c’est une grosse fortune qui tombe du ciel et qu’on n’a pas le droit de bouder. Le marché est conclu ; en suivant un circuit bien huilé, le titre foncier sortira dans moins d’un mois. Le tour est joué et tout est légal. Dans un an, le paysan vendeur sera plus pauvre que Job et son épouse ne pourra même plus étendre ses champs d’arachides…

Dieu merci ! Dans cinquante ans, nous ne serons plus là pour déplorer les guerres impitoyables que les descendants de l’actuel paysan vendeur livreront, pour avoir droit à un lopin de terre où enterrer seulement leurs morts…

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