Enseignement supérieur:licenciement de Agbor Balla, ou l’étouffement de l’intelligence universitaire
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Le constat alarmant d’éminents professeurs

Dans une interview accordée au journal Le Messager en 2004, le professeur Victor Anomah Ngu, disait, parlant des universités camerounaises : « L’enseignement supérieur au Cameroun a beaucoup d’efforts à fournir afin d’élever le niveau… La première chose à demander c’est de former des gens capables de réfléchir eux-mêmes, non pas des Camerounais limités à citer ligne par ligne les cours du professeur. J’ai vu, quand j’étais à l’université, qu’on refusait d’attribuer les points aux étudiants qui, réfléchissant d’eux-mêmes, ne citaient pas ligne après ligne le cours du professeur. Ce qui est déplorable. Car on doit permettre à l’étudiant de prouver son génie, l’enseignement reçu n’étant qu’une base. La deuxième chose que je dois dire honnêtement, c’est qu’un un pays dont les citoyens n’ont pas une véritable formation n’a pas d’avenir. Ce sont les hommes qui font la différence. Le Japon n’a pas de ressources naturelles. Mais, grâce à la formation de ses fils et filles, il est classé parmi les pays les plus développés. » Le professeur Victor Anomah Nguh parlait de sa longue expérience dans l’université camerounaise, et aussi en comparaison avec l’université nigériane où il avait fait ses premiers pas dans l’enseignement et pouvait aisément établir la différence.

Un autre professeur, Prince Kumah Ndumbe III affirme dans l’un de ses nombreux écrits sur l’histoire du Cameroun : « J’ai enseigné à l’université de Lyons 2, j’ai enseigné à l’université de Berlin et j’ai enseigné à l’Université de Yaoundé jusqu’à ma retraite. Et j’ai constaté qu’on forme la jeunesse Française pour la France, on forme la jeunesse Allemande pour l’Allemagne et on forme la jeunesse Africaine pour être les esclaves des autres. Même les ingénieurs sont des espèces de mécaniciens de maintenances pour les machines fabriqués par les autres. »

Ces différentes appréciations d’éminents professeurs en disent long sur les habitudes académiques qui ont eu cours à l’université du Cameroun d’abord, créée en 1961, et qui se sont perpétuées dans les autres universités d’Etat après l’éclatement en 1992. Le milieu universitaire est un lieu par excellence de la recherche, de la création et de l’imagination, le lieu où dans d’autres pays on laisse éclore le génie des étudiants et les encourage dans les différentes inventions. Au Cameroun, le constat fait par les deux professeurs à des dates différentes, reste d’actualité, il faut éviter que les étudiants réfléchissent, et les enseignants qui osent aller dans ce sens deviennent des cibles à abattre.

La logique de l’étouffement des génies

Le 06 mai 2020, l’avocat et enseignant de droit à l’université de Buéa, Félix Agbor Kongo Balla a été licencié par sa hiérarchie, à l’issue d’un conseil de discipline marathon convoqué le même jour. Le crime de l’enseignant et défenseur des droits de l’homme, c’est d’avoir, pour les examens du premier semestre de l’année académique 2019/2020, proposé à ses étudiants pour le cours intitulé «Histoire politique et constitutionnelle du Cameroun» le sujet suivant: « La crise anglophone qui date de 2016 avait été causé par les avocats et les enseignants. Evaluez la validité de cette affirmation. » Une question qui visait à plonger les étudiants dans la réflexion sur le sujet de l’heure, qu’ils vivent et subissent par ailleurs. Mais une question qui a provoqué le courroux du ministre de l’Enseignement supérieur Jacques Fame Ndongo, professeur lui aussi et grand chancelier des ordres académiques.

Il a dès lors, saisi le Vice Chancellor, le Pr Horace Ngomo Manga, par correspondance le 13 mars 2020, pour attirer son attention sur la « transgression du caractère clos et apolitique de l’université ». Il attendait une réaction prompte des responsables qui devait selon lui interpeller d’une manière ou d’une autre l’enseignant Agbor Balla. Mais ne voyant pas la suite venir, il est revenu à la charge dans une lettre datée du 28 avril 2020, dans laquelle il écrit: « Je vous avais demandé de mettre définitivement fin (toutes affaires cessantes) aux agissements de Maître Félix Agbor Nkongho Balla, de nature à porter gravement atteinte à l’éthique et à la déontologie universitaire et de me rendre compte de vos diligences, ce qui n’a pas été fait jusqu’ à ce jour ».

Acharnement

A partir de ce moment, le Vice Chancellor enclenche une procédure contre Agbor Balla et convoque un conseil de discipline le lendemain 29 avril prévu le 06 mai 2020 afin d’entendre l’enseignant. L’accusé ne s’est pas présenté au Conseil et s’en est expliqué. D’après lui, sa lettre de convocation, bien que datée du 29 avril 2020 n’a été déposée à son bureau au Centre pour les droits de l’homme et la démocratie en Afrique (CHRDA) que le mardi 05 mai 2020 à 12 h 08mn, c’est-à-dire 22 heures avant l’audience. L’avocat explique, dans un mémoire envoyé au Vice Chancellor, que cette convocation s’est ainsi faite en violation des textes universitaires. Il cite entre autres, la Circulaire ministérielle n ° 17/0013 / MINESUP / SG / DAJ / CC du 17 octobre 2017 sur le respect des procédures disciplinaires dans les établissements publics d’enseignement supérieur au Cameroun, qui stipule que « la procédure disciplinaire d’un enseignant étant essentiellement contradictoire, le suspect doit être convoqué par écrit, au moins cinq (05) jours avant la tenue du Conseil.»

Il conclut ce mémo explicatif sur la raison de son absence par ces propos « Il s’ensuit que la lettre m’invitant à comparaître devant un «panel disciplinaire» méconnaît les instruments pertinents et viole mes droits en tant que professeur à l’Université de Buea. Elle viole également mes droits humains fondamentaux pour un procès équitable. En tant que défenseur de la justice et du respect de l’État de droit, si je devais honorer ladite invitation, qui constitue une violation manifeste et flagrante de la loi, cela reviendrait à créer le mauvais précédent qui nuira et aura un impact négatif sur les enseignants qui à l’avenir, pourrons être invités sans aucun égard pour la régularité de la procédure, à comparaître devant le panel disciplinaire, ce qui entamera à long terme la crédibilité de nos établissements universitaires. »

Formation extravertie

Le Conseil de discipline a simplement mis un terme au contrat de l’enseignant, qui a osé pousser les étudiants à la réflexion sur un sujet qui les concerne, et pour lequel ils pouvaient au terme de la réflexion faire des propositions de sortie de crise. Sûr que si l’enseignant avait proposé un sujet sur les causes de la révolution française de 1789 qui a fait chuter la monarchie, ou sur la révolution Bolchevik, il n’aurait pas eu autant d’ennuis, parce qu’il aurait proposé aux étudiants une réflexion sur ce qui ne les concerne pas, exactement ce que décriait le Prince Kuma Ndume III dans les universités camerounaise, « on forme la jeunesse camerounaise pour être les esclaves des autres »

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