LES « DONS DE PAUL BIYA » SERAIENT-ILS UNE ESCROQUERIE SENTIMENTALE ET UNE ARNAQUE POLITIQUE ?
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Leçons de politique à tous ceux qui écrasent les Camerounais autour de Lui… Nous sommes en plein désert, absences de convictions éthiques dans le cœur des hommes politiques, neutralisation du goût et sécheresse patriotique dans l’esprit des citoyens, stérilité culturelle et économique dans les circuits de production industrielle. Plus que tout, nous vivons une crise aiguë de la culture politique dans notre pays. Cette double crise de la praxis politique et de l’inflation de la communication politique est symptomatique du niveau de dépolitisation aussi bien de notre peuple que de notre classe dirigeante, avec les conséquences incalculables qu’elle a sur la société dans son ensemble. De quoi souffre-t-on ? Le mal présent est
le bavardage des courtisans du Prince qui tue l’action gouvernementale et le peuple avec.

La parole est criminelle lorsqu’elle ne sert pas les principes, les valeurs et l’action. C’est ce qui se passe actuellement avec la rhétorique des « dons de Paul Biya ».

En effet, lorsqu’une crise ou une catastrophe survient dans notre pays, les regards de la majorité des distraits se tournent vers le Président de la République, Paul Biya. Les citoyens concentrés sur l’action gouvernementale, moins nombreux, s’interrogent quant à eux, la peur au ventre : est-ce que les plateaux techniques des hôpitaux sont équipés ? Les médecins sont-ils sélectionnés suivant le mérite et bien formés ? Les sapeurs-pompiers auront-ils suffisamment d’eau, de tuyaux, de pinces de désincarnation, de piscines réservoir, d’échelles, de détecteurs de gaz, de câbles et tout le matériel de protection pour assister les victimes ? La protection civile montrera-t-elle enfin le bout de son nez ? Le ministre se sentira-t-il concerné, voire consterné, pour agir de manière décisive face à la tragédie en cours ? Ces questions, les Camerounais avertis les ont posées, que ce soit après la catastrophe des lacs Monoun et Nyos en 1984 et 1986, lors des crash du Nyong à Youpwe et de Kenya Airways à Mbanga Pongo en 1995 et 2007, la catastrophe de Nsam le 14 février 1998, pendant le combat national contre les terroristes de Boko Haram depuis 2014, lors du déraillement du train à Eséka le 21 octobre 2016, dans la présente guerre contre nos frères du NOSO et actuellement avec la pandémie du COVID 19, pour ne citer que ces tragiques événements.

Dans les pages qui suivent, après avoir donné quelques indications relatives au sens des notions que je convoque (I), je tâcherai de montrer que si, dans le principe et dans la pratique, le don est politiquement et socialement justifié (II), il n’en demeure pas moins que dans l’exercice des plus hautes fonctions de l’État, celles du Président de la République en l’occurrence, l’activation systématique du levier de la charité ou de la bienfaisance devant les crises et catastrophes qui frappent le peuple entraîne des vices et des mondanités perverses qui affectent négativement l’action publique et compromettent l’action gouvernementale (III). Or, dans la
mesure où la politique du don est en soi contradictoire et contreproductive, il s’ensuit qu’un leader soucieux de sa crédibilité et de son héritage en tant qu’homme d’État ne saurait ni la tolérer ni la promouvoir (IV).

I/ LES MOTS QUE J’EMPLOIE

Entendons-nous d’abord sur le contenu des termes que je mobilise dans mon argumentation. Le don est l’action de céder gratuitement et volontairement la propriété d’une chose à un tiers ou à une entité donnée. On peut ainsi faire don de son sang, de la nourriture, des biens meubles comme une maison, bref c’est une transaction sur des biens aliénables suivant des termes de l’accord de cessation de droits entre des individus, entre des individus et des 2 organisations ou entre des organisations. Dans tous les cas, les mots don, bonté, charité, assistanat et pitié sont des synonymes ; ils sont tous des confluents des rivières de la misère et de la souffrance. À cet égard, le mot de Balzac prend tout son sens : « la pitié tue, elle affaiblit encore notre faiblesse » (La peau de chagrin).

L’escroquerie, quant à elle, consiste à s’approprier le bien d’autrui par des moyens frauduleux. En matière de sentiment, faire de l’escroquerie, c’est réussir à bénéficier de l’affection de quelqu’un (ou du peuple) au moyen du mensonge, de la désinformation, de la manipulation des faits ou du travestissement de la vérité. Arnaquer, c’est obtenir d’autrui, par ruse ou par quelque louche et désagréable espièglerie, comme savent le faire des coquins, ce que nous ne méritions pas d’avoir de lui. En quoi la politique des « dons de Paul Biya » serait-elle de l’arnaque doublée d’escroquerie sentimentale ?

II/ LES DONS PRÉSIDENTIELS DE PAUL BIYA : ESCROQUERIE, ARNAQUE ET INCOMPÉTENCE

Dans cette première articulation, j’établie en quoi la rhétorique « des dons présidentiels » est une imposture et un mensonge. Je montre qu’il s’agit davantage d’une escroquerie sentimentale doublée d’une arnaque politique. Le Président Paul Biya est un fonctionnaire qui se retrouve à exercer les plus hautes fonctions de l’État depuis un demi-siècle. Au départ, avant ces fonctions, le Chef d’État n’était pas un célèbre artiste, ni un riche fermier, encore moins un industriel fortuné ou un homme d’affaires prospère. C’était un fonctionnaire. Mais le fait d’être un fonctionnaire, quoique le constituant nécessairement comme un parasite, ainsi que Hegel l’avait théorisé (1) , ne lui enlève pas ses qualités objectives d’homme de génie, avec un flair politique aigu.

En revanche, un fonctionnaire riche, qui n’a pas bénéficié de naissance d’une situation enviable, par exemple un héritage, serait une curiosité historique. La fonction présidentielle entretient un parasitisme d’élection en ce sens que son bénéficiaire ne connaît de précarité que la déréliction radicale qui, dans sa fonction aussi ingrate qu’enviée, l’assigne dans son fauteuil d’or et le contraint de servir sans se servir. Il est donc empêché, de par la constitution qui lui reconnaît le statut de clé de voûte des institutions, de faire autre chose que de légiférer, de gérer, de répartir et de fonder. La fondation impliquée ici est le devoir suprême de donner naissance à un monde nouveau qui soit conforme aux aspirations et à la destination historique de son peuple.

Le 10 septembre 2015, au cours d’un séminaire que j’avais organisé au Ministère du Contrôle supérieur de l’État à l’intention des Vérificateurs, mon collègue, Joseph Ndzomo-Molé, avait mobilisé la figure du Fonctionnaire intègre pour sensibiliser l’auditoire sur l’importance des vertus de l’intégrité dans la fonction publique. Il établit alors que le fonctionnaire, par essence, est le diplômé pensionnaire de l’État, de la Fonction publique. À cet titre, Ndzomo-Mole affirmait, comme Hegel avant lui, que le fonctionnaire fait partie de la classe universelle dont les membres sont, par principe, soustraits aux particularismes : « le fonctionnaire est universel et sert l’universel : dans l’exercice de ses fonctions, il n’est de nulle part, c’est-à-dire d’aucune famille, d’aucun clan, d’aucune tribu ou ethnie, d’aucune Région, d’aucun département ou arrondissement, d’aucune religion ou église, d’aucune confrérie, d’aucune obédience politique ; il ne sert pas les siens mais l’État, il est chez lui partout où l’État l’emploie » (« La psychologie du mauvais fonctionnaire). À la lumière de cette réflexion, l’on retient que le Chef de tout État moderne est nourri par la main du peuple. Celui-ci, en retour, est préservé des affres des calamités, telles que la faim ou l’insécurité, grâce à la satiété bienheureuse du Prince, son protecteur.

On remarquera au passage que Paul Biya lui-même n’a jamais dit : « Je vous donne tant de milliards en cadeau ! » Il est conscient que la fortune publique, c’est l’argent des autres. Il sait qu’on ne lui a pas dit de dépenser à sa guise, mais d’arrêter, au sens de tenir provisoirement ; qu’il doit penser les stratégies de multiplication de cette richesse nationale et de pourvoir aux besoins du peuple dont il a la charge. C’est pourquoi, dans ses discours publics, il préfère le « nous » au « je », parce qu’il n’est rien sans le peuple en cœur et à l’unisson. D’où vient-il donc que des messagers viennent nous allécher qu’il a donné ce qu’on lui a demandé de préserver et de rentabiliser ? Cette sollicitude matérialisée par des espèces sonnantes et trébuchantes (les laudateurs du régime évoquent toujours des milliards de francs CFA gracieusement offert par le Prince) qui nous parle, est-ce la voix enrouée et pondérée du Président ou le hululement des hiboux qui font la sorcellerie de l’accaparement de la fortune publique.

III/ ACTEURS ET ENJEUX DE L’ESCROQUERIE SENTIMENTALE DE LA POLITIQUE DU DON

Le mensonge des partisans niais consiste à dire que le Président fait des dons à hauteur de milliards de francs. Ce message, où l’on fait alterner rumeur et faits avérés de décaissement de fonds publics colossaux, a principalement pour enjeu de faire la publicité de ceux qui le portent.

En philosophie, il y a ce qu’on appelle le pratico-inerte, c’est-à-dire, selon Jean-Paul Sartre, ce que la société (les autres) décide de faire de nous et qu’on assume malgré nous. C’est ce qui se passe avec les annonces des dons présidentiels : Paul Biya assume, même s’il ne dit rien ! En fait, ces messagers auto proclamés n’expliquent pas si cet argent fait partie des fonds propres, s’il s’agit du produits de prébendes et de la concussion, ou si par contre c’est une partie de la fortune publique qu’il mobilise pour des besoins de la cause. Car, certes : « Il faut être charitable. Mais, envers qui ?

C’est là le point » ! Lorsque nous nous serons donc rendus, étendus, transis par tant de bonté gratuite, immobiles et perclus sur la lèche du cœur de serpent du Prince, qu’adviendra-t-il de nous ? Cette remarque de La Fontaine, dans la fable « Le villageois et le serpent », s’adresse aussi à nous, puisque ce messianisme de mauvais alois entache l’image du Président et dessert l’action gouvernementale par la dissonance qu’entretient l’érection d’une figure de mythomanie au sein des institutions publiques.

Cette rhétorique hypothèque la lisibilité politique des actions du Chef de l’État. Elle est le fait de courtisans incapables d’inventer une communication performative qui mette en valeur la stratégie présidentielle. Davantage soucieux de préserver les avantages indus que leur garantissent des prébendes et autres collusions au sein de l’appareil de l’État, ils s’en remettent à une aventureuse rhétorique politicienne. Montesquieu avait dépeint ces bassesses du monde politique dans De l’esprit des lois : « L'ambition dans l'oisiveté, la bassesse dans 1'orgueil, le désir de s’enrichir sans travail, l’aversion, la flatterie, la trahison, la perfidie, 1’abandon de tous ses engagements, le mépris des devoirs du citoyen, la crainte de la vertu du prince, et, plus que tout cela, le ridicule perpétuel jeté sur la vertu, forment, je crois, le caractère du plus grand nombre de courtisans » (Montesquieu, De l’esprit des lois, Livre III, chap. V, p. 148). On comprend l’enjeu de ces débordements émotifs. Tout comme on prend conscience de la vérité brutale qui met un terme à ces espiègleries du village. C’est l’évidence qu’il n’est pas d’exemple dans l’histoire de l’humanité où le gouvernement d’un seul ait été bénéfique au peuple. Le don en milliards de francs se mue ainsi en un don des larmes ; elle s’encapsule dans une fonction prosélytique. Car, par ces annonces tonitruantes, on croit exciter la sensibilité et la crédulité agissante des citoyens pour inscrire la compassion et la commisération au cœur des relations entre le Président et ses administrés. Ceci revient à rien de moins qu’à pervertir la politique dans ses fondamentaux.

D’après Hannah Arendt en effet, la politique prend naissance dans « l’espace-di-est-entreles-hommes ». Être politique, en ce sens, c’est revendiquer la maîtrise des relations humaines, avec les différences qui les sous-tendent. C’est se spécialiser dans l’effort constant, public, en vue d’articuler l’action individuelle, particulière, avec cette pluralité revendiquée qui constitue l’humanité, en un mot c’est savoir vivre parmi ses semblables. Il faut par conséquent refuser que
le Malheur soit notre interlocuteur privilégié. Et par Malheur, j’entends l’ensemble des mécanismes et dispositifs politiques que mobilisent les courtisans mal inspirés et dont l’enjeu malsain est d’aseptiser le goût et de momifier les circuits des relations de pouvoir, au point d’hypothéquer durablement l’épanouissement des citoyens et le développement économique de notre nation arriérée. En fait la justice, la donne gouvernance, l’éthique républicaine doivent préexister, voire anticiper toute les velléités de charité républicaine gratuite qu’on exhibe si haut. Louer la magnanimité du Grand Timonier lorsque le peuple a faim de développement et de changements est absurde en soi.

C’est le lieu de dire que ces milliards, dont la nature est douteuse puisqu’intentionnellement dissimulée, creusent l’âme ; ils exacerbent le besoin de justice sociale et d’efficacité gouvernementale ; ils renforcent sous les yeux des citoyens attentifs le déficit de développement économique qui les désespère et augmentent le vide (structurel et systémique) qu’entretient le pouvoir en place. Et ni ces milliards ni la gloire qui y est attachée ne rendent heureux les citoyens. Car ce qui satisferait le peuple c’est, entre autres, un toilettage systématique des institutions de la République qui les débarrasserait des brigands économiques et des comédiens malfaisants qui l’écument, mais aussi une impulsion structurelle décisive portée aussi bien par le dévouement personnel du Prince que par les sacrifices des citoyens qui, au lieu de préférer une chrématistique anachronique, se détermineraient à construire une nation prospère et respectée. C’est, d’ailleurs, la condition ultime de la souveraineté.

IV/ PAUL BIYA A-T-IL UN CŒUR ? LA BONTÉ D’UN PRÉSIDENT EST-ELLE UTILE ?

Il s’ensuit donc que gouverner, ce n’est pas faire l’amour avec le peuple. Car, ce n’est point l’amour et la bonté qui permettent de bien gouverner : c’est plutôt la raison et sa fille, la Loi. C’est Hegel qui disait, en son temps : « Dans l’État, l’amour n'a plus sa place, car dans l’État on est conscient de l'unité en tant qu’unité de la loi ; dans l'État le contenu doit être rationnel et il faut que je le connaisse ». Il avait vu juste. Car, aucun Prince qui a fait l’histoire de son peuple ne l’a gouverné avec le cœur, mais avec son intelligence politique. Au contraire, on ne lui en voudra pas s’il manque de compassion dans sa passion de son office qui lui commande de sévir au point de ruiner toutes les prétentions dévorantes de ses ministres et hauts administrateurs. Ce dont il serait irrémissible, c’est d’avoir voulu passer pour bon, alors que son office est de se faire craindre par tous, ainsi que Machiavel le recommande avec une grande lucidité.

De ce point de vue, on ne demande pas au Président d’une nation policée d’être humain, mais d’être souverain. La notion de souveraineté est affectée d’un coefficient de hauteur et de puissance. Elle ne s’accompagne point de légèreté et de gracilité commode. Il est attendu que le Président suscite une dynamique patriotique unique qui fasse préférer le patriotisme à tous les plaisirs particuliers dont les citoyens seraient accoutumés et dépendants. En ce sens, le peuple préférera toujours un chef avare qui apporte la prospérité à celui qui, par ses largesses, écume le trésor public et désespère les citoyens par sa frugalité intempestive.

Au final, du point de vue des principes qui fondent l’action publique, ainsi que je viens de l’établir, la politique des dons est une vulgarité à laquelle les véritables leaders politiques ne devraient jamais recourir. La communication officielle du Président Paul Biya devrait s’en prémunir. Car la charité est le propre des âmes douces, délicates et décoratives, comme la Première dame. Comme une colombe, elle roucoule et dissipe les doutes du Prince. Mais ces épanchements suaves ne conviennent guère au cœur de lion de ce dernier. Lui, il doit rugir, ordonner, décider, soumettre, dévorer les incrédules et les niais, et persévérer enfin dans la puissance de sa raison de vivre qui est l’intérêt supérieur de la nation. Il impose sa Loi qui est la manifestation de la volonté générale. Tout le jour, il mesure le chemin des innovations parcouru et contemple l’immensité du labeur révolutionnaire qui l’attend. Il doit incarner une durabilité rassurante qui emporte l’adhésion de tous. Où y trouvez-vous un interstice pour insérer vos désolants fantasmes ?

1-Dans ses Principes de la philosophie du droit, Hegel écrit : « La classe universelle est chargée des intérêts généraux de la société. Elle doit être dispensée du travail direct pour la satisfaction de ses besoins, soit par sa fortune privée, soit par l’Etat qui, employant son activité, doit la dédommager de telle sorte que l’intérêt privé trouve sa satisfaction dans son travail au service du bien-commun » (Principes de la philosophie du droit, ou Droit naturel et science de l’État en abrégé, texte présenté, traduit et annoté par Robert Derathé, avec la collaboration de Jean-Paul Frick, seconde édition revue et augmentée, Librairie philosophique J. Vrin, II, §205, p. 228).

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