Grand dialogue national : Le jeu et les enjeux
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Il est illusoire de vouloir organiser des noces dans une maison hantée.

Le Grand Dialogue National (GDN) qui s’ouvre ce lundi 30 septembre 2019 au Palais des Congrès de Yaoundé est une curiosité. Il renseigne sur la duplicité à l’oeuvre dans la gestion du Cameroun. En effet, le GDN intervient alors que le gouvernement Suisse a officiellement annoncé le 27 juin 2019 qu’il avait reçu mandat pour conduire des négociations inclusives entre l’Etat du Cameroun et des séparatistes armés. Certes, la pouvoir de Yaoundé n’a ni confirmé, ni infirmé l’annonce du gouvernement Suisse. Mais des témoignages concordants confirment l’existence de ces négociations suisses. A ce jour, aucun communiqué du gouvernement Suisse n’a annoncé la fin de sa médiation. Bien au contraire des informations récentes en circulation sur les réseaux sociaux réitèrent la poursuite de ce dialogue.

On peut donc constater que le pouvoir de Yaoundé a engagé pour la même guerre civile en cours dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest , le Grand Dialogue National et les négociations genevoises. Si le GDN donne à croire que le pouvoir en place privilégie une solution endogène pour ramener la paix, les négociations conduites sous la médiation Suisse font le choix d’une solution exogène. Ces deux démarches parallèles sèment de la confusion et interrogent sur la réelle volonté du régime de mettre un terme à la guerre civile en cours à travers le dialogue.

Le GDN : un leurre

Le discours du 10 septembre 2019 de M. BIYA annonçant l’ouverture du GDN a ouvert un espoir de paix qui a vite laissé place au scepticisme. L’espoir vient au fait que l’annonce est intervenue après une très longue période de déni de l’existence d’un problème anglophone, le choix irresponsable de la réponse militaire à une crise politique et la criminalisation de tout appel au dialogue. L'espoir suscité par l'annonce du dialogue a également été ébranlé par les nombreuses interrogations que suscite l’analyse de l’adresse de M. BIYA. La première vient du silence fait sur les négociations genevoises sous la médiation Suisse dans le discours du 10 septembre 2019.

La seconde, et pas la moindre, tient à la désignation, pour conduire le dialogue, du Premier ministre Joseph DION NGUTE, membre du RDPC, le parti au pouvoir, qui a nié avec force démonstration, une mauvaise foi politique rare et un cynisme incompréhensible, l’existence d’un quelconque problème anglophone, et taxé de traître à la patrie tous ceux qui appellent au rejet de la solution militaire (dans une crise pourtant authentiquement politique) et à la tenue d’un dialogue inclusif. En outre, alors qu’en visite dans le Nord-Ouest et le Sud- Ouest le Premier ministre avait publiquement déclaré qu' « hormis la séparation et la sécession, toute autre chose peut être discutée » au cours du dialogue, l’annonce de M. BIYA n’offre pas de marge au débat attendu sur la forme de l’Etat.

Ces interrogations et bien d’autres ont balayé l’espoir suscité par l’acceptation officielle du principe d’un dialogue national. La tournure prise par les consultations engagées par Joseph DION NGUTE a conforté la méfiance légitime suscitée par sa nomination comme maître d’oeuvre du GDN. En effet, à travers le choix des personnalités et des organisations consultées, le Premier ministre a réduit ce qui devait être une consultation nationale en une simple concertation entre lui et ses camarades du RDPC. La méthodologie qu’il a retenue pour ces consultations a elle aussi contribué à faire douter sérieusement de la capacité du GDN à être à la hauteur des attentes légitimes des populations camerounaises.

Comme s’ils voulaient ainsi indiquer la décontraction voire la désinvolture avec laquelle le pouvoir aborde cette guerre civile dévastatrice qui ébranle les fondations de la nation camerounaise, les organisateurs du GDN ont prévu à la fin de leur rencontre une soirée de gala ! tout ceci fait craindre que, audelà de la recherche d’une solution crédible aux crises multiformes qui secouent notre pays, notamment à la fin de la guerre civile dans le NOSO, les tenants du pouvoir ne voient dans l'organisation du GDN qu’une autre opportunité pour siphonner, comme dans le scandale de la CAN 2019, les caisses de l’Etat. Dans cette perspective, et en considérant que les négociations avec les groupes séparatistes soient toujours en cours sous la médiation Suisse, le GDN ne serait donc en réalité qu’un leurre.

Quid du dialogue parallèle sous la médiation Suisse ?

Fin mai 2019, un groupe de onze mouvements Séparatistes annonçaient « leur disponibilité à s’engager dans une négociation sous la médiation d’une tierce personne ». Cette annonce rendait probable l’ouverture d’un dialogue direct entre le gouvernement et les combattants armés des régions anglophones du pays sous la supervision d’un médiateur. Dans la foulée, en tournée dans les zones en guerre, le Premier ministre rassurait les Camerounais sur la volonté du gouvernement à chercher une solution négociée à la crise en affirmant publiquement, et ce pour la première fois, que, mis à part la sécession et la séparation, tous les sujets seraient désormais débattus. Ceci signifiait implicitement que le débat sur la forme de l’Etat n’était plus un tabou et ne serait pas exclue du dialogue. En réaction à ces développements, le principal leader séparatiste Sisiku Julius Ayuk TABE répondait, le 27 mai 2019, en rendant public ses préconditions pour un dialogue. En substance, il demandait :

  • le retrait de l’armée des deux régions anglophones ;
  • la libération de tous les prisonniers arrêtés depuis le début de la crise;
  • l'organisation des pourparlers à l'étranger.

Tout ceci intervenait alors que les 17 et 18 mai étaient déjà engagée une réunion préparatoire entre certains groupes séparatistes et le gouvernement sous la médiation Suisse à l'égard de laquelle il existait cependant certaines réticences. C’est dans ce même contexte que le gouvernement Suisse annonçait l’ouverture de négociations entre les groupes séparatistes et le gouvernement camerounais sous son égide. Dans le même temps, diverses autres initiatives fleurissaient, notamment celle conduite par le directeur des Services de renseignements extérieurs (DGRE) Léopold Maxime EKO EKO . Toutes ces négociations parallèles donnaient le sentiment d’une compétition , voire d’une rivalité entre les meneurs. En considérant l’impréparation du GDN et le discrédit qui entoure par avance ses résultats, on peut penser que le pouvoir s’en sert comme une manoeuvre afin de conduire hors des projecteurs les négociations sous médiation Suisse, sous réserve qu'il y ait mis un peu plus de sérieux que dans la préparation du GDN.

En considérant que cette hypothèse soit la bonne, il reste que pour parvenir à des conclusions véritablement porteuses de paix, il faudra que les négociations genevoises respectent les étapes prescrites par les méthodes classiques pour la conduite des négociations de paix, à savoir : la confiance entre les parties, la désignation consensuelle d'un médiateur neutre, une conduite consensuelle des discussions, une définition commune du chronogramme et des moyens de contrôle de l’application des résolutions prises pour avoir une chance de déboucher sur la paix recherchée .

La réforme consensuelle du système électoral et des institutions, la garantie des libertés et droits humains fondamentaux la démocratisation effective du Cameroun : un tryptique incontournable dans une recherche de solutions durables aux crises multiformes qui affectent le Cameroun.

Il est notoire, l’effort fait par M. BIYA lors de son adresse du 10 septembre 2019 pour ne rien dire au sujet de la crise postélectorale née du scrutin présidentiel du 7 octobre 2019. En effet, comme pendant très longtemps dans la crise anglophone, lors de cette adresse, il est resté dans le déni s'agissant de la crise post-électorale. Une crise née de la contestation vigoureuse des résultats officiels dudit scrutin par Maurice KAMTO qui, outre le fait de récuser plusieurs membres du Conseil Constitutionnel, a dénoncé 32 faux procès-verbaux (PV) départementaux et exigé l'annulation résultats contenus dans lesdits PV.

Il faut souligner qu'à côté des arguments soulevés par le leader du MRC et ses avocats en mondovision devant le Conseil Constitutionnel, plusieurs observateurs indépendants nationaux et internationaux ont eux aussi dénoncé des fraudes massives et la manipulation des résultats lors de ce scrutin présidentiel. Il est pourtant logique de faire un lien entre la crise de la représentativité de l’élite politique du Nord-Ouest et du Sud-Ouest et la violence des contestations des populations anglophones. Dans cette perspective, bien que les élections organisées au Cameroun depuis plusieurs années soient officiellement présentées comme démocratiques, leur mauvaise qualité n'a pas permis aux populations des deux régions en guerre civile, comme à l'ensemble des électeurs camerounais du reste, de faire valoir leur volonté exprimée lors des différents scrutins locaux et nationaux.

En raison de la nature du système électoral qui est totalement au service de M. BIYA et de son parti, les élections successives n’ont pas permis la réalisation des aspirations profondes des populations anglophones dont l’attachement au « local government » est historique et connu. La crise anglophone est la consécration du rejet de l’élite politique du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Une élite politique produite par un système électoral assujettii au RDPC, une élite artificielle qui ne se sent aucune obligation de rendre compte aux populations. C’est bien parce que les députés et les sénateurs, notamment ceux originaires des deux régions anglophones, ne sentent pas le devoir de porter les aspirations de leurs populations qu’ils n’ont pas osé inscrire la question anglophone à l’ordre du jour du Parlement depuis novembre 2016; conscients qu’ils sont de tenir leur mandat moins de la volonté des électeurs que de celle du pouvoir. Tout ceci trahit la défaillance du système électoral actuel à porter aux responsabilités politiques ceux des candidats qui au cours des élections successives incarnent le choix du peuple.

Si, au-delà des incantations officielles, le Cameroun était un État de droit, la justice aurait enquêté, jugé et condamné tous les éléments des forces de sécurité, toutes les autorités administratives et tous les politiques qui, par leurs comportements depuis le début de la crise, ont radicalisé les populations anglophones et ouvert une voie royale au discours sécessionniste. Si la décentralisation avait été mise en oeuvre peu après l'adoption de la Constitution de 1996, il est fort probable que la crise anglophone n'aurait pas pris la tournure qu'elle connait aujourd'hui. Si, au lieu d'avoir des Gouverneurs et des Délégués du Gouvernement nommés ils étaient l'émanation de la volonté des populations librement exprimée, le pays ne serait pas dans l'état d'arriération et de fragilitéé sécuritaire actuelles. Si M. BIYA et son parti, le RDPC, étaient exposés aux sanctions électorales des Camerounais, comme cela devrait être le cas dans une vraie démocratie, on n'aurait pas attendu le début de la crise anglophone pour faire semblant de parler de la décentralisation. Le portail des camerounais de Belgique. Il faut être de très mauvaise foi pour ne pas voir que la crise anglophone actuelle partage en commun avec la crise post-électorale née du scrutin présidentiel d'octobre dernier la défaillance du système électoral, la mauvaise qualité des institutions, bref le déficit de démocratie. Quelle que soit la forme de l’Etat à laquelle le GDN ou les négociations sous la médiation Suisse aboutiront, il est clair que la qualité des élections, des institutions et de la démocratie sera déterminante dans la construction d’une paix véritable. Puisqu’il n’est pas possible d'envisager un système électoral, des institutions et une démocratie propres aux régions anglophones, il convient donc d’admettre que pour résoudre en profondeur la crise anglophone, il ne sera pas possible de faire l’économie d’une réforme consensuelle du système électoral, des institutions et de donner enfin, près de trente ans après l'adoption des lois sur le pluralisme politique, un contenu à la démocratie camerounaise. Cette démocratie là est le seul gage d’une légitimité des élus et des élites. A partir de cette analyse, il apparaît illusoire, comme le font M. BIYA et ses partisans, d’occulter la crise post-électorale dont on sait qu'elle n'est que le symptôme d'une société dont les institutions sont caduques h, dans laquelle les libertés individuelles et politiques ne sont pas respectées, et où il faut rendre effective la démocratie.

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