Michel Biem Tong "Il a existé deux Cameroun et il en existe toujours deux malgré les apparences"
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Michel Biem Tong "Il a existé deux Cameroun et il en existe toujours deux malgré les apparences" :: CAMEROON

Dans la suite de cet entretien accordé à camer.be, Michel Biem Tong, depuis son exil, revient sur les circonstances de son arrestation, sur ses deux mois de privation de liberté au Cameroun, sur son avenir dans son pays d’accueil, sur l’actualité politique au Cameroun.

En tant que cyber-activiste, vous vous êtes battus pour certains prisonniers de l’Opération anti-corruption Epervier au Cameroun. Vous avez à coups d’alertes sur les réseaux sociaux, plaidé pour leur libération car, souteniez-vous, ils sont des prisonniers politiques, comment s’est passé le contact avec eux là-bas ?

Le plaidoyer se poursuit. Il ne s’est pas arrêté. A mon arrivée à la prison centrale de Kondengui, l’un d’eux dont je préfère taire le nom est venu me chercher au quartier 4, vers 20H. Mais il est venu trouver que le quartier était fermé. D’autres m’ont apporté du réconfort et aussi beaucoup de conseils. J’ai pris du petit déjeuner avec d’autres un dimanche après la messe, quelques jours après mon arrivée à la prison. C’est dire s’ils me couvraient d’attention. J’ai compris lors de mon passage en prison l’importance d’être un journaliste engagé, au service des victimes de l’injustice judiciaire.

Quelles étaient vos conditions de détention ?

Acceptables aussi. J’étais au quartier 1 local 19 que je partageais avec 14 autres détenus. J’occupais un « mandat », dont un lit, au-dessus puisqu’il y avait 5 rangées de 3 mandats superposés. Et sur mon mandat, je ne pouvais pas m’asseoir puisque 10 cm séparait le lit de la dalle. J’ai attrapé un palu bizarre de ce côté accompagné d’un abcès douloureux au niveau de la lèvre inférieure. Je suis allé à l’infirmerie de la prison. Il m’a été prescrit des examens de sang et des médicaments m’ont été donnés. Mais j’ai été obligé de recourir à la pharmacopée pour que je me remette sur pied. Quand à l’abcès qui devenait hyper-douloureux, c’est un compagnon de prison qui me l’a percé pour que je me sente à l’aise.

Vous avez passé un mois à la prison centrale de Kondengui, vous en êtes sorti à la faveur d’une décision du président de la République portant arrêt des poursuites. Comment s'est passé cette journée du 14 décembre 2018 ?

Vers 16H, je crois, j’étais en train de discuter avec Sébastien Ebala, que beaucoup de Yaoundéens qui écoutent les débats sur la FM connaissent très bien. Il est arrivé la veille à la prison pour une affaire qui les opposent, lui et un confrère de Soleil FM, Mickael Dopass, à l’ancien capitaine des Lions indomptables Samuel Eto’o. Pendant qu’on discute, Pen Terence, un anglophone, de passage, me dit que mon nom figure sur la liste de ceux qui doivent sortir. Je le prends pour une blague. Après ma discussion avec Sébastien, j’entre au quartier 1 que j’occupais en prison, je vais prendre mon bain. A la douche, un détenu vient me remettre un mot. C’est le chef du bureau de la discipline des détenus qui voulait me voir. Une fois dans son bureau, il m’adresse des félicitations et me dit que je suis parmi les 83 détenus de la prison centrale de Yaoundé qui doivent sortir. Je repars au quartier pour prendre mon bain, puis je rentre dans mon local 19. C’est alors que des détenus accourent vers moi pour me dire de m’habiller rapidement car l’appel des heureux élus avait déjà commencé. Je m’habille rapidement, j’emballe tous mes sacs et je me rends au niveau de la cour de l’administration pénitentiaire pour attendre mon bulletin de levée d’écrou.

Dans un direct sur votre page Facebook récemment, vous dites avoir été menacé par le commissaire du gouvernement près le Tribunal militaire de Yaoundé d’être jeté en prison à nouveau, si vous continuez, pouvez-vous nous en dire plus ?

Effectivement, c’était ce jour-là sur la cour de l’administration pénitentiaire. Je suis approché par un homme qui m’a été présenté comme étant le commissaire du gouvernement près le Tribunal militaire de Yaoundé, Engono Eric Thadée. Il m’a dit deux fois à la cour de la prison qu’il est prêt à me reprendre et me mettre en prison si je continue. La dernière fois c’était au camp Yeyap de Yaoundé là où les 83 libérés se sont retrouvés. Devant le colonel Didier Badjeck alors porte-parole de l’armée, il m’a réitéré qu’il n’hésiterait pas à me reprendre si je continuais. Cette insistance à me prévenir en ces termes m’a amené à prendre ces menaces au sérieux surtout qu’elles venaient du patron du parquet militaire, surtout également que le Code de justice militaire du 12 juillet 2017 en son article 14 alinea 3 lui en donne la possibilité puisqu’il prescrit que l’arrêt des poursuites n’exclut pas leur reprise en cas de nécessité ou d’éléments nouveaux. J’ai donc compris que le parquet du Tribunal militaire de Yaoundé m’a interdit l’exercice de la profession de journalisme au Cameroun, du moins de manière aussi libre et indépendante que je l’exerçais avant mon arrestation.

Mais tout de même, est-ce que vous ne pensez pas avoir taillé le bâton avec lequel vous vous êtes fait battre ? Dans vos publications sur Facebook et même sur votre blog d’information www.hurinews.com , vous n’y allez pas de main morte en insultant les autorités, en accusant ces dernières et en diffusant des informations sans preuves

Et comment saviez-vous que mes articles et posts étaient rédigés sans preuves ? Mais c’est très simple. Lorsque vous sentez que les informations que j’ai publiées sur vous n’ont pas de preuves, portez plainte. Or je n’ai jamais fait l’objet d’une plainte pour diffamation au Cameroun alors que toutes les autorités qui ont été égratignées par ma plume acérée en avaient le pouvoir. Je n’ai non plus jamais été traduit devant le Conseil national de la communication. Mes informations n’étaient donc pas dénuées de preuves. Quant aux injures, en droit pénal, l’injure c’est tout propos portant atteinte à l’honorabilité d’une personne et qui ne repose sur aucun fait. Je n’ai donc jamais recouru à l’injure car tout ce que j’ai dit de certains barons du régime Biya s’est toujours appuyé sur des faits irréfutables. Vous savez, au Cameroun, les dirigeants se comportent comme des dieux sur terre, n’en parlons plus du président de la République qui est une figure totémique. Alors mon objectif était de tourner tout ce beau monde en ridicule comme le faisait Albert Camus à son époque, de manière à leur rappeler que sans le peuple camerounais, ils ne seraient rien. Le journaliste est aussi le fruit de son contexte. Il ne doit pas user d’un ton douillet, diplomatique face à des dirigeants aussi arrogants, inhumains et barbares que ceux du Cameroun. Mon style traduit simplement un sentiment de révolte face aux injustices que subissent les Camerounais. Rien à voir avec l’injure. Vous me rétorquerai que le journaliste doit rester neutre mais être neutre face à la dictature, l’injustice c’est en être complice.

Vous avez été en prison pendant presque 2 mois, mais on n’a pas vu le Syndicat national des journalistes du Cameroun se mobiliser autour de votre cause, on a même vu certains journalistes camerounais se réjouir de votre incarcération, qu’est ce qui explique une telle attitude de vos confrères vis-à-vis de vous ?

Honnêtement je ne saurais vous dire pourquoi. Mais cette attitude tant du Syndicat national des journalistes du Cameroun que de certains confrères quant à ma situation carcérale ne me surprend pas. Comme on dit souvent, celui qui fait quelque chose a contre lui ceux qui font la même chose. Ce que je vais dire va peut-être choquer mais quand vous lisez les journaux au Cameroun, vous écoutez la radio notamment dans les grandes villes de Douala et de Yaoundé, vous regardez la télévision, avez-vous le sentiment que le régime Biya a à craindre de la presse camerounaise ? NON. Vous savez, depuis la fin des années 2000, le régime Biya a réussi à reprendre en main la presse privée à coups de chantage économique et d’argent. En dehors de deux ou trois titres, de deux chaînes de radio ou télé qui font de timides rappels à l’ordre au pouvoir en place, le reste s’est complètement aligné derrière ce dernier. Conséquence, Paul Biya et son épouse peuvent dilapider l’argent du contribuable camerounais dans un hôtel suisse, les Anglophones peuvent être massacrés par des soldats au quotidien, des centaines d’opposants peuvent être jetés en cellule juste pour avoir manifesté pacifiquement, la famille Biya peut instrumentaliser le Tribunal criminel spécial pour incarcérer de potentiels successeurs à la présidence ou une personnalité au charisme affirmé qui ne courbe pas l’échine ou ne répond pas aux sollicitations financières de ce clan mafieux, et la presse camerounaise en reste indifférente. Au nom de la neutralité qui, pour de nombreux journalistes camerounais, signifie garder de la distance vis-à-vis de certaines injustices dont les Camerounais sont victimes. C’est justement parce que j’ai refusé ce type de « neutralité » que je me suis mis à dos certains de mes confrères camerounais.

Voilà pourquoi l’on vous considère comme un journaliste engagé

Ouf, en quelque sorte oui. J’ai consacré ma plume aux victimes des injustices judiciaires, aux faibles, aux opprimés, dans un style d’écriture qui frise l’impertinence car c’est ce que méritent les autorités camerounaises, qu’on les ramène à leur plus simple expression. C’est donc la raison pour laquelle lorsque je suis kidnappé puis jeté en cellule au SED par les agents de la Sémil, le Syndicat national des journalistes du Cameroun par la plume de sa représentation dans la région du Centre m’a renié en estimant que je n’étais qu’un « cyber-activiste », que « je méritais d’être jugé devant les juridictions appropriées », non sans avoir pris le parti du colonel Bamkoui en considérant comme parole d’évangile tous les mensonges qu’il leur vomissait au téléphone. En passant, j’attends toujours que ce colonel produise les deux autres bandes sur les trois qu’il m’a attribués lorsqu’il était au téléphone avec Ebah Thierry, le responsable du syndicat dans la région du Centre. Voilà donc le syndicat des journalistes de votre pays. Et ce qui m’écœure est que là-dedans, vous trouverez des donneurs de leçons, des gens prêts à vous rappeler les règles de l’éthique et de la déontologie journalistique. Or regardez comment ils se sont comportés face à ma situation. Ils ont pris fait et cause pour mes bourreaux sans tâcher jamais me rencontrer…

Donc aucun membre du Syndicat des journalistes ne vous a rendu visite ?

Aucun membre, au nom du syndicat, n’a jugé utile de me rendre visite. Ni au SED ni en prison encore mois à l’ouverture de mon procès au Tribunal militaire le 5 décembre 2018. Je me souviens que deux semaines après mon arrivée à la prison de Kondengui, Thierry Ebah est venu me voir avec feu Elisabeth Benkam, la conseillère du Syndicat décédée récemment. Tout ce qu’il a trouvé à me dire c’est de me rappeler ce que colonel Bamkoui lui a dit au téléphone me concernant et que ceux qui me soutiennent doivent me dire la vérité qui est que je me suis mal comporté et patati et patata. L’affaire Michel Biem Tong est venue révéler le vrai visage de la presse camerounaise. Une presse au service de la pensée unique entretenue par ces « colons » qui gouvernent à Yaoundé, une presse qui ne tolère pas la critique acerbe, la plume osée et courageuse. Mais ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain car certains de mes confrères m’ont soutenu, m’ont assisté matériellement et moralement, m’ont consacré les Unes de leurs journaux. Je profite de vos colonnes pour leur témoigner mon infinie gratitude.

On remarque qu’après votre sortie de prison, vous avez gardé la même langue serpentine, vous êtes resté critique envers Paul Biya et son régime, c’est pourtant grâce à son décret que vous êtes sorti de prison, est-ce que vos prises de position à son égard ne peuvent pas être considérées à raison comme de l’ingratitude ?

Dire que je doive remercier le président Biya pour m’avoir sorti de prison c’est reconnaître que je méritais la prison et que si je suis en liberté aujourd’hui, c’est parce que la providence a eu pitié de moi. D’abord ce que je vais vous dire est que la procédure judiciaire contre moi était d’une nullité absolue. J’ai été accusé de choses et d’autres sans être auditionné pour un chef d’accusation, sans être interrogé sur tous les autres. C’est une violation des droits de la défense qui emporte nullité absolue de la procédure. Mon dossier judiciaire était donc vide et ce n’est pas par hasard qu’à l’ouverture de mon procès le 5 décembre 2018, le représentant du parquet militaire a demandé un renvoi parce qu’il disait ne pas être prêt. Par ailleurs, le jour de ma sortie de prison, le ministère de la Défense a rendu public un communiqué faisant état de ce que ceux qui allait bénéficier des décisions d’arrêt de poursuite étaient ceux dont les dossiers judiciaires comportaient des « crimes moins grave ». Le ministère de la Défense a donc estimé que je n’avais rien fait de grave pour être en prison…

Mais vous aviez quand même fait quelque chose ?

Dans ce cas, qu’on me dise donc sur quelle base on me poursuit car comme je l’ai dit, je n’ai jamais fait l’objet d’un interrogatoire devant un juge d’instruction au Tribunal militaire. Ma libération n’est donc que justice qui m’a été rendue et cette justice n’est en rien une faveur mais un droit car je n’avais en fin de compte rien à faire en prison. En plus de cela, l’objectif de mon incarcération n’était pas de punir un délinquant ou un criminel mais de faire taire le journaliste que je suis. La preuve, quand le colonel Bamkoui échange au téléphone avec le patron du syndicat national des journalistes région du Centre, il dit à ce dernier que j’étais dans le viseur des services de sécurité depuis des mois, sans doute par rapport à mes écrits et mes prises de position. Puis une fois devant les enquêteurs du SED, c’est de l’exercice de ma profession de journaliste et d’influenceur web que de la bande sonore qu’on me parle. Puis une fois devant la capitaine Nkoa Akouna, cette dernière, après m’avoir jeté à Kondengui, reste dire aux membres de ma famille que je dois me taire. A ma sortie de prison, le commissaire du gouvernement près le Tribunal militaire me menace à son tour en me disant qu’il peut me reprendre à tout moment si je continue. Sans compter qu’une fois libéré, je découvre que je fais partie de 30 hommes politiques, acteurs de la société civile, journalistes et activistes suivis spécialement par les services secrets camerounais. Je n’ai donc pas à dire merci à Paul Biya car j’ai été injustement privé de liberté.

A votre sortie de prison, vous avez pris l’engagement devant certaines chaînes de télévision camerounaises de traiter de la crise anglophone dans un ton conciliateur, mais on ne le perçoit pas dans vos écrits ces derniers temps, qu’est-ce qui s’est passé entre temps ?

La manière dont je traite l’information y relative n’est pas de nature à mettre le feu à la baraque non plus. Ce fut une réaction à chaud. J’ai alors cru ce jour-là à travers cette mesure d’arrêt des poursuites que le pouvoir Biya était résolument engagé sur le chemin de l’apaisement. C’est pour cela que j’ai pris cet engagement d’y mettre du mien en tant que journaliste. Mais dans les jours, semaines voire mois qui ont suivi, les nouvelles qui me parvenaient de la zone anglophone m’ont amené à déchanter. Je me suis rendu compte que j’ai été bluffé.

Venons-en à votre regard sur l’actualité, parlant de la crise anglophone justement, vous y avez consacré une partie de votre combat quelques mois avant votre arrestation, vous avez écrit pas mal d’articles à propos, effectué des sorties sur votre page YouTube, quelles solutions préconisez-vous pour sortir de cette crise ?

Dans une lettre ouverte que j’ai adressée récemment à la communauté internationale et qui se trouve encore sur ma page Facebook, je pense avoir été clair à propos. Une crise socio-politique a pour déclencheur les injustices et c’est le cas de la crise anglophone au Cameroun. Pour en sortir, il faut simplement rendre justice au peuple anglophone, à savoir le rétablir dans sa souveraineté territoriale telle qu’elle aurait dû être proclamée le 1er octobre 1961. Cela ne doit faire l’objet d’aucune discussion ni dialogue mais de négociations dont le pouvoir Biya doit être non pas initiateur mais partie avec un médiateur international comme arbitre. C’est vrai que beaucoup m’accuseront encore de sympathie avec la cause dite « ambazonienne » mais qu’on m’apporte la preuve du contraire si je dis : que seul le Cameroun francophone, alors appelée la République du Cameroun, a eu son indépendance le 1er janvier 1960 et a été admis aux Nations Unies le 20 septembre 1960, que l’ONU a fixé la date d’indépendance du British Southern Cameroons, aujourd’hui devenu régions anglophones de la République du Cameroun, au 1er octobre 1961, que le fait que ce territoire jadis sous telle de l’ONU soit aujourd’hui deux régions de la République du Cameroun indépendante depuis janvier 1960 est contraire aux principes des Nations Unies notamment celui de la tutelle dont le but selon l’article 76 (b) de la Charte de l’ONU est d’assurer le progrès socio-politique et culturel des peuples vivant sur les territoires sous tutelle en vue leur indépendance. Ce n’est pas Biem Tong qui le dit, c’est écrit noir sur blanc sur la Charte des Nations Unies.

Mais vos propositions de solution visent non pas à garantir l’intégrité territoriale du pays mais à le diviser

On ne peut pas prôner quelque chose qui existe déjà. Il a existé deux Cameroun et il en existe toujours deux malgré les apparences. Et ce n’est pas moi qui le dit mais le gouvernement camerounais qui en a lui-même donné la preuve. Lorsque le 1er janvier 2010, le gouvernement organise le cinquantenaire de l’indépendance, est-ce que le 1er janvier 1960, le Cameroun anglophone était concerné par cette indépendance ? NON. Est-ce qu’en célébrant le cinquantenaire de l’indépendance, le pouvoir de Yaoundé n’a pas lui-même donné la preuve qu’il existe deux Camerouns ? Comment peut-on se proclamer un Etat un et indivisible et se souvenir au point de le célébrer qu’une partie de cet Etat a été indépendante et pas l’autre partie ? Lorsque le 31 décembre 2009, Paul Biya reçoit au palais d’Etoudi à Yaoundé, des émissaires de l’ONU qui lui montre deux cartes du Cameroun, l’une du Cameroun francophone et l’autre du Cameroun anglophone, pourquoi n’a-t-on pas accusé Paul Biya d’avoir reçu des « divisionnistes » au palais de l’Unité ? Pourquoi ne l’a-t-on pas accusé de promouvoir le « divisionnisme ». Moi je crois que nous devons regarder la réalité en face si nous voulons sortir définitivement de cette crise et que si nous aimons les Anglophones, nous devons respecter leur histoire, leur passé, leur culture, leur spécificité.

En ce moment, des centaines de militants du Mouvement pour la renaissance du Cameroun y compris son président Maurice Kamto, sont en prison, sans compter des lanceurs d’alertes tels que Paul Chouta qui lui aussi est détenu à la prison centrale de Yaoundé depuis quelques semaines, quel regard jetez-vous sur cette situation ?

C’est de la désolation. Le Cameroun est devenu un Etat sauvage. L’Etat s’est complètement ensauvagé dans notre pays au point de devenir plus un danger qu’un protecteur pour le citoyen. Il est inconcevable que rien que pour avoir manifesté pacifiquement, rien que pour avoir dénoncé le pouvoir, l’on soit jeté en prison. C’est scandaleux ! J’ai peur pour les années à venir. Mais je crois, pour être franc avec vous que Paul Biya aura été la pire des choses qui soit arrivée à ce pays. En ce moment où il est au crépuscule de son règne, il nous aura légué un lourd héritage : un groupuscule de faucons extrémistes qui se dit de la race des seigneurs, des nobles, née pour gouverner et que personne d’autres qu’un élu de leur race ne pourra remplacer Paul Biya. C’est cette race de « saigneurs » qui depuis 37 ans aide Biya à détruire le pays et représente le plus grand danger pour l’avenir de ce pays.

Attention à ne pas verser dans le tribalisme…

Non, loin de là, puisque moi-même j’ai du sang de cette race qui coule dans mes veines. Mais j’ai été chassé d’un groupe whatsapp créé par des membres de cette race sous le prétexte que mes critiques vis-à-vis du régime portaient atteinte à leurs intérêts. Le drame est qu’ils parlent au nom des populations de cette race qu’ils ont pourtant littéralement appauvri et qui ne les a pas mandaté pour parler à leur nom. C’est ce groupe d’individus qui a créé le faux coup d’Etat manqué d’avril 1984 et liquidé des centaines de gendarmes et soldats de l’ancienne Garde Républicaine, jeté des centaines d’autres en prison à cause de leur faciès. C’est ce groupe d’individus qui a installé le tribalisme au sommet de l’Etat en dressant les Camerounais contre une tribu dont il a décrété qu’elle ne gouvernera jamais à Yaoundé. Et pour ce faire, ils mettent à contribution un ministre-miche de pain originaire de cette tribu. Quel cynisme ! Quelle méchanceté ! C’est un membre de cette race qui avait déclaré à Ndzana Seme, un journaliste camerounais exilé aux USA qu’un membre de la tribu en question ne prendra jamais le pouvoir au Cameroun. C’est ce ramassis d’extrémistes qui a créé des milices terroristes telles que CAFE, Nkul Nnam, au début des années 1990 pour tuer les étudiants contestataires qui, aujourd’hui qu’ils sont exilés en Europe, ont créé la Brigade anti-Sardinard qu’il traite de tous les noms d’oiseaux, c’est ce groupe occulte qui a créé l’Opération Epervier pour séquestrer en prison ou contraindre à l’exil les hauts commis de l’Etat brillants et compétents qui leur font ombrage dans leur volonté de confisquer le pouvoir ad vitaem eternaem. C’est cette race de « nés pour gouverner » qui a ordonné le massacre des anglophones et détruit leur région. C’est elle qui a déversé une horde de cyber-criminels sur les réseaux sociaux pour diaboliser la tribu en question. C’est cette race de « saigneurs » qui instrumentalise le Tribunal militaire pour maintenir Maurice Kamto, certains de ses militants et les contestataires anglophones en prison. Cette race de jouisseurs et d’incompétents a étendu ses tentacules dans l’armée, la police, le renseignement, la justice y compris celle militaire, le monde des affaires et les médias (une télévision bien connue est chargée de faire sa propagande). Ce groupuscule terroriste aidé en cela par quelques nègres de maison ont détruit notre vivre-ensemble et sont sur le point d’exposer le Cameroun à une grave crise économique et alimentaire à cause d’une sale guerre qu’ils entretiennent en zone anglophone. Ce sont ces partisans de la thèse « après Biya, c’est Biya » que les Camerounais doivent combattre avec la dernière énergie car ils représentent un véritable danger pour l’avenir de notre pays.

Vous parliez de la Brigade anti-Sardinard (BAS) tout à l’heure dont vous semblez être le porte-voix, est-ce à dire que son côté violent vous le passez par pertes et profits ?

Ce n’est pas la BAS qui tue des milliers d’anglophones, ce n’est pas la BAS qui a réprimé les manifestants de la marche blanche le 26 janvier dernier, leur a tiré dessus au flash ball, les a arrêté, torturé, jeté en cellule puis en prison, ce n’est pas la BAS qui a massacré des centaines de Camerounais lors des émeutes de février 2008. A ce qu’il me souvienne, je n’ai jamais vu les membres de la BAS avec une arme à feu ou une arme blanche. Malheureusement, pour les affidés de ce régime, la violence c’est toujours les autres. La stratégie bien connue du pouvoir de Yaoundé a toujours été de diaboliser les forces de lutte pour le changement afin de décourager tout camerounais à les intégrer. Même lors des incidents survenus le 2 présidentielle qui ont brutalisé les membres de la BAS qui n’avaient avec eux que des drapeaux du Cameroun. Il s’agit, comme je l’ai dit plus haut, d’un groupe de jeunes camerounais de la diaspora dont le noyau dur est constitué d’ancien étudiants chassés de l’Université de Yaoundé au début des années 1990 et dont les actions concourent à prendre l’opinion internationale à témoin sur l’illégitimité du pouvoir Biya et ses violations massives des droits humains.

Vous êtes certes à l’étranger mais pensez-vous être à l’abri car on sait très bien que le journaliste Pius Njawe a trouvé la mort dans des circonstances assez suspectes aux USA, que l’ancien militaire et homme politique Guerandi Mbara a été piégé en Bulgarie puis ramené au Cameroun ?

Pourquoi ne parlez-vous pas de Général Wanto, d’Emmanuel Kemta, de Patrice Nouma, de Ndzana Seme, de J.Remy Ngono et de bien d’autres qui sont à l’étranger et continuent d’interpeller ce régime malgré les menaces qui pèsent sur eux ? Je ne vois vraiment pas quelle est la raison qui peut pousser ce régime à dépêcher un commando dans mon pays d’accueil pour m’enlever ou me tuer. Je ne suis pas un chef rebelle, je n’ai jamais porté une arme ni appelé à la prise de celle-ci encore moins menacé la sécurité du pays. La seule arme dont j’use c’est la plume et la voix. C’est tout. Mais que ceux qui ruminent mon assassinat où mon kidnapping n’ont qu’à venir me tuer et rester éternellement en vie, c’est tout le mal que je leur souhaite. Quand à mon kidnapping et mon transfèrement à la Ayuk Tabe, qu’ils oublient car ça ne marchera pas. Je ne suis pas au Nigéria. Je les préviens déjà.

Beaucoup de gens pensent que cet exil, vous l’avez cherché, que vous avez cherché la prison afin d’avoir un prétexte pour vous installer en Europe

Malheureusement, je ne suis pas en Europe. Ceux qui le disent sont complexés. Comme si détruire une vie que l’on a si bien construite chez soi pour tout recommencer ailleurs est aisé. Non, soyons sérieux. Donc si je comprends bien les tenants de cette thèse, je savais bien que le 23 octobre 2018, Bamkoui et ses agents allaient m’enlever pour me mettre à la disposition du SED où je serai accusé entre d’autres d’apologie de terrorisme ! Attention, j’ai risqué la peine de mort et n’allez pas me faire croire que j’ai risqué la peine de mort pour aller m’installer en Europe. Ceux qui le disent ne savent pas de quoi ils parlent.

Quand comptez-vous rentrer au Cameroun ?

Je ne suis pas en exil pour y demeurer surtout que ce n’est pas de gaieté de cœur que je m’y trouve, c’est l’instinct de survie qui m’y a poussé. Aussi longtemps que le Cameroun demeurera une jungle, je n’y mettrai pas les pieds. Je ne reviendrai que quand ce pays sera résolument engagé sur le chemin de la démocratie et du respect de la personne humaine. Ce moment, heureusement, n’est pas si éloigné.

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