Crise anglophone : impressions et solutions de Eric Chinje
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L’ancienne star de la Crtv va et vient au Cameroun depuis deux mois, pour essayer de trouver des solutions à la crise qui ravage sa région d’origine. Il est passé par la rédaction du Jour.

Personne ne lui donnerait la petite soixantaine qu’il arbore de manière joviale et sportive, dans ce blue jean et ce polo qu’il porte comme un teenager. Son éternel sourire et son visage toujours prêt à s’éclairer n’a pas pris la moindre ride. L’ancienne star de la Télévision camerounaise, venu pour trois jours, est depuis deux mois est au Cameroun, d’où il n’arrive pas à repartir. Il multiplie les rencontres avec les personnalités – qui lui ont gardé un certain respect- revoit de la famille, renoue des contact, avec un but : comprendre ce qui arrive à son pays, trouver une (des ) solutions....

L’autre jour, il est arrivé à la rédaction du Jour, flanqué de son vieil ami Mbanga Kack. Il s’est émerveillé devant quelques livres qui trainaient dans la bibliothèque, s’est longuement attardé devant « Mensonges d’Etat » de Urbain Olanguena Awono a demandé « l’avion du président » de Boris Bertholt (dont il est l’auteur de la préface), avant de s’asseoir, dans un soupir. Et son air est devenu sérieux, très sérieux. On ose alors une question, de confrère à confrère : « Comment juges-tu le Cameroun que tu as retrouvé ? » Long soupir puis : « Après 30 ans ( il est parti en 1991 pour Harvard avant d’enchainer à la Banque Mondiale, à la Bad, à Africa Media Initiative Etc.), je revenais au Cameroun pour des courts séjours, de 3 jours à une semaine. Je n’avais jamais eu le temps de m’arrêter, de sentir battre le coeur de mon pays. Au bout de deux mois, je crois que ma déception est à son comble : d’abord la ville de Yaoundé, ma ville, une ville que j’ai aimée...L’étendue a été multipliée par 10. Camer.be. Mais quelle croissance anarchique ! Cette croissance révèle le reste. Et je me suis posé des questions : est-ce cela que nous méritons ? pouvait-on mieux faire ? qu’est-ce qui s’est passé entre-temps ? De l’aéroport de Nsimalen au centre ville, je me suis mis dans la peau de quelqu’un qui découvre le Cameroun, et je crois que c’était presque honteux. Plus aucun pays au monde n’a ce visage d’inorganisation et j’ai depuis le temps, parcouru des pays... » avant de conclure, l’air rêveur, en étendant le bras, la paume de la main ouverte vers le sol : « Mon avis, c’est qu’un jour, on créée une nouvelle capitale, là-bas, dans la grande plaine du Mbam, là où tout est plat. C’est au coeur du Cameroun, et on peut y construire une ville nouvelle, en prenant le soin de tout mettre en ordre avant. Le Nigeria l’a fait à Abuja, le Sénégal à Diamnadio, le Brésil à Brasilia... »

Changement de posture, il se lève, refait un tour dans la bibliothèque, revient avec entre les mains, un autre livre, « D’où vient l’argent des Blancs », Daniel Etounga Manguele... Et sans que l’on lui pose d’autre question, il enchaine : « J’ai vraiment redécouvert mon pays, dans ses côtés les plus compliqués. » Et le voilà en train de raconter, à travers une affaire foncière qu’il a traitée, les moeurs bien particulières de notre administration : forces de l’ordre, administration, justice. Où tous les fonctionnaires exercent une ponction sur le dossier qu’ils traitent. Et dans un éclat de rire, il résume « A la fin, dans mon affaire de terrain, je ne savais plus qui était mon avocat, le magistrat, le vendeur, le démarcheur...

Ce que j’ai vu, si on ne le corrige pas, n’osons pas parler de Justice, de Progrès. Le degré de pourrissement que j’ai vu est tout simplement effrayant. On a presque tout perdu ! » Je le provoque sur une déclaration faite au cours d’une interview télévisée, sur le personnel des ambassades et leur origine, et les habitudes linguistiques dans les ces lieux de travail dépendant de la République, qui a ses langues officielles... Le voilà reparti : « Oui, j’ai fait cette déclaration. Car seule la vérité va nous sauver. Nous et notre pays. On doit pouvoir se regarder dans les yeux et se parler. Tout ce qui est sorti de ma bouche, je l’assume. Le site de la diaspora camerounaise de Belgique. Je vais vous faire une révélation : lorsque j’étais à la Banque Mondiale, le président de cette institution, il y a une vingtaine d’années, avait réuni une vingtaine de chefs d’Etats africains, et a demandé à chacun ce qui était LE PROBLEME de son pays. Chaque président a dit quelque chose. Et au tour de Paul Biya, il a dit, « Le tribalisme »...C’était le seul qui avait dit cela. Les autres chefs d’Etat s’étaient plaints du manque de ressources naturelles, de ressources humaines. Je suppose que c’était dans un élan de grande sincérité. Si c’était le cas, comment ce qui est le gros problème de notre pays n’a jamais connu un effort de réparation ? Ni même de discussion ? J’ai seulement pris l’exemple des ambassades. Ceux qui le contestent n’ont à apporter la preuve du contraire...Je ne l’ai pas dit pour nuire à quiconque, je cherche la cohésion dans mon pays ».

Attaque sur un autre sujet, en prêchant le faux pour avoir le vrai. « Comment as-tu trouvé Santa ? » ( Son village natal, situé entre Mbouda et Bamenda, à l’entrée de la Région du Nord- Ouest). Sourire gêné, puis « Eh ben, malgré toute mon envie, je n’ai pas pu y faire un tour, comme d’habitude. Je voulais aller voir la famille, en commençant ma soeur aînée. Tout le monde m’a supplié de ne pas y mettre les pieds, à cause de l’insécurité, des kidnappeurs qui devraient sauter sur l’occasion, je serais une cible intéressante pour eux. Comment dans mon pays je ne peux pas aller dans mon propre village ? ». Belle entrée en matière donc, pour embrayer sur la question qui fait problème, et son analyse de la situation : « J’ai essayé depuis le début de cette crise, de faire des choses, j’ai même écrit aux « Ambas », pour éviter l’escalade. On aurait pu éviter cette crise, c’est ce que la majorité des Camerounais ne savent pas. Le portail des camerounais de Belgique. Il y a dans ce gouvernement, des gens qui pensent que l’envoi des forces armées et la puissance de feu sont une solution. Or c’est faux. J’ai toujours déroulé ma solution, qui tient en trois points : 1) la réconciliation avec l’Histoire 2) la Gouvernance 3) Le quotidien des citoyens. Les anglophones, jusqu’en 1972, vivaient une autre réalité. Un détail : il y avait des « Sanitary inspectors », en charge de veiller à la propreté des villes et des quartiers. Et le moindre déchet jeté sur la voie publique était passible d’amende. Même les personnes habillées de manière peu convenable étaient approchées par ces inspecteurs. Il y avait des « Vehicle Inspection Officers » qui veillaient à la conformité de tout ce qui circulait. Il y avait des « Commissions of enquiry », qui se dépoyaient, dès que l’on suspectait le moindre détournement d’argent public.

Les gens de ma génération se souviennent d’un certain Mr Lebaga, dirigeant d’entreprise publique, qui s’offrit une Pontiac. Quelques jours après l’arrivée de la voiture à Buea, il fut débarqué ! Il y avait le Public Department Works, les travaux publics, qui veillaient à construire et à réparer les routes. Il n’y avait pas de trous sur les routes ! Un « civil servant » ne pouvait pas se permettre de faire un investissement sans rapport avec sa feuille de paie. La vie et le service publics étaient sains ! Si je rappelle tout cela, c’est pour souligner qu’il y avait une gouvernance rapprochée, doublée d’une véritable qualité de la vie. Ce qui fait que le décalage a été trop fort....Dès les années 70, les anglophones soucieux d’éducation ont commencé à émigrer en masse, un véritable exode. Et ce sont ces exclus, ou autoexclus qui apportent leur support à la lutte armée des « Ambazoniens ». Il prend le temps de souffler un peu, avant de continuer sur sa lancée : « Au tout début, c’était des marginaux qui osaient parler de sécession. Aujourd’hui, la tendance est à l’inverse. Pourquoi ? L'info claire et nette. A cause de la gestion de cette crise par le pouvoir. Cette crise s’est enlisée le jour où des gens ont cru que des militaires avaient la solution. A chaque fois que l’on a un mort, c’est un Camerounais que l’on a perdu. Le 1er octobre 2017, les premiers coups de feu ont retenti. Les jeunes ont pris le chemin de la brousse et ont empoigné les armes de leurs parents. On avait tiré à balles réelles sur des gens qui marchaient avec dans les mains, l’arbre de la paix. Dans la gestion de cette crise, le gouvernement, de 2017 à nos jours, est passé d’une erreur à une autre. Et il y a cette atmosphère générale de suspiscion et de corruption : les gouverneurs et administrateurs s’arrogent des terres, lorsqu’on vous appelle au téléphone, vous n’osez plus décrocher, car au bout du fil c’est un chantage qui s’annonce, voilà notre ordinaire dans le Nord Ouest et de Sud Ouest

L’atmosphère, détendue au début de l’entretien est devenue lourde. Quel est dont le sentiment de l’homme qui dans quelques jours va repartir courir le monde, comme à son habitude ? Il relève le regard puis : « J’ai rencontré quelques hauts responsables qui m’ont dit que la situation sera décantée dans 3 à 6 mois. Je ne suis pas rassuré, mais je garde espoir. Je pars sur cet espoir, que finalement, les consciences vont s’éveiller. Mais je tiens à souligner qu’au sein du gouvernement, il y a des gens qui entretiennent cette guerre. Il y a des deux côtés, des gens qui profitent du conflit. La paix dans ces conditions a-t-elle une chance ? Il faut, je crois, opérer un retrait de l’armée et laisser uniquement la police. Les meurtrissures à ce jour sont graves dans toutes les familles. J’ai perdu des cousins. Mais je m’interroge encore : comment depuis le début de cette terrible affaire, le Sénat, l’Assemblée Nationale n’ont jamais mis la question sur un ordre du jour ? » Il secoue la tête. ...Mais on ne peut se séparer sans parler de médias. Là son visage s’assombrit à nouveau « Très peu de pays ont la ressource humaine que le Cameroun a. A distance, on a l’impression que le Cameroun a une presse dynamique et flamboyante. Mais après deux mois, j’ai découvert la supercherie, et je me pose des questions : est ce que cette presse est capable d’accompagner le pays dans la direction qu’il faut ? Ma réponse ‘est beaucoup d’inquiétudes. On ne peut pas développer une démocratie avec une presse qui ne peut pas aider à comprendre ce qui se passe. La presse doit critiquer la politique. Après trois ans de guerre civile, qu’a dit, qu’a fait cette presse pour que l’on puisse comprendre ce qui se passe dans cette partie meurtrie du pays où il y a une cinquantaine de morts en moyenne tous les mois ? Chaque journaliste digne de ce nom doit pouvoir faire quelque chose et l’Etat a le devoir de mettre les moyens pour ce travail républicain. »

Dernier souci : Eric Chinje a beaucoup parlé pendant son séjour au Cameroun. N’y a-t-il pas de gens qui lui ont intimé l’ordre de se taire ? « Oh oui, on l’a fait, à la camerounaise, en demandant à une grand ’frère que j’aime bien de me transmettre le message »...

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