Marie-Philomène Nga : « Au cinéma, je porte le Cameroun en moi »
CAMEROUN :: CINEMA

Marie-Philomène Nga : « Au cinéma, je porte le Cameroun en moi » :: CAMEROON

Vous êtes la marraine et la présidente du jury de la 5e édition du festival Yarha organisé récemment à Yaoundé. Quelles raisons vous ont conduite à enfiler ces casquettes ?
C’est la première fois qu’on me sollicite professionnellement pour venir sur ma terre natale, le pays de mes ancêtres. Je vais partout, en Afrique de l’Ouest particulièrement, pour des événements artistiques et cinématographiques en particulier. Et ensuite je suis venue, parce que c’est une femme qui m’a sollicitée. Nous nous étions croisées au festival de Cannes en février dernier, alors que je me trouvais là avec d’autres actrices, coauteures du manifeste « Noire n’est pas mon métier ». Nous avons échangé. C’est une femme comme moi, une femme entrepreneure en plus, et je crois que le monde tel qu’il est aujourd’hui a seulement été conçu par des hommes. Et selon moi, si les femmes prenaient les choses en main avec la contribution des hommes, peut-être nous pourrions changer la dynamique du monde pour les jeunes générations.

Ce séjour au Cameroun a-t-il inspiré des projets professionnels liés à votre pays natal ?
Dans toutes mes activités artistiques, je considère que je porte mon Cameroun en moi. Ici ou ailleurs, je reste une véritable ambassadrice de la culture camerounaise. Pour ma part, depuis toutes ces années où j’ai fait le tour du monde, en passant notamment par l’Inde où je suis parallèlement chanteuse, je représente mon Afrique, et surtout mon Cameroun. L'info claire et nette. Je l’ai fait au premier festival de Café Théâtre de la Francophonie à Ivry il y a quelques années. Je n’ai pas vraiment besoin d’attendre d’être au Cameroun pour effectuer des activités qui me rappellent que j’ai mes racines ici. Je constate cependant qu’il y a une grande émulation au Cameroun, beaucoup de créativité, même si elle n’est pas toujours soutenue. Je serai ravie d’y apporter ma contribution.

Au Festival de Cannes 2018, vous avez présenté l’ouvrage « Noire n’est pas mon métier » qui dénonce les discriminations contre les femmes noires dans le cinéma français. Quelle portée a eu ce projet ?
Je tiens d’abord à dire que les 16 actrices noires de toutes générations qui ont participé à la rédaction de cet ouvrage ne sont pas les premières à livrer ce combat. Des acteurs et des actrices noirs nous ont précédées dans cette œuvre il y a très longtemps. La parole se libère aujourd’hui, mais il est important de souligner l’action de personnes comme Lydia Ewande qui s’en est allée il y a deux ans. Cette actrice d’origine camerounaise a fait un long parcours et a excellé dans le cinéma français, au point d’être la seule Noire à avoir remporté le prix Cocteau. Mais elle a eu les problèmes que nous rencontrons aujourd’hui, tout comme nos consœurs des Antilles à l’instar de Jenny Alpha, ou encore Darling Légitimus et Toto Bissainthe, les premières dans les années 50 à interpréter la pièce de Jean Genet, « Les nègres ». A l’époque, 13 Noirs se sont mis ensemble pour dénoncer le traitement infligé par les Blancs aux Noirs. Notre ouvrage est donc un collectif de visions individuelles, mais il n’est pas le premier manifeste dans ce sens. Nous sommes des porte-paroles. Nous sommes des acteurs, mais nous dénonçons les injustices dans tous les domaines. Il y a quelque chose de grand derrière ce mouvement. Je suis l’unique dans mon engagement qui est une franco-camerounaise, et moi je me bats pour mon Afrique .

Quels changements cette action peut-elle apporter au fait que les acteurs noirs sont en général destinés aux rôles stéréotypés ?
Il faut avoir le courage de dire certaines choses haut et fort. C’est ainsi qu’elles peuvent changer. Cela peut être considérer comme de l’autocensure si vous dénoncez des injustices que les autres prennent l’habitude de cacher. On peut avoir peur de prendre la parole, car on peut vite passer à la prise de position politique. Mais je me suis dit : si mon expérience peut créer, inspirer, je le fais ! On me propose très souvent de jouer le rôle de mère. C’est le plus beau rôle à mon avis. Mais quand cette mère, selon la conception du cinéma français a des dialogues comme « moi je ne sais pas parler français », habite dans une cité, a un fils délinquant, est une femme de ménage, entre autres clichés, je trouve cela intolérable. Ou alors si une actrice noire a un corps de gazelle, elle est tout de suite appelée pour des rôles érotiques. J’ai envie de dire, le Noir n’est pas un délinquant. Il faut arrêter les préjugés. Il est temps que les Noirs écrivent eux-mêmes leurs scénarii pour se valoriser.

Vous avez souvent partagé l’affiche avec Aïssa Maïga, l’une des plumes de cet ouvrage. Le changement peut-il venir d’actrices de la nouvelle génération comme elle ?
C’est très complexe. Parallèlement à cette prise de parole à travers « Noire n’est pas mon métier », il faut d’autres actes forts de cette nouvelle génération. Et cela passe par le travail acharné. Ce qui m’intrigue, c’est que les jeunes artistes ne vont pas à la recherche de l’information. Il faut arracher le pouvoir. Si on attend qu’on vienne nous servir, on ne pourra jamais rien faire. A mes débuts, la vie m’a donné l’opportunité de faire la rencontre de Darling Légitimus qui était merveilleuse dans « Rue Cases-Nègres ». Quand j’ai interprété la reine noire dans « Les nègres » de Jean Genet, j’ai pris exemple sur le jeu de Jenny Alpha que j’ai rencontrée quand je suis allée pour la première fois au Cloître des Célestins à Avignon. J’ai aperçu cette beauté noire en train de déclamer le texte d’un auteur malgache. Tout ceci pour dire qu’en tant que jeune, on peut aller à la recherche de ces personnes qui ont de l’expérience.

En plus de 30 ans, vous avez incarné différents rôles parfois complètement à l’opposé les uns des autres. Où puise-t-on la force de se renouveler à chaque fois ?
Je suis une artiste. Par conséquent, j’ai cette capacité qu’ont les acteurs et les actrices de prendre les émotions des autres et les transposer dans leur propre vie. Il faut appréhender le personnage, le connaître. Je me surprends quelques fois, je dois l’avouer. J’ai joué une maman africaine proxénète dans un film avec Eriq Ebouaney ! Pour travailler au mieux, il faut avoir le sens de l’observation. J’ai été formée d’abord ici au Cameroun. Je suis passée par « Les génies noirs » à Douala, où j’ai appris le ballet, le théâtre, la danse, avant de me rendre en France au conservatoire national d’art dramatique de Lyon. Ce ne sont pas toutes ces formations, tous ces titres qui donnent un nom ou du ta- lent. En plus du travail et il y a également des bonnes rencontres. J’ai eu la chance de croiser une professeure de diction, Jacqueline Dunoyer qui m’a malmenée au conservatoire. Elle a été ma meilleure guide. C’est la formation à la base qui est ma force. Danser, chanter, pour moi c’est un tout.

Vous avez travaillé avec Lucien Jean-Baptiste qui est à la fois acteur et réalisateur. Comme lui, avez-vous jamais envisagé une carrière de réalisatrice ?
Je n’y ai pas vraiment pensé, mais ce n’est pas impossible. La chose que je fais le mieux, là où j’excelle et où je peux servir, c’est devant le public. J’aime l’idée d’être un instrument qui parle aux autres, qui transmet des idées. Souvent je me regarde à l’écran et je n’ai pas l’impression de me reconnaître, tant je suis dans le rôle que j’incarne .

Lire aussi dans la rubrique CINEMA

Les + récents

partenaire

Vidéo de la semaine

évènement

Vidéo


L'actualité en vidéo