Burkina Faso : le «petit président» sera-t-il extradé par la France ?
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Burkina Faso : Le «Petit Président» Sera-T-Il Extradé Par La France ?

La demande d'extradition de François Compaoré, frère cadet du président déchu Blaise Compaoré, était examinée mercredi au palais de justice de Paris. Une audience qui a convoqué à la barre l'histoire récente du pays. Mais aussi des fantômes plus anciens. En attendant une possible décision le 13 juin.

A 17h15, l’avocate générale interrompt soudain l’audience : «Quelqu’un enregistrait nos propos», accuse-t-elle, brandissant soudain un petit enregistreur saisi par un gendarme. Dans cette petite salle du palais de justice de Paris, mercredi, un brouhaha parcourt alors les rangs du public, qui écoutait jusque-là bien sagement les avocats polémiquer autour du destin d’un homme, voire de celui d’un pays d’Afrique de l’Ouest, situé à plusieurs milliers de kilomètres de là : le Burkina Faso.

«Enregistrer nos débats, c’est interdit. Et passible du tribunal correctionnel, ainsi que d’une amende de 4 500 euros», gronde la présidente de la cour, qui demande à voir la fautive. Une jeune femme élégante se lève, hésitant entre le rire et la gêne. «Qui êtes-vous ?» interroge la présidente. «Salah Ouedraogo Compaoré», décline la jeune femme. Avant d’ajouter : «Je suis son épouse», en désignant d’un geste vague l’homme assis sur une chaise face aux juges. Et dont on examine ce jour-là, la demande d’extradition formulée par l’Etat du Burkina Faso. L’audience a commencé tard. Après l’examen d’une série de demandes d’extradition pour de petits délinquants, dealers de shit ou braqueurs de voitures, voilà soudain que l’histoire récente de l’Afrique s’invite à la barre.

Mandat d’arrêt international

Le cas examiné en l’occurrence, c’est celui de François Compaoré. Il a l’air fatigué, pas très vaillant, assis sur cette chaise d’écolier. Derrière lui, ses avocats, dans leurs robes noires virevoltantes, ont été stoppés net par ce petit incident de séance, alors qu’ils dénonçaient avec fougue les lacunes du dossier présenté par l’Etat burkinabé, qui réclame le retour au pays du «petit président». Un surnom qui lui colle encore à la peau.

Même ses avocats l’évoquent. Ou plutôt s’en servent pour dénoncer une «affaire politique» qui n’aurait rien à voir avec la procédure judiciaire dont il fait actuellement l’objet dans son pays natal. Aujourd’hui âgé de 64 ans, François Compaoré, il est vrai, n’est pas n’importe qui. C’est le frère cadet de l’ex homme fort du pays, Blaise Compaoré qui après vingt-sept ans de règne sans partage a été chassé du pouvoir fin 2014 par une insurrection populaire. Au cours de ces journées historiques, où tout a soudain basculé, les deux frères et leurs familles, ont dû être précipitamment exfiltrés du pays par l’armée française. Depuis, Blaise s’est installé dans la Côte d’Ivoire voisine, François faisait la navette entre Abidjan et Paris où résident sa femme et ses cinq enfants. Jusqu’au 29 octobre, lorsqu’il a été arrêté à son arrivée à Roissy sur la base d’un mandat d’arrêt international.

La chute du régime Compaoré a vite fait resurgir de vieux fantômes qu’en réalité personne n’avait oubliés. Il y a bien sûr Thomas Sankara, le célèbre leader charismatique et tiers-mondiste qui dirigea le pays à partir de 1984, jusqu’à son assassinat en 1987. Les meneurs de l’insurrection de 2014 se revendiqueront de son héritage. Mais ils scandaient aussi un autre nom : celui de Norbert Zongo, le plus célèbre journaliste du pays, assassiné en 1998. Alors que Blaise est souvent accusé d’avoir orchestré le meurtre de Sankara dont il prendra la place à la tête du pays, son frère cadet est lui, régulièrement depuis vingt ans, soupçonné d’avoir commandité l’assassinat de Norbert Zongo, qui au moment de son décès enquêtait sur la mort mystérieuse du chauffeur de François Compaoré.

«Nouvelles preuves»

«Norbert Zongo était le seul vrai journaliste d’investigation. Le seul qui osait s’intéresser aux affaires du pouvoir», rappelle Anta Guissé, l’avocate de l’Etat burkinabé. L’enquête judiciaire sur la mort de Norbert Zongo, s’est officiellement achevée par un non-lieu en 2006. «Une information judiciaire qui a duré sept ans, et a même fait l’objet d’un appel», souligne Thierry Chicheportiche, l’un des avocats de François Compaoré, qui rappelle également que son client «avait été entendu deux fois comme simple témoin». Dans ce pays alors tenu par Blaise Compaoré, aurait-il été de toute façon possible d’incriminer le petit frère du Président ?

Le changement de régime va en tout cas permettre de relancer l’enquête en avril 2015. Deux ans plus tard, le mandat d’arrêt délivré contre François Compaoré serait notamment justifié par «de nouvelles preuves découvertes à son domicile». Elles ne figurent pas dans le dossier d’extradition. «Car elles n’existent pas !» tempête Pierre-Olivier Sur, ténor du barreau parisien et principal conseil de François Compaoré.

Juste après la fuite de ce dernier, le 31 octobre 2014, sa maison avait été mise à sac avec une rage évidente. Les jours suivants, une foule de curieux arpentait les pièces éventrées dont le sol était recouvert de centaines de lettre et de documents. Mais à l’époque il est vrai, les badauds semblaient bien plus fascinés par les étranges découvertes de viscères, crâne et cheveux humains dénichés dans les murs et dans le jardin. Ces obscurs gris-gris n’ont pas été évoqués mercredi. Seul François Compaoré y fera vaguement allusion dans son adresse finale en dénonçant «ceux qui l’ont accusé de boire du sang humain».

«Supplément d’informations»

Auparavant, l’avocate générale avait déjà réclamé un «supplément d’informations» concernant les faits reprochés. Mais aussi des garanties sur la non-application de la peine de mort qui n’a pas encore été abolie au Burkina. En principe, elle devrait l’être : «C’est prévu dans la révision du code pénal en cours, comme dans le futur projet de Constitution en gestation», affirment en substance les avocats de l’Etat burkinabé.

Pas assez convaincant pour Me Sur, qui dit redouter que son client ne «soit découpé en rondelles» si on le renvoie dans son pays natal. Et dénonce avec vigueur l’ingérence d’Emmanuel Macron, qui, le 30 novembre à l’université de Ouagadougou avait ouvertement espéré «que la justice française rende une décision favorable» pour l’extradition de François Compaoré.

Le président français répondait alors à la question d’une étudiante : «Allez-vous nous apporter le "petit président" dans vos bagages ?» Cette question, on l’entend fréquemment à Ouagadougou. Sur le campus juste après la visite de Macron, un groupe d’étudiants renchérissait : «On verra bien si la France a changé et si elle accepte de nous renvoyer François.»

Quelle que soit la décision prise par les juges le 13 juin, elle sera interprétée comme «le choix de Paris», dans ce pays où l’on n’oublie pas que la France a longtemps soutenu Blaise Compaoré, et l’a même aidé à s’enfuir quand le destin du pays a basculé.

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