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© Source : Le Messager
- 09 Jan 2015 16:42:03
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France,ATTENTAT SANGLANT CONTRE CHARLIE HEBDO A PARIS: Shanda Tonme, spécialiste des relations internationales réponds aux questions de Blaise Dassie de Le Messager
B.D : Shanda Tonme, la France vient de vivre un des moments sans doute les plus dramatiques de son histoire des cinquante dernières années avec l’irruption le mercredi 07 janvier 2014 dans les locaux du célèbre hebdomadaire « Charlie Hebdo », d’un commando qui a surpris et abattu à bout portant la quasi-totalité de ses responsables qui étaient en pleine conférence de rédaction. Comment réagissez-vous à cette tuerie qui en réalité menace les fondements premiers de la presse libre, critique et indépendante ?
ST : Je crois que pour l’heure, tout commentaire franc est plutôt impossible, tant la gravité, la profondeur du mal et l’expression de la douleur tenaillent les esprits. Cet hebdomadaire constitue pour toute l’intelligentsia de gauche et une certaine opinion silencieuse progressiste qui l’ont connu, l’ont fréquenté et l’apprécient, une sorte de référence révolutionnaire, un véritable torchon rouge de l’anti conformisme, de la contestation et surtout du refus de la pensée unique.
BD : Oui, on a beaucoup entendu parler de ce trait de caractère dans les réactions toutes tendances confondues. Ce que nous voulons savoir, c’est ce que signifie cet événement à vos yeux et ce que vous en déduisez.
ST : D’abord, contrairement à la présentation des réactions faites par les médias occidentaux qui se bornent à se limiter à une communauté internationale faite d’un monde qui commence et se termine sur les limites de leurs cours, il se dégage deux enseignements centraux de ce drame. Le premier c’est la presse et le métier d’informer en osant, en criant sa vérité et laissant libre ses convictions impertinentes sur la société et ses dieux qui est bousculée, attaquée, effrayée et fouettée. Il y a de là, un universalisme professionnel dramatique qui implique par conséquent tous les peuples, les nations, et les formations médiatiques. Secundo, ce drame appelle à un véritable examen de conscience sur l’évolution du monde et l’ensemble des articulations récentes des relations internationales. Chaque assaut de cette nature, représente un cuisant échec pour la diplomatie planétaire et un rappel des imperfections que véhiculent volontairement ou involontairement, les stratégies des uns et des autres.
BD : voulez-vous dire que ce qui arrive à la France était prévisible ?
ST : Déjà, il faut se demander pourquoi ils ont attaqué Charlie Hebdo », et ensuite, s’interroger sur le caractère particulièrement haineux, sanglant et extrémiste du discours des assaillants. En principe les tueurs semblent exécuter une sorte de vengeance parce qu’ils estiment que le journal a profané Allah. Ensuite, cette façon d’agir au cœur d’une des premières puissances économiques, militaires et diplomatiques du monde, montre qu’il existe des questions de fond qui doivent être adressées.
BD : Voulez-vous dire que les enjeux se situent au-delà de la France et nous interpellent tous,
ST : C’est exact. Je crois que le monde est depuis l’intervention de la coalition anglo-américaine en Irak et l’assassinat lâche de Kadhafi, plongé dans un désordre profond et une anarchie qui a libéré des énergies difficiles à contenir et généré de multiples instincts de vengeance. Nous assistons en réalité à un retour de bâton qui en plus de frapper et d’inquiéter durement les puissances fautives et initiatrices du grand désordre, alimentent la perspective de destruction des Etats fragiles. Il y a ainsi une relation dialectique intime entre les fanatismes des Boko Haram, les velléités de soulèvement et de révolte par-ci, les proclamations de défi par-là, et les tueries des journalistes de Charlie Hebdo, les actions de l’Etat islamique en Irak et en Syrie, et les attaques aux confins de la Tunisie et de l’Algérie. Tout ce désordre et toutes ces menaces sur les équilibres d’antan ont un et même auteur, une et même cause.
BD : Certains analystes semblent soutenir que la politique de la France à travers le monde ces dernières années, particulièrement sous Hollande, serait en cause. Quel est votre opinion ?
ST : Il est important de rappeler qu’aucun chef d’Etat ne fait autre chose que soutenir, préserver, promouvoir et défendre les intérêts de son pays et de ses citoyens. Que Hollande ait convaincu le président malien de laisser partir quatre dangereux terroristes pour obtenir la libération d’un de ses citoyens retenu en otage participe de cette logique d’un pragmatisme cynique. Mais en retour, il est clair que chaque Chef assume les conséquences à court ou à long terme de ses choix stratégiques. La France a des intérêts précis à défendre, et il appartient à chacun de défendre ou d’avoir une claire conscience des siens. Certes, on a reproché à Hollande une attitude trop pro israélienne, mais je ne crois pas qu’il faille situer l’origine du mal ni la signification du drame à une période si récente. Ce qui est en jeu recoupe des réalités et des revendications qui vont de la création de l’ONU à la rivalité des blocs idéologiques en passant par la restauration ou la résurgence de la pensée unique avec ses expressions impérialistes et néocolonialistes dans les relations internationales.
BD : En votre sens, c’est le monde entier qui est secoué comme un cocotier et qui produit des effets inattendus ?
ST : En quelque sorte oui. Nous assistons de plus en plus, à un processus de rupture de la coexistence pacifique entre les nations, à un approfondissement de la fracture matérialiste et à une accélération de la relativisation de l’éthique. Les attentats de Paris ne sont pas de ce fait une surprise en ceci que la répulsion de l’universalisme et la résurgence de la pensée unique, a crée des motivations nouvelles de vengeance dont le caractère anarchique et pluriel menace tous les fondements de la convivialité diplomatique, de la civilité internationale, et de la morale religieuse. Il faut s’attendre à d’autres attentats encore plus spectaculaires et plus meurtriers. Je crois pouvoir dire que nous aurons plusieurs autres onze septembre 2001.
BD : Mais qu’est ce qui peut vous faire être si pessimiste ?
ST : Mais cher ami, ce n’est pas du pessimisme, c’est plutôt du réalisme. Je l’avais déjà dit avant les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats unis alors que la politique étrangère du nouveau président Georges Bush menait la diplomatie américaine sur un mur, dans une direction de confrontation condescendante et arrogante. On a vu le résultat. Aujourd’hui, tout nous prépare au pire. Voyons par exemple, l’Arabie Saoudite fait baisser volontairement le prix du baril du pétrole, pour emmerder la Russie, l’Iran, le Venezuela qui sont perçus comme des ennemis de première ligne de confrontation diplomatique pour leurs intérêts. Mais au passage, c’est tout le monde entier qui trinque, y compris de petits producteurs comme le Cameroun et autres. De tels exemples, il y en à profusion, et vous ne comprenez pas les relents insaisissables de vengeance, par exemple ce ministre palestinien assassiné à bout portant par l’armée israélienne, ou encore ces trois étudiants israéliens kidnappés et assassinés. Et puis, tant qu’il n’y aura pas d’Etat palestinien, et tant que des imbéciles joueront encore à changer des constitutions, le danger sera présent et toujours plus meurtrier. Voilà le fond du problème, lequel engage plusieurs variantes de considérations stratégiques, politiques, géopolitiques et diplomatiques. Les Boko Haram et autres phénomènes de violences terroristes et destructeurs, s’appuient ou prennent naissance sur des défaillances des systèmes de gouvernance tantôt alimentées par la folie des dirigeants, tantôt par la propension dangereuse d’une compétition faussée des éthiques.
BD : Que faire alors ?
ST : Ecoutez, il n’y a pas mille solutions. Déjà, les dirigeants devraient au moins pour un début, savoir être réactif et faire preuve d’humilité. La réaction de François Hollande a été des plus salutaires et c’est que nous devons savoir copier. Il s’est rendu sur le site du crime presque immédiatement ; il a parlé à ses concitoyens ; il a fait une déclaration plus large dans la soirée ; il a décrété un deuil national de trois jours ; il a modifié tout son programme des jours suivants ; il a reçu dès le lendemain, tout ce qui compte de leaders d’opinion et politique, de chefs de culte. L’Afrique doit apprendre à faire ces choses simples. Pour les solutions structurelles, il y a tout un monde à refaire, un nouvel universalisme et une nouvelle pensée diplomatique pour marquer et conduire les relations internationales./.
Entretien réalisé à Douala, le 08 janvier 2015
Rappel : Le Pr ; Shanda Tonme est auteur de très nombreux ouvrages de relations internationales de référence.
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