ANICET EKANE : CHRONIQUE D’UNE MORT ANNONCEE, LA DERNIERE BATAILLE DE L’OPPOSANT
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C’est une histoire que nul Camerounais ne devrait jamais lire, car elle témoigne d’un pays où la mort d’un opposant politique ne surprend plus, car, elle était annoncée, redoutée, presque écrite à l’avance. Le 24 octobre, Anicet Ekane 74 ans, figure majeure des luttes démocratiques, sortait tout juste du service de réanimation du CHU. Malgré son état critique, il fut arrêté, transféré, puis placé dans les geôles du Secrétariat d’État à la Défense à Yaoundé, un lieu où l’air se raréfie et où les droits se dissolvent.
Trente-huit jours plus tard, il y rendait son dernier souffle. Pas de maladie foudroyante, pas de fatalité. Une mort graduelle, mécanique, administrativement programmée ; la chronique implacable d’un déni d’humanisme. Car Ekane n’est pas mort par hasard. Il est mort privé de son extracteur d’oxygène, confisqué par ceux-là mêmes qui avaient la charge de « garantir sa sécurité ». Il est mort parce que ses appels, ceux de sa famille, ceux de ses avocats, sont restés sans réponse, ignorés ou méprisés. Il est mort parce qu’un pouvoir effrayé par la contestation a jugé qu’un vieil homme malade pouvait être brisé sans conséquence.
 
Le Ministère de la Défense, dans un communiqué tardif, a annoncé l’ouverture d’une enquête, un rituel désormais bien rodé, où la promesse de « lumière » clôt systématiquement la vie qu’elle aurait dû protéger. La vérité, elle, ne souffre ni délai ni détour, l’État a laissé mourir un militant politique sous sa garde. Pire, il a organisé les conditions de cette mort. Une garde-à-vue transformée en condamnation, un appareil médical vital confisqué, un homme fragilisé jeté dans un environnement conçu pour anéantir les corps et faire taire les voix. Anicet Ekane n’a pas été vaincu par la maladie ; il a été vaincu par un système qui a méthodiquement éteint, jour après jour, le peu d’air qu’il lui restait.
C’est là toute la cruauté d’un régime qui ne tue plus à ciel ouvert, mais étouffe à huis clos. Une cruauté feutrée, procédurale, couverte par les textes qu’elle détourne. Une cruauté qui, à force d’être banalisée, devient le moteur silencieux du pouvoir. Dans le décès d’Ekane, il y a moins un accident qu’un avertissement, moins un drame qu’un message ; voici ce qu’il en coûte d’oser dénoncer, contester, s’indigner. Car au fond, la mort d’Anicet Ekane  est le symptôme d’un État où la revendication démocratique devient un risque vital, où l’opposition est assimilée à une faute, où la contestation porte la marque du crime.
 
Elle blesse la conscience nationale, elle fracture la dignité collective, et elle rappelle que nul, sous ce régime, n’est à l’abri du silence, ni politique, ni judiciaire, ni humain. Aujourd’hui, ses amis, ses camarades de combat, son parti et toute une génération qui croyait encore à la force de la parole exigent l’évidence : la désignation d’un juge d’instruction civil, indépendant, une enquête réelle sur la non-assistance à personne en danger, la mise en cause des responsables, et l’interdiction de fuite à l’étranger pour les donneurs d’ordres connus de tous. Ils savent que l’État tentera d’effacer les traces.
 
Ils savent aussi que l’histoire, elle, ne s’efface pas. Anicet Ekane repose désormais aux côtés de ceux qu’il admirait, de ceux qu’il suivait depuis sa jeunesse : les Ernest Ouandié, les héros assassinés, les voix étouffées, les figures qui ont payé de leur vie le prix de la vérité. Comme eux, il aura fait de sa mort. La mort d’Anicet Ekane bouleverse profondément la conscience collective camerounaise  y compris au sein même du pouvoir. Elle n’est pas seulement la disparition d’un opposant politique, elle est surtout la mort inutile d’un homme dont la fureur de jeunesse s’était apaisée, qui ne combattait plus que par conviction intime, au nom d’un amour ancien pour sa patrie. Ekane n’était plus le tribun flamboyant des années de braise ; il était devenu une voix assourdie par l’âge, mais obstinée par la fidélité à ses idéaux.
 
Et pourtant, la sagesse commande de le dire, un homme politique doit savoir quitter la scène avant que la scène ne le consume. Ce que nous reprochons aux pouvoirs qui s’éternisent, nous devons l’appliquer à nous-mêmes. Ekane aurait pu choisir la retraite silencieuse, le soin de son corps malade plutôt que la lutte épuisante pour une cause qu’il savait compromise d’avance. La politique ne devrait pas être cette spirale de contestation permanente où l’on finit par s’opposer à tout et, finalement, à rien. Le véritable stratège n’est pas seulement celui qui attaque ; c’est aussi celui qui sait, parfois, embrasser l’adversaire pour mieux l’étouffer, contourner la force par l’intelligence. Professeur de philosophie, Ekane portait en lui l’esprit de contradiction propre à sa discipline. Il était l’héritier direct de la tradition upéciste, cette école de pensée pour qui exister, c’est résister. Mais au-delà de l’homme, c’est la manière de sa disparition qui interpelle et révolte.
 
Anicet Ekane n’est pas mort d’épuisement militant, il est mort d’un manque d’humanisme. Il est mort dans un pays où la santé peut devenir un luxe, où un vieil homme de 74 ans sortant de réanimation peut être arraché à son extracteur d’oxygène au nom d’une procédure judiciaire, où l’État peut choisir la fermeté au lieu de la compassion. Sa mort n’est pas un accident politique ; elle est un avertissement moral. Elle nous renvoie au visage la question que, souvent, nous refusons de poser : quand un régime cesse-t-il de gouverner les vivants pour commencer à administrer les corps ?
 
Ekane, par son dernier souffle arraché dans une cellule, nous laisse un testament silencieux ; une nation se juge au sort qu’elle réserve aux plus vulnérables, même à ceux qui la contestent. Ainsi s’éteint un homme qui croyait encore que sa voix pouvait porter, malgré son souffle fragile. Ainsi commence, peut-être, la prise de conscience d’un peuple qui ne peut plus accepter que la politique devienne un terrain où l’on meurt asphyxié, faute d’air, faute d’empathie, faute d’État. C’est ainsi que le Cameroun enterre aujourd’hui un héros crépusculaire, un homme qui rejoint dans la mémoire nationale les figures sacrifiées : Douala Manga Bell, Um Nyobé, Ernest Ouandié, Wougly Massaga. Il n’entre pas seulement dans une liste ; il entre dans une lignée.

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