La bible entre les mains dangereuses
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L’année scolaire 2019/2020, s’est achevée comme si elle n’avait jamais existé pour certains élèves dans la ville de Yaoundé, candidats au Brevet d’études primaires et secondaires. Ils n’ont pas été admis dans les salles de composition parce qu’ils refusaient de se plier aux mesures barrières édictées par le gouvernement dans le cadre de la lutte contre le corona virus. Pour eux, il fallait rester fidèle au prêche de leur pasteur, pour qui le lavage des mains et le port du masque constituent une pratique satanique, à laquelle les enfants de « dieu » ne devraient pas se soumettre. Ils étaient membres d’une assemblée religieuse classée dans la catégorie des églises de réveil appelée tabernacle de la liberté.

Les élèves en question, soutenus par leurs parents, n’ont pas trouvé de problème à ce qu’on leur refuse de parachever leur année scolaire. Bien entendu, le pasteur les avait préparés à la persécution, ils étaient mentalement armés pour faire face à ce qui dans ce cas est considéré pour eux, leurs parents et leur pasteur comme de la persécution, généralement digérée avec aisance quand celui qui prêche justifie sa prêche par la vie de Jésus lui-même, persécuté depuis sa naissance jusqu’à la croix où il a été crucifié au milieux de deux voleurs. Et si Jésus, l’idole, a été persécuté au point d’y laisser sa vie, que vaut une simple année scolaire perdue pour un élève, rien du tout. Ainsi donc, pendant que la communauté éducative s’émeut de cet acte, les concernés ne mesurent pas la gravité de la situation.

Gangrène sociale

Ce cas n’est pas isolé. Les ravages des églises dites de réveil dans la société moderne sont devenus très nombreux. Le 14 mars 2018, la radio nationale révélait que dans la ville de Douala, dans une église de réveil au quartier Ndogpassi, le pasteur avait enceinté pas moins de 5 femmes mariées, sous le prétexte de leur donner le saint esprit. En avril 2016, les médias faisaient également état d’un pasteur au quartier Cité Sic à Douala, qui avait enceinté près d’une dizaine de jeunes filles, pour le peu qu’on a pu dénombrer. Dans ce cas aussi, l’auteur du forfait disait être inspiré par le saint esprit. On peut relever aussi ce cas dénoncé en mars 2018 toujours à Douala. Le pasteur de l’église de réveil dénommée La Terre Promise avait enceinté une jeune fille de 17 ans. Le père qui avait porté plainte après le constat de l’état de sa fille, apprendra au cours de l’enquête que c’est la mère de l’enfant qui l’avait offerte au pasteur, qui l’avait convaincue que le géniteur était habité par un mauvais esprit et avait promis de trouver un meilleur partenaire à la femme elle-même.

Baptême de l’esprit

Qu’est-ce que l’église de réveil en réalité ? Elle est inspirée de l’histoire de la pentecôte relatée dans la bible, dans le livre des Actes des Apôtres, chapitre 2, qui raconte l’irruption de l’esprit saint sur les apôtres réunis à Jérusalem. Selon le récit, ces derniers ont été baptisés de l’esprit saint descendu du ciel comme promis par Jésus, et qui leur donnait désormais la possibilité de prophétiser ou d’avoir des visions, après une conversion personnelle et le commencement d’une vie nouvelle. Les pentecôtistes partagent ainsi les principes fondamentaux de l’évangélisme et mettent l’accent sur l’efficacité de l’agir divin, qui se manifeste dans le monde par les miracles, les guérisons, le parler en langues et la prophétisation. Le pentecôtisme a donné lieu à la naissance de ce qu’on appelle les Églises de Réveil, un ensemble lui-même éclaté réunissant une variété d’unions d’églises chrétiennes évangéliques et d’institutions d’enseignement.

D’après une étude de Rodrigue Nana Ngassam, universitaire à Douala, le pentecôtisme a commencé à se développer dans les deux régions anglophones du Cameroun (Nord-Ouest et Sud-Ouest), dès les années 1950-1960, grâce à des évangélistes pentecôtistes d’origine américaine et européenne, œuvrant au Nigéria. Côté francophone, l’hostilité des églises établies et des autorités a freiné son implantation jusqu’aux années 1980. Mais, la loi du 19 décembre 1990 sur la liberté d’association qui a contribué à un essaimage sur la scène publique camerounaise, d’une multitude de mouvements religieux dont certains disposent de dizaines de lieux de culte répartis sur tout le territoire national. À l’intérieur du pays, ce sont les zones urbaines et les grandes métropoles qui sont les terrains de prédilection des nouveaux pentecôtismes, lesquels se diffusent ensuite dans les villes secondaires et les zones rurales.

L’auteur de l’étude explique la fragmentation de ces églises de réveil à Douala par exemple, par une décadence des grandes organisations chrétiennes et musulmanes historiques, par un contexte politique, économique et sociale délétère, accentué par des décennies de mauvaise gouvernance autoritaire et de recul de l’État dans la régulation du champ religieux, tout ceci explique à coup sûr l’essor de ce marché national des biens spirituels au Cameroun et notamment à Douala.

Désormais, ces églises d’un autre genre, qui naissent généralement de nulle part, se retrouvent partout, installées dans les cuisines, les salons, les hangars, les caves, usines et maisons désaffectées. Aucun lieu n’est infecte pour commencer, d’après le principe selon lequel l’œuvre de dieu ne s’encombre pas des détails, et de toute façon Jésus allait à pieds à peine chaussé de sandales, et n’avait pas de maison où mettre tête, où encore, l’esprit de dieu peut te trouver n’importe où, même dans la poubelle. C’est ainsi que la société est désormais infestée, au propre comme au figuré de ces églises dites de réveil, qui paradoxalement s’emploie, non pas à éveiller les consciences, mais plutôt à les lessiver et les enfoncer dans un sommeil profond.

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