Électricité : Pourquoi les Africains paient-ils si cher ?
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Les tarifs auxquels sont soumis les Africains sont parmi les plus élevés de la planète, alors que les coupures de courant sont fréquentes. Trois fois plus qu’en Asie, le consommateur africain paie en moyenne 14 cents de dollar (13 centimes d’euro) son kilowattheure, quand celui d’Asie du Sud paie seulement 4 cents. Si l’Europe de l’Ouest affiche un prix un peu supérieur, 18 cents, le pouvoir d’achat des ménages y est beaucoup plus élevé.

Conséquence : une famille résidant dans une grande ville d’Afrique consacre environ 30%de ses revenus à l’énergie et, notamment, au paiement de son électricité. Un tarif qui n’est pas toujours synonyme de qualité de service, certains pays comme le Nigeria accusant jusqu’à 260 heures de coupure dans un même mois. À chaque hausse des prix, les associations de consommateurs crient au racket, comme récemment en Côte d’Ivoire, où les tarifs sont pourtant raisonnables. Comment s’expliquent ces factures faramineuses ?

Des réseaux trop petits

La taille des réseaux africains, conçus pour une faible demande, ne permet pas de réaliser des économies d’échelle en matière d’exploitation et consommateur. Pour résoudre ce problème, une solution existe : si un pays n’y parvient pas seul, il faut alors réunir les forces disponibles en construisant des interconnexions électriques. « C’est l’un des facteurs majeurs dans la réduction des tarifs », souligne Abel Tella, directeur général de l’Association des sociétés d’électricité d’Afrique (Asea). Le Niger par exemple est un pays sahélien, enclavé. Mais, à l’inverse de ses voisins, comme le Tchad et le Burkina, qui pratiquent des tarifs parmi les plus élevés du continent, il bénéficie depuis trente-deux ans d’un tarif bas, à 4 cents, grâce à une interconnexion avec le réseau nigérian. Au-delà des connexions pays à pays, qui existent çà et là, toutes les régions du continent ont établi des plans de « pools énergétiques » pour créer des marchés uniques. Celui d’Afrique australe, le South Africa Power Pool (Sapp), est déjà opérationnel et géré depuis Harare, au Zimbabwe.

Le projet ouest-africain (le réseau Côte d’Ivoire- Liberia-Sierra Leone-Guinée) en est au stade des appels à manifestation d’intérêt, mais plusieurs interconnexions entre pays existent déjà, autour de la Côte d’Ivoire notamment. Plus ambitieux encore sont les projets d’autoroutes de l’énergie qui traverseront le continent, notamment de l’Égypte à l’Afrique du Sud. Selon la Bad, elles pourraient voir le jour à l’horizon 2020. L’institution estime que les échanges interrégionaux pourraient réduire les coûts de l’électricité de 2 milliards de dollars par an sur le continent.

Pas assez d’industriels

En matière d’électricité, la consommation d’un seul industriel équivaut à celle de milliers de ménages. Les factures, beaucoup plus importantes, acquittées par ce type d’entreprises permettent aux sociétés nationales d’énergie de financer le développement de leurs réseaux. Les miniers notamment sont très « énergivores ». Pour Abel Tella, raccorder ces grands comptes est essentiel : « Plus la part des augmente, plus celle des ménages devient marginale. » Un élément d’autant plus déterminant que le recouvrement des factures des «usagers résidentiels » peut se révéler hasardeux (en moyenne, 30% de celles – ci ne sont pas honorées dans les pays n’ayant pas mis en place le prépaiement), sans parler des pertes techniques et des vols d’électricité (30% au Cameroun, par exemple), qu’il faut dans les deux cas répercuter sur les tarifs. Pourtant, souligne l’expert, les exemples de mauvaises pratiques sont légion. « La Guinée a fait pendant cinquante ans, avec l’exploitation de la bauxite, ce qu’il ne faut surtout pas faire, dit-il. C’est-à-dire laisser les miniers produire eux-mêmes leur électricité. En outre, c’est bien plus coûteux pour eux que de se raccorder au réseau. Le développement minier de l’Afrique, s’il ne profite pas directement aux populations, doit au moins bénéficier au secteur de l’électricité. »

Et de citer l’exemple de la Zambie, où 80%de l’électricité produite sont absorbés par les industriels de la Copperbelt, cette région minière proche du Katanga congolais. En plus d’une politique tarifaire raisonnable, ce type de répartition de la consommation permet notamment d’appliquer des tarifs sociaux ou de prendre des mesures équivalentes (beaucoup de pays proposent sans conditions de ressources un important rabais sur les 50 premiers kWh, ce qui correspond à la consommation d’une famille très modeste).

Trop peu d’investissements

S’il est déjà élevé, le prix de l’électricité pourrait encore augmenter à l’avenir, car de nombreuses compagnies vendent leur énergie à perte. Selon une étude du cabinet de conseil Bearing Point, les tarifs ne recouvrent les coûts de revient que dans six pays sur cinquante- quatre. Jacques Moulot, spécialiste de l’énergie à la Bad, confirme: « On peut donc dire que les Africains ne paient pas leur électricité au juste prix » avant de reconnaître par ailleurs que le service qu’ils reçoivent laisse souvent à désirer.

Un cercle vicieux, souligne Bearing Point, car cette non-couverture des coûts ne permet pas d’assurer l’exploitation et la maintenance du système électrique, et encore moins de réaliser des investissements, pourtant essentiels pour répondre à l’explosion de la demande. Résultat, ce sont les États qui, très souvent, comblent les déficits en octroyant d’importantes subventions. En 2014, les autorités sénégalaises ont versé une compensation de 77 milliards de F CFA (117 millions d’euros) à la compagnie nationale, ce qui revient à financer le tiers du coût de production de l’électricité. À la moindre tension de trésorerie, c’est donc l’ensemble du secteur énergétique qui risque le court-circuit.

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