Fausse alerte du Minfi autour de 172 diplomates fictifs
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Le secrétaire général du département ministériel a récemment déclaré que l’Etat allait désormais économiser 3,169 milliards de francs par an et recouvrer près de 34 milliards de francs à la suite du démantèlement par ses services d’un réseau d’octroi des salaires au «taux consulaire» à des agents en service dans le pays. Une déclaration erronée selon l’enquête de Kalara, qui revient sur l’impunité dont bénéficient les fraudeurs en la matière.

Le ministère des Finances a-t-il identifié un réseau de 172 agents publics installés au Cameroun mais percevant des salaires «au taux extérieur» encore appelé «taux consulaire», c’est-à-dire des personnes rémunérées comme si elles étaient en service dans les représentations diplomatiques du pays à l’étranger ? Alors que de nombreux organes de presse locaux et internationaux (presse écrite, radio et télévision confondues) et de nombreux sites internet se sont fait l’écho, avec force, d’une telle rumeur le 3 février 2020 et après, aucune source autorisée n’a pu la confirmer à ce jour.

Dans les articles de presse diffusés çà et là, les journalistes avaient en effet attribué «l’information » à une «note du Minfi», sans aucune précision sur l’auteur du document et la date de sa mise en circulation. Les investigations menées par votre journal pour en savoir mieux laissent penser qu’il s’agit d’une petite chimère. En fait, la rumeur est née à l’occasion de la cérémonie de présentation des voeux au ministre des Finances, M. Louis-Paul Motaze, le 31 janvier 2020. Dans l’allocution présentée pour la circonstance par le secrétaire général du ministère, Gilbert Didier Edoa, il était mentionné, dans le cadre des perspectives de l’année 2020, que «les résultats de l’opération de toilettage du fichier solde “consulaire” devront entraîner inéluctablement la suspension de 172 agents publics du fichier, pour des économies de l’ordre de 3,169 milliards de francs par an, et pour près de 34 milliards de francs à recouvrer». En réponse, le ministre a indiqué que la traque des prévaricateurs de la fortune publique devait se poursuivre.

C’est une annonce forte, voire un scoop, qui a été rapidement relayé par les médias comme l’une des retombées de l’opération de Comptage physique du personnel de l’État (Coppe) lancée en 2018 par le Minfi.

Division du suivi…

Au lendemain de cette annonce, Kalara est allé à la rencontre des services techniques du Minfi pour s’informer si le montage frauduleux permettant une telle spoliation des fonds publics avait été identifié et si les acteurs de ce réseau faisaient l’objet des poursuites judiciaires et autres sanctions. A la division des affaires juridiques et du contentieux (Dajc), l’information n’est pas connue par les personnes rencontrées. Pareil à la division de la communication et de la coopération.

Mais suite à des démarches internes, notamment auprès de la direction de la dépense des personnels et des pensions (Ddpp), anciennement appelée direction de la solde, un responsable explique que l’annonce faite par le SG quelques jours plus tôt relève d’une erreur. La division du suivi, service rattaché au Secrétaire général, aurait mal interprété un document reçu de la Ddpp sur le sujet, amenant alors le coordonnateur de l’administration du Minfi à faire une annonce non fondée au cours de la cérémonie de présentation des voeux au ministre.

Une chose est sûre : au Minfi, il est fortement suspecté l’existence d’un réseau de détournement de fonds publics par l’attribution frauduleuse des soldes consulaires à des fonctionnaires fictifs ou en service au Cameroun. D’ailleurs, ce soupçon est à l’origine d’une concertation initiée depuis plusieurs mois par le ministre des Finances avec son collègue en charge des Relations extérieures, à travers une correspondance du 1er août 2019 faisant état de la constatation «d’une forte présomption de détournement des deniers publics au moyen d’attribution frauduleuse des salaires au taux extérieur accordés à certains personnels réels ou fictifs de l’État ». En plus, dans le prolongement de l’opération de comptage physique du personnel de l’Etat, le Minfi avait déployé certains de ses personnels auprès des représentations diplomatiques du pays. Selon les informations de Kalara, les résultats de ce déploiement ne sont pas encore connus.

Rappelons cependant que ces dernières années, le gouvernement n’a pas toujours montré une grande détermination à combattre l’attribution frauduleuse des salaires «au taux consulaire» à certains fonctionnaires. En janvier 2016, par exemple, un guet-apens tendu par des limiers de la Délégation générale à la Sûreté nationale (Dgsn) avait permis de prendre, quasiment la main dans le sac, des personnes plus ou moins proches du ministère des Finances, qui étaient suspectées d’entretenir un réseau spécialisé notamment dans l’attribution frauduleuse des salaires au taux extérieur à certaines personnes. Joseph Roméo Ntamag, agent retraité du Centre national de Développement informatique (Cenadi), Abdallah Mouliom Lietmbou, ingénieur informaticien et contrôleur du Trésor en service à la trésorerie générale de Bafoussam, M. Moussa Maloum Adam alias Touré, infographe-informaticien, Roland Essindi, ancien temporaire à la Direction de la dépense de personnel et des pensions du ministère des Finances (Minfi), et un certain Charles Tchimi avaient été interpellés dans ce cadre-là.

Emmanuel Lebou

Au moment de l’interpellation de ces personnes, M. Charles Leonard Tchimi était en possession d’une enveloppe contenant 2,353 millions de francs et estampillée «Finances», alors que son compère, Joseph Roméo Ntamag, portait sur lui des billets de banque pour 1,181 million de francs contenus dans une enveloppe portant la mention «Cenadi». Le portail des camerounais de Belgique (@camer.be). Les investigations supplémentaires menées par la police allait conduire à l’interpellation de l’ingénieur informaticien Mouliom Lietmbou Abdallah, présenté à l’époque comme le cerveau du gang, et d’un certain Joseph Herman Billong, en service au Cenadi, de Moussa Maloum Adam alias Toure, Guy Christophe Engama Nomo et Roland Essindi.

Présentés au procureur de la République près le Tribunal de grande instance (TGI) du Mfoundi, ces derniers allaient se retrouver au centre d’une enquête judiciaire après avoir été inculpés pour détournement des deniers publics d’un montant d’environ 3,5 millions de francs, soit la somme retrouvée dans les mains des premières personnes interpellées...

Chose curieuse révélée par Kalara à l’époque (édition N° 172 du 31 octobre 2016), M. Mouliom Lietmbou Abdallah avait déclaré à la police avoir souvent dégrippé le «User» (paramètres informatiques offrant l’accès au système informatique avec la possibilité de poser des actes précis) de M. Hubert Abena, à l’époque chef de la cellule informatique de la Ddpp et administrateur à ce titre de l’application informatique permettant de gérer les salaires des agents de l’Etat. Or, à travers deux listings mis au point le 11 juin 2016 par M. Leubou Emmanuel, successeur de M. Hubert Abena à la cellule informatique de la solde, et transmis à la justice, 737 comptes bancaires avaient été identifiés comme ayant reçu une somme globale de 1,3 milliard de francs frauduleusement sortie des caisses de l’Etat en décembre 2015 et janvier 2016. Kalara avait d’ailleurs publié la liste des propriétaires desdits comptes dans ses éditions du 3 et du 9 janvier 2017.

Ces 737 comptes bancaires appartenaient en très grande majorité à des militaires, soldats comme officiers supérieurs, mais aussi des enseignants du primaire comme du supérieur, des personnels des ministères de la Santé publique ou de la Communication. Et au rang des agents de l’Etat ayant bénéficié spécifiquement d’une rémunération frauduleuse sur la base de la grille salariale et des primes dite du «taux extérieur», on dénombrait 132 comptes. En dépit de la demande expressément formulée par M. Alamine Ousmane Mey, le ministre des Finances de l’époque, d’obtenir via les avocats constitués par son département ministériel, que le Tribunal criminel spécial (TCS) récupère le dossier pour que le réseau soit entièrement démantelé, rien n’a jamais été fait dans ce sens. Résultat des courses, quatre ans après, le démantèlement du réseau reste en projet. Dès lors, l’annonce du secrétaire général du Minfi à l’occasion de la dernière cérémonie de présentation des voeux du 31 janvier 2020 semble s’inscrire sur la même lancée. Qui vivra verra.

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