Innocent Aimé Fotué Foadieng : L’éloge des matériaux locaux
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Innocent Aimé Fotué Foadieng est un jeune architecte, pur produit de l’Institut des Beaux-arts de Foumban. Il embrasse la prestigieuse profession en projetant de signer en dehors des sentiers battus. Ode aux matériaux localement trouvables.

Il a bien sûr fait ses classes. Mais son chemin n’était pas tracé d’avance. Quand Innocent Aimé Fotué Foadieng quitte l’école Saint Charles de Pète en 1996, il s’inscrit au CETIC de Bandjoun d’où il sortira nanti d’un CAP en Construction en Ouvrages Métalliques quatre ans plus tard. On le retrouve au Lycée technique de Koumassi à Douala. Trois ans plus tard, il décroche son BT (Brevet de technicien) en Métaux en Feuilles et Construction métallique, c’est-à-dire en chaudronnerie,pour les profanes.

C’est un sésame qui, normalement ouvre directement la porte de l’emploi. Mais le jeune diplômé, en dépit des difficultés à financer ses études, s’inscrit, par pis-aller, à l’université de Dschang en Sciences économiques ! Par pis-aller parce qu’il est un passionné des arts et l’économie n’est pas vraiment sa tasse de thé. En 2009, il est alors en première année quand l’Institut des Beaux-arts de Foumban ouvre ses portes. Ça tombe bien pour ce jeune homme qui s’ennuie ferme à Dschang. Fotué Foadieng quitte son refuge sans préavis et prend la direction de Foumban. Son intention est d’y étudier le dessin et la peinture:«En Terminale, j’étais un très bon dessinateur. Je passais le temps à construire des systèmes mécaniques», se souvient-il.

2010. Le Cameroun peut enfin former ses architectes sur place. Les conditions sont donc réunies pour qu’Innocent vive pleinement sa passion. Il saisit la perche ainsi tendue et bifurque en architecture : « Quand on décide de former les architectes au Cameroun, je saisis l’opportunité. Elle était trop parfaite pour la louper», jubile-t-il encore aujourd’hui. Il aurait dû boucler sa formation en 2015, mais les lenteurs administratives et autres dysfonctionnements retarderont de deux ans sa consécration. Ce sera finalement chose faite en 2017. L’étudiant, très attaché à son terroir, choisit de travailler sur un projet de la cité Bougam dans la plaine du Noun.

Un projet de logement sur un site de 50 ha. Ce projet d’avenir intègre déjà « le retour aux sources » son cheval de bataille : « J’ai travaillé sur un site de 50 ha. L’objectif était de le lotir, d’aménager et proposer le logement. J’ai proposé les trois gammes du logement : le collectif, le semi et l’individuel. Pour ne pas me cantonner au seul logement, j’ai proposé un schéma directeur, puisque Bandjoun n’as pas un plan directeur défini. Je me suis dit, au lieu de faire une restructuration de la ville de Bandjoun, il serait mieux d’aller dans une zone qui n’a pas encore connu l’urbanisme, lui donner un profil de schéma directeur. J’ai bien entendu prévu les équipements qui vont avec le développement durable tel qu’un centre de recyclage des déchets liquides et solides, deux vergers sur deux pôles de plus de 2 ha. J’ai pensé également à draguer le cône du Noun qui traverse le site pour créer un Beach et valoriser l’aquaculture tout en mettant l’accent sur les équipements offrant les meilleures conditions de vie aux occupants (santé, éducation, commerce, sport et loisirs (…)

Le choix de ce site n’était pas le fait du hasard : « Cette zone avait tout autour des écoles, des hôpitaux. Mais c’est surtout sa proximité avec plusieurs communes qui a été déterminante pour mon choix. En y étant, on est à quelques kilomètres de la commune de Demdeng, 6 km de la palmeraie, 18 km du plateau administratif de Poumougne, 800 m de la commune de Bafoussam 1er et à un jet de pierre de la commune de Foumbot car il suffit juste de traverser le Noun. Voilà les atouts qui ont milité en faveur de ce site. J’estimais que si le développement de Bandjoun était propulsé par-là, les villes et communes environnantes devaient être impactées.Je ne me suis pas contenté de travailler uniquement le logement. Dans le logement, j’ai préconisé l’utilisation du matériau terre. Notre terre qui, du point de vue technique, présente d’excellentes propriétés thermiques et acoustiques. Outre ce matériau, j’ai proposé l’utilisation des matériaux qu’on peut trouver dans la nature tels que la pierre, le bois, les tiges de bambou pour les constructions (…)».Ce travail a séduit le jury qui lui a donné le fameux sésame pour accéder à la prestigieuse profession des architectes.

Ses premiers pas sur le terrain sont empreints d’innovation pour ne pas de dissidence. Le courant culturel qu’il a choisi fait rêver peu de gens :« Mes propositions n’enchantent pas beaucoup les gens. En Afrique, et surtout au Cameroun, quand vous bâtissez en terre, on vous considère comme une personne de seconde catégorie. Peu de personnes en comprennent le bien-fondé. Convaincre un client à utiliser les tiges de raphia pour faire un revêtement, interne ou externe, c’est la croix et la bannière. Pourtant, l’Afrique est un continent chaud et en tant que tel, on ne peut pas continuer à construire avec du matériau chaud. Techniquement, le béton est un matériau instable car avec lui, l’échange thermique se fait sentir en fonction des saisons. Nos valeurs culturelles ne sont pas valorisées. Pourtant, nous avons plein d’éléments locaux qui peuvent nous permettre de mieux vendre notre culture. On veut toujours importer ce qui vient d’ailleurs. Pourtant nous avons sur place plein d’événements. Travailler avec des matériaux localement trouvables».

Dans sa quête d’authenticité, Innocent Aimé Foadieng Fotué trouvera une oreille attentive auprès du chef de la communauté Bandjoun de Douala, Moukam Gackgouong Takotué Innocent, qui avait la charge de construire le cabinet royal. Un test qui a enchanté le jeune architecte puisqu’il lui a permis de mettre en œuvre les tiges de bambou et les alliances : « J’ai participé à la construction du cabinet royal. Le matériau prédominant utilisé était constitué de tiges de raphia. La salle d’attente par exemple donne l’impression au visiteur que le cadre est climatisé. Or il n’en est rien. C’est juste le résultat de l’alliance bambou au plafond et carrelage en grés cérame au sol, deux matériaux froids qui rafraîchissent. Au secrétariat par contre, la température est un peu plus élevée grâce à la mise en œuvre del’alliance bois/carreau, un matériau chaud et matériau froid (…)»

Armé de ce déclencheur qui fera certainement date, Innocent Aimé Foadieng Fotué arpente un chemin qu’il sait exaltant, bien que difficile. Il sait qu’au-delà de la passion qui l’anime, il devra être chaque jour un peu plus déterminé, plus convaincant pour dompter les résistances s’il veut être reconnu comme l’architecte de la rupture qu’il se destine à être. Pour cela, il a du ressort et des arguments : « Le challenge n’est pas uniquement de préserver nos matériaux, mais de les valoriser en même temps. Mon devoir en tant qu’architecte aujourd’hui, c’est de prôner le développement durable, de me rassurer que la gestion de nos ressources énergétiquesn’est pas faite de manière disproportionnée. Je ne comprends pas par exemple qu’à l’Ouest, à des pics de température, on puisse utiliser l’air conditionné alors que nous avons le matériau qui nous offre naturellement une vie confortable et très décente».

L’argument économique peut lui être d’un grand secours. Selon lui, «il est prouvé qu’un projet réalisé avec du matériau localement trouvable est de 10 à 15% moins cher que le béton ». En la matière en effet, il n’est pas de décision où le porte-monnaie n’ait son mot à dire. Un allié de taille dans la conjoncture économique actuelle pour le jeune architecte, également promoteur de Case d’Afrik, «une structure qui a pour mission d’intégrer nos us et coutumes dans l’habitat moderne pour que chacun puisse vivre son rêve tout en préservant la biodiversité et prôner le développement durable, promouvoir le logement à moindre cout, valoriser le matériau localement trouvable et assurer la maîtrise d’œuvre».

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