Barthélemy Kom Tchuenté : L’organisation d’un double scrutin est impossible
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Expert en décentralisation, il soutient qu’il est impossible d’organiser les municipales et les législatives dans le respect des dates butoirs.

Rendus en ce mois de juin, est-il encore possible d’organiser les élections régionales, municipales et législatives ?
En 2018, les mandats des députés à l’Assemblée nationale et des conseillers municipaux ont respectivement été prorogés par la loi n° 2018/013 du 11 juillet 2018 et le décret n° 2018/406 du 11 juillet 2018 ; pour une durée de douze mois. Après prorogation, ces mandats courent jusqu’au 29 octobre 2019 pour les députés, et au 15 octobre 2019 pour des conseillers municipaux. Cela suppose que les élections municipales doivent se tenir au plus tard le 25 septembre 2019 et les élections législatives, entre le 08 décembre 2019 et le 26 février 2020. Or, dans cet intervalle, les députés siégeront au-delà des douze mois de prorogation de leur mandat avec un surplus de 40 jours au moins et de 120 jours au plus.

D’où provient cette ambigüité ?
Cette ambiguïté provient du fait que l’article 15 de la Constitution dispose que les élections législatives ont lieu 40 jours au moins et 120 jours au plus après l’expiration du délai de prorogation du mandat des députés à l’Assemblée nationale (le 29 octobre 2019, Ndlr). Cette hypothèse est entachée d’illégalité due au fait qu’une erreur grave s’est glissée dans la modification de l’article 15 (4) de la Constitution ; ladite erreur, qui dénature l’application de la loi en outrepassant la durée de prorogation du mandat des députés, doit être corrigée dans le cadre de la modification de la Constitution. La projection susvisée qui s’en déduit montre clairement que l’organisation d’un double scrutin pour les élections législatives et municipales est impossible. Par contre, il est tout à fait possible d’organiser ces deux élections séparément, en respectant les dates butoirs ci-dessus rappelées. Dans ce cas, la convocation du corps électoral pour les élections législatives doit intervenir entre le 09 septembre 2019 et le 29 novembre 2019, et au plus tard, le 28 juin 2019 pour les élections municipales. S’agissant des élections régionales, il revient au président de la République d’en fixer la date en convoquant le collège électoral, 45 jours au moins avant la tenue du scrutin. Vous comprenez donc que les délais de convocation du corps électoral ne posent pas problème.

Des partis politiques de l’opposition posent notamment comme préalable à la participation à ces scrutins, le retour de la paix dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest et la révision du code électoral…
L’impact de la non-participation des partis de l’opposition aux scrutins pour les élections régionales, municipales et législatives (en l’occurrence le Social Democratic Front et le Mouvement pour la renaissance du Cameroun, Ndlr), est de nature à décrédibiliser le système démocratique camerounais. Ce serait un recul pour les avancées démocratiques enregistrées notamment, sur le plan de la représentativité des élus et de l’animation de la vie politique. Les élus ne jouiront pas ainsi de la plénitude de leur légitimité par rapport au peuple souverain. Ceci n’est pas de nature à détendre l’atmosphère politique surtout, en ce moment où ces partis politiques de l’opposition posent comme préalable, la révision du code électoral, en vue de garantir des élections transparentes, libres et justes. Des revendications pour l’organisation d’un dialogue inclusif avant la tenue de toute élection sont tout aussi persistantes. Organiser des élections dans ces conditions donnerait l’impression que le Rdpc (Rassemblement démocratique du peuple camerounais, Ndlr) veut confisquer le jeu politique tout en reléguant au second plan, le jeu démocratique.

Quels sont les risques que présenterait une telle option ?
Une telle option présente des risques qui ne sauraient concourir à l’apaisement du climat politique tant souhaité dans notre pays. Pourtant, des éléments objectifs tels que l’insécurité grandissante dans les régions du Nord-Ouest, du Sud-Ouest et la partie septentrionale du pays ; sont des facteurs aggravants du risque encourue. Dans ce cas, l’on doit s’attendre à une délocalisation des bureaux de vote dans les régions où règne l’insécurité, comme ce fut le cas pour l’élection présidentielle de l’année dernière. Or, contrairement à l’élection présidentielle qui a une circonscription unique, les circonscriptions pour les élections législatives, municipales et régionales sont implantées sur l’ensemble du territoire de la région, au niveau communal et départemental. Ne court-on pas ainsi le risque d’avoir des élections compromises dans plusieurs circonscriptions électorales, et dénaturer par-là, la représentativité des populations de ces localités au sein des assemblées nationales et locales ? Toutes ces inquiétudes commandent prudence, clairvoyance et responsabilité pour la sauvegarde de l’unité et la paix si chères à notre pays.

Au regard de la configuration actuelle des mairies et du nombre des conseillers municipaux, l’organisation des régionales avant les municipales profiterait au Rdpc. Dans ce cas, ces élections pourraient-elles être considérées comme crédibles ?
La tenue des élections régionales avant les élections municipales ne présente véritablement aucun enjeu. Cette option qui profiterait tout au plus au Rdpc, parti au pouvoir, n’est pas de nature à crédibiliser le système démocratique camerounais pour les raisons ci-après : le suffrage pour l’élection des conseillers régionaux étant indirect, les 70 délégués des départements sur les 90 conseillers élus par région ne sauraient jouir de la légitimité souhaitée, dès lors qu’ils sont élus par un collège électoral composé des conseillers municipaux en fin d’un mandat de surcroît prorogé. Par ailleurs, la configuration actuelle du collège électoral, qui présente une forte prédominance du Rdpc dans toutes les dix régions du pays, donne le résultat acquis d’avance en faveur de ce parti qui évidemment, disposera de la majorité voire la totalité des conseillers régionaux partout. La représentativité des autres partis politiques au sein des conseils régionaux s’en trouverait ainsi compromise.

Une nouvelle prorogation du mandat des maires et des députés ne mettrait-elle pas en cause leur légitimité ?
Le respect des dispositions légales encadrant la prorogation des mandats des élus conforte leur légalité et leur légitimité, dès lors qu’ils sont élus dans le cadre des scrutins transparents que les acteurs politiques, la société civile et la population ne sauraient contester au gré de leurs intérêts. A cet effet, si les conditions légales sont réunies, l’on peut valablement s’attendre à une nouvelle prorogation des mandats des députés et des conseillers municipaux. Si cette nouvelle prorogation peut être de six mois maximum pour les conseillers municipaux, sa durée n’est pas fixée pour les députés.

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