Les prisonniers du président - André Téné : “Ma souffrance est celle d’enfantement”
CAMEROUN :: POINT DE VUE

CAMEROUN :: Les prisonniers du président - André Téné : “Ma souffrance est celle d’enfantement” :: CAMEROON

L’ancien professeur de philosophie pense que l’humiliation et la déshumanisation que vivent ses camarades et lui sont nécessaires pour l’accouchement d’un Cameroun nouveau.

Loin des salles de classe, il n’est pas moins enseignant. Lorsqu’André Téné décide de quitter la fonction publique en 2004, alors qu’il est professeur de philosophie au lycée de Mbouda, ce n’est pas parce qu’il ne veut plus éduquer les jeunes Camerounais. Il veut juste que les choses soient faites de manière différente. En ce moment-là, en effet, il est déjà engagé en politique. Et il explique pourquoi : « la baisse drastique, discriminatoire et sans base juridique des salaires des fonctionnaires qui a envoyé dans l’au-delà beaucoup d’entre eux la lutte pour la survie contraint les travailleurs du secteur tertiaire à descendre discuter, avec très peu de chance de réussir (ils n’ont pas été formés pour cela) les activités agropastorales avec les travailleurs du secteur primaire la suppression sans aucune préparation, même psychologique des parents, des bourses à l’université. Les enfants les plus intelligents naissent-ils nécessairement dans les familles les plus riches ? La politisation excessive des examens officiels. Elle fait des enseignants des «menteurs » qui donnent aux candidats des moyennes qu’ils ne méritent pas ».

Aujourd’hui enfermé à la prison centrale de Yaoundé, à Kondengui, André Téné n’arrête pas de transmettre des connaissances. Il s’emploie surtout à partager à ceux qui l’accompagnent dans ce pénitencier les idéaux du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (Mrc). Malgré sa santé qui n’est pas des meilleures. Cette mauvaise santé, justement, aurait pu lui permettre de se retrouver ailleurs qu’en cellule le 04 novembre 2018. Mais il n’a pas voulu renier ses convictions. Quitte à se retrouver face à un choix cornélien qu’il présente lui-même : «Faut-il obéir à mes sentiments et rentrer à la maison en laissant en prison d’autres amis politiques ? Faut-il écouter la voix de la raison qui parle au nom de la défense de l’intérêt général ? Cet intérêt général comprend celui de ma famille. Donc, le défendre c’est défendre en même temps le sien ».

Il sera libéré, en même temps que ses camarades, le lendemain à 19h. «J’avais cru que ceux qui nous avaient arrêtés s’étaient rendus compte de leur erreur. Nous nous attendions même à ce qu’ils nous présentassent des excuses. C’est d’ailleurs pourquoi le 26 janvier 2019 je n’avais pas hésité à reprendre pour les mêmes raisons la deuxième marche, celle à cause de laquelle nous nous retrouvons, après la PJ de Bafoussam, le GMI de Soa, le Tribunal militaire de Yaoundé, à la prison centrale de la même ville».

En janvier 2019 donc, André Téné est à nouveau arrêté. Toujours pour ses convictions politiques. Sa famille en est certainement affectée, mais il est convaincu qu’elle le comprend. La preuve, il tient à remercier son épouse qui à la première à leur avoir rendu au Gmi de Soa, où il a été conduit avec ses camarades d’infortune, après avoir été arrêté à Bafoussam. Et à affirmer aussi son amour pour sa progéniture : «J’aime mes enfants par rapport au travail qu’ils ont à abattre avec les autres enfants de ce pays. Seuls, ils ne peuvent pas le construire, bâtir cette citadelle que voulait le Roi Christophe qui n’avait pas compris qu’une telle oeuvre était l’apanage des citoyens et non de simples habitants de tel ou tel village, de telle ou de telle région. C’est parce que je ne veux pas que le travail écrase mes enfants, qui pourraient être seuls au chantier, que je me bats avec les autres ».

Arrêté donc pour une deuxième fois le 26 janvier 2019, André Téné va connaître une vraie galère. «Ce parcours n’a rien d’humain. Arrêté et conduit à la PJ de Bafoussam pour être mis en cellule, je savais que celle-ci était tout simplement un lieu de privation de liberté que non elle est dans notre pays aussi le lieu de privation d’air, le lieu d’humiliation et de déshumanisation », déclare-t-il

Parcours inhumain

Sur chacun des points qu’il évoque, le prisonnier politique fait un développement. D’abord la privation d’air : « La cellule de la PJ de Bafoussam aussi bien que la cellule de passage de la prison centrale de Yaoundé ont chacune, à la place de la fenêtre une lucarne qui chichement laisse passer de l’air que Dieu nous donne pourtant gratuitement et en abondance. L’insuffisance de l’aire dans ces cellules où nous étions entassés et serrés comme du bétail faisait chauffer la salle. Les odeurs qui se dégageaient des corps des hommes et des femmes couchés sur le sol nu rendaient le climat invivable. Mais nous n’avions pas le choix ».

Ensuite l’humiliation et la déshumanisation. «On nous avait contraints à oublier les exigences propres à chaque genre. Il arrivait aux hommes de se retrouver couchés entre deux femmes dont ils ne connaissaient même pas le nom et qu’ils n’avaient rencontrées que ce jour-là ». Mais, cette souffrance, André Téné pense qu’elle n’est pas vaine. Il la qualifie de souffrance d’enfantement. «Si toutes les souffrances sont utiles, il y en a qui le sont plus que d’autres. Celle d’une femme sur une table d’accouchement est sans nul doute plus utile que les autres souffrances. Elle souffre parce qu’elle veut donner la vie et elle ne peut le faire qu’en souffrant. Pour accoucher d’un Cameroun nouveau, nous devons accepter de souffrir comme ces femmes quand elles veulent mettre au monde un enfant. Nous devons passer par cette humiliation, cette déshumanisation «réussies». C’est parce que nos «anges gardiens » croyaient avoir réussi à nous humilier que l’un d’eux nous avait dit au Tribunal militaire : «Pour me parler, vous devez vous mettre à dix mètres ». Il n’avait que le fusil et ceux qui n’ont que le fusil parlent parce qu’ils savent qu’ils seront obéis ».

Droit donc dans ses bottes et toujours aussi engagé, 27 ans après avoir rejoint les rangs de l’opposition politique au Cameroun. C’est en effet en 1992, dès le retour du multipartisme au Cameroun, qu’André Téné rejoint le Social Democratic Front (Sdf). Deux ans plus tard, il devient président de la circonscription électorale du Sdf de Bamougoum. Le portail des camerounais de Belgique. Il le restera jusqu’en 1998. Entre-temps, il est candidat malheureux au bureau national du parti en 1996, candidat malheureux aux élections primaires pour les législatives en 1997 et député suppléant entre 1997 et 2002. En 1996 aussi, André Téné est devenu vice-président provincial du Sdf pour l’Ouest. Son mandat s’achève en 2000. Deux ans plus tard, en 2002, il est conseiller municipal à la Commune urbaine de Bafoussam.

La politique avec la tête et non les muscles

En 2017, pourtant, il quitte le parti de John Fru Ndi. Pour des raisons qu’il avoue volontiers : « Le slogan «politic no bi academi » a conduit les analphabètes (qui en politique constituent en tout temps de véritables dangers à la chasse aux intellectuels qu’il fallait détruire, molester pour réussir. La politique ici est beaucoup plus une affaire de muscles que d’intelligence. Or si l’école ne suffit pas pour réussir en politique, elle est nécessaire. Personne ne semble encore croire au changement. On joue le jeu de l’adversaire ».

La destination suivante sera le Mrc. Pour des raisons bien précises aussi. «On y enseigne que la politique se fait avec la tête et non les muscles. L'info claire etnette. Aussi, les potentiels politiciens doiventils se mettre à l’école en général et à celle de la politique en particulier. Tout en maintenant naines les mentalités, les hommes politiques se sont jusqu’ici contentés de changer les choses. En plus de changer les choses, le Mrc entend aussi faire changer les hommes. C’est pourquoi il parle des mentalités à déstructurer et à restructurer, cela par une éducation permanente qui ne sera plus l’apanage des enfants seuls ».

Et il poursuit : «La vision du Mrc pour le Cameroun correspond à celle que nous en avons depuis longtemps : un immense chantier où chaque citoyen (et non chaque habitant) a en principe un poste de travail et où son absence est ressentie telle que celle d’un joueur qui, sanctionné pour une faute, est contraint de quitter l’aire de jeu. Avec cette vision, on ne peut pas envoyer des citoyens en prison uniquement parce qu’on veut leur prouver qu’on reste le plus fort. Après tout, leur poste de travail reste vacant au chantier ».

Né le 02 avril 1954 à Bamougoum, André Téné a fait ses études primaires à l’école Cebec de Bamougoum, puis à l’école Cebec de Diandam. En 1967, il entre au lycée classique de Bafoussam. Il y obtiendra le baccalauréat en 1975. Il passera ensuite une année à l’université de Yaoundé, entre 1975 et 1976 avant d’être admis à l’Ecole normale supérieure de Yaoundé. Il obtient le Dsa en 1979. Il reviendra en 1982 pour obtenir deux ans plus tard le Dipleg. Sur le plan professionnel, André Téné a été professeur de philosophie aux lycées de Batouri (1979-1982), Wum (1984-1986), Doukoula (1986-1988) et Mbouda (1988-2004).

Lire aussi dans la rubrique POINT DE VUE

Les + récents

partenaire

Vidéo de la semaine

évènement

Vidéo


L'actualité en vidéo