Faï Yengo Francis : Soldat en terrain miné
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Avec une expérience acquise dans la gestion des crises, il sera le principal acteur du processus de désarmement et de réintégration des combattants et ex-combattants sécessionnistes et des ex-terroristes de Boko Haram.

30 novembre 2018. Le Comité national de désarmement, de démobilisation et de réintégration (CnDDR) voit le jour par décret présidentiel. C’est un organe créé à la suite de nombreuses interrogations sur le devenir des ex-combattants de Boko Haram reconvertis et des sécessionnistes qui déposent les armes. Une structure similaire avait été promise aux populations de l’Extrême-Nord en 2016. Celle de fin 2018 a, depuis le 04 décembre comme coordonnateur, Faï Yengo Francis, ancien gouverneur de régions (Nord-Ouest, Centre et Littoral). Selon son décret de création, « le CnDDR doit permettre d'accueillir et de désarmer les ex-combattants du groupe islamiste Boko Haram et des groupes armés des régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, de collecter leurs armes et d'aider à leur réinsertion dans la vie civile ». Sauf que pour mener à bien la mission du volet désarmement dans la zone anglophone et dans l’Extrême-Nord, il faudra surtout identifier l’origine et les fournisseurs des armes, sans oublier la sécurisation des frontières qui restent jusqu’ici poreuses.

Pour preuve, dans l’Extrême-Nord, des saisies ont été opérées. En avril 2018, l’armée a affirmé qu’en dehors de 45 terroristes neutralisés, elle a fait des prisonniers et saisi des armes et des munitions au cours d’une des multiples opérations dites de « ratissage ». Dans la nuit du 06 au 07 septembre 2018, la marine nationale avait arraisonné au large de la péninsule de Bakassi, trois bateaux transportant du matériel de guerre. En plus de cet arsenal de combat (armes et munitions), une source sécuritaire avait indiqué que les membres de cet équipage (43) seraient en fait des mercenaires venus du Nigeria comme renfort aux sécessionnistes se réclamant imaginaire d’Ambazonie.

A cette date, l’armée évaluait les saisies à plus de 700. A l’intérieur du pays, des armes sont en circulation libre sans contrôle. Le ministre de l’Administration territoriale (Minat), Paul Atanga Nji, au cours d’une réunion les 4 au 5 septembre 2018 avec les opérateurs du secteur d’armes à Yaoundé, a révélé que 23200 armes circulaient en marge de la réglementation sur le territoire camerounais. Les armuriers de l’Adamaoua, du Centre, du Littoral, de l’Ouest, du Nord-Ouest et du Sud-Ouest avaient dû fermer boutique pendant cinq mois, entre avril et septembre de l’année dernière. Le gouvernement a autorisé la réouverture de leurs commerces en soumettant désormais les armuriers à des mesures plus strictes.

En fait, selon le chercheur en défense et sécurité, Aimé Raoul Sumo Tayo, en 2019, la crise anglophone sera très probablement l’enjeu sécuritaire principal pour les forces de défense et de sécurité. camer.be. « L’acquisition progressive d’équipements modernes par les insurgés va sans doute accroître la létalité de l’insurrection et de la contre-insurrection. Certaines modalités de la gestion de la crise anglophone pourraient transformer cette insurrection anti-étatique en une guerre civile sanglante. Sur ce, une extension de l’aire territoriale de l’insurrection est à craindre », analyse-t-il. Et de poursuivre : « L’existence des communautés rivales ayant migré dans la région du Sud, par exemple, pourraient permettre l’ouverture d’un autre front à l’issue de cette insurrection ».

Un autre défi sécuritaire majeur auquel le Cameroun pourrait faire face est la montée du banditisme rural transfrontalier avec notamment les prises d’otages et demande de rançon dans la partie Sud de la région de l’Extrême-Nord, ainsi que dans les régions du Nord et une bonne partie de l’Adamaoua. En effet au cours de plusieurs réunions de sécurité dans l’Adamaoua en 2018, les autorités administratives et populations se plaignaient de la recrudescence des prises d’otages. Elles ont révélé que 150 otages ont été libérés, 58 armes de guerre récupérées et six preneurs d’otages interpellés. D’après les dires d’un chef traditionnel du département de la Vina, région de l’Adamaoua, pour la seule année 2018, on estime que près de 500 millions Fcfa ont été versés aux ravisseurs en guise de rançon.

Sortie de crise

Le challenge primordial, à en croire Raoul Sumo Tayo est sans doute d’ordre philosophique et méthodologique. « Un désarmement, une démobilisation et une réintégration (DDR) classiques se situent généralement en sortie de crise ». « Le DDR est d’ailleurs l’une des trois composantes d’une sortie de crise aux côtés de la réconciliation des parties et de la restructuration. On ne saurait normalement parler de DDR sans évoquer ces deux autres piliers parce que chacun d’eux a une incidence sur l’autre », détaille-t-il. D’après lui, le coordonnateur Faï Yengo Francis et son équipe devraient donc faire preuve d’ingéniosité, sortir des sentiers battus pour mettre en place des mécanismes originaux afin d’accomplir les missions qui leur ont été assignées.

Par ailleurs, en vue de maîtriser la situation, le politologue Eric Mathias Owona Nguini propose au gouvernement de continuer plutôt à collaborer avec les populations et les comités de vigilance [14000 membres au 14 août 2018, selon un rapport de l’Organisation non-gouvernemental International Crisis Group]. Il estime que la sensibilisation devrait continuer afin de décourager les groupes armés qui mettent en mal la paix. Dans ce sens, Sumo Tayo estime que la libération de 289 détenus en décembre 2018 est une bonne chose parce que « la criminalisation de la contestation politique et la judiciarisation de la réponse ont montré leurs limites. La dynamique, pour être efficace et effective, devrait néanmoins être menée jusqu’au bout. Ce serait une mesure d’apaisement, un préalable à l’ouverture d’un dialogue franc et sincère ».

Parlant du plan d’assistance humanitaire d’urgence, il pense que ce n’est pas la solution. « Il permettra certainement de soigner un des symptômes du mal, mais ne permettra pas de s’attaquer à ses racines », conclut-il

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