Les avocats d’Ayuk Tabe embarrassent le Tribunal militaire
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Ils soutiennent que la constitution de l’avocat de l’Etat du Cameroun et la communication tardive de la liste des témoins de l’accusation à l’ouverture des débats sont, selon eux, en violation des dispositions légales en vigueur. Le tribunal a opté pour le report de l’affaire pour détendre l’atmosphère.

Le procès public intenté à Sisuku Ayuk Tabe qui se présente comme le président de l’Etat de « l’Ambazonie » ainsi qu’aux neuf membres de son «gouvernement » s’est enfin ouvert devant le Tribunal militaire de Yaoundé le 6 décembre 2018, sous fond de débats houleux qui ont parfois, embarrassé le collège des juges dirigé par Mme Eko Eko, la présidente de cette juridiction. Désormais incarcérés à la prison principale de Yaoundé, depuis le 26 novembre dernier, le président autoproclamé et ses compagnons étaient tous devant la barre. Ils répondent de dix chefs d’accusation : actes de terrorisme, apologie de terrorisme, insurrection, bandes armées, atteinte à l’intégrité de la patrie, sécession, rébellion, propagation de fausses nouvelles et défaut de présentation de la carte nationale d’identité.

Cette première audience a donné lieu à de chaleureuses retrouvailles entre les accusés et les membres de leurs familles, après une longue garde au secret de 8 mois dans l’enceinte du Secrétariat d’Etat à la défense (SED) chargé de la gendarmerie. Le tribunal, qui craignait d’éventuels débordements ou dérives au cours de cette première audience, a pris un arsenal de mesures sécuritaires à l’intérieure et à l’extérieure de la salle d’audience. Notamment, le filtrage systématique des entrées dans l’enceinte du tribunal et la confiscation des appareils téléphoniques et photographiques, qui n’ont été remis à leurs propriétaires qu’à la fin de l’audience. Dès l’entame de l’audience, aux environs de 11h30, le commissaire du gouvernement (procureur de la République) a pris des «réquisitions spéciales» à l’occasion desquelles il a demandé aux parties au procès d’éviter de transformer la barre en une tribune des passions personnelles. Il a invité les uns et les autres à la courtoisie et au respect mutuel dans le but d’avoir un procès serein. C’est à la suite de cette mise au point que la présidente du tribunal appelé chacun des mis en cause avant de les identifier, selon le rituel du procès pénal.

Me Ndocki Michèle

En prenant la parole pour se présenter à tour de rôle, les accusés ont tous déclaré être citoyens de de la République de «l’Ambazonie», résidants de l’Etat fédéral du Nigéria au moment de leur interpellation. La présentation des accusés révèle, par ailleurs, que M. Sisuku Ayuk Tabe, est un ingénieur informaticien ; Nfor Ngola Nfor, le doyen du groupe, est un fermier ; Tassang Wilfried Fombang, le plus jeune des incriminés, est enseignant de Lycée. Pour leur part, Henri Kimeng, Cornelius Njikimbi Kwanga, Fidelis Che, Che Augustine Awasum et Egbe Ogork sont des professeurs d’université, alors qu’Eyambe Elias Ebea et Shufai Blaise Sevidzena Berinyuy sont, quant à eux, des avocats inscrits au barreau du Cameroun.

Pour assurer la défense des dix accusés, une quarantaine de cabinets d’avocats constitués. Le tribunal a eu besoin de pas moins de trente minutes pour enregistrer chacun. On note, dans cette liste, la présence de Me Fru John Asuh, désigné président du collectif des avocats de la défense ; celle de Me Ndoki Michèle du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC), de Me Morfaw, le nouveau président de l’Assemblée générale de l’ordre des avocats du Cameroun, et bien sûr, Me Assira et Me Simh, coutumiers des procès liés à la crise anglophone, qui ont été constitués par le bâtonnier du barreau pour assurer la défense de leurs confrères impliqués dans cette affaire.

Pour défendre les intérêts de l’Etat à côté du commissaire du gouvernement, Me Duclair Mangoua s’est signalé. Mais l’annonce de sa constitution a soulevé une petite levée de bouclier sur le banc de la défense. Me Fru John Asuh, aidé par ses jeunes confrères francophones, a en effet pris la parole pour émettre deux réserves : la première est relative point concernant à la constitution de Me Mangoua comme avocat de l’Etat, alors qu’il n’a pas encore reçu l’autorisation préalable du bâtonnier dans une affaire où deux de ses confrères sont incriminés. Une réserve que le tribunal a accueillie favorablement, le collège des juges a retiré la parole à l’avocat du Mindef jusqu’à ce qu’il régularise sa constitution.

La deuxième réserve émise par le collectif des avocats de la défense concerne la conduite du procès. La défense, par son porte-parole, accuse en fait le parquet du tribunal militaire d’avoir violé les dispositions légales du Code de procédure pénale qui exigent que la liste des témoins soit communiquée aux parties au moins 5 jours avant l’ouverture des débats. Or, la liste des témoins du ministère public a été mise à la disposition des mis en cause la veille de l’audience du 6 décembre. Pour ces avocats, cette liste doit être déclarée irrecevable puis-qu’aucune raison légale ne peut expliquer ce manquement qui est préjudiciable aux droits de la défense, ont-ils soutenu. De nombreuses interventions sont allées dans ce sens, notamment celle du nouveau président de l’Assemblée générale du barreau, qui soutient qu’il y a déjà eu ouverture des débats dans cette affaire et qu’à ce titre, la liste des témoins ayant été transmise avec un retard, celle-ci doit être purement et simplement rejetée. Le commissaire du gouvernement va expliquer que le parquet a eu d’énormes difficultés à identifier ses témoins. Mais, a-t-il tout de suite précisé, la liste des témoins du ministère public ne peut pas être rejetée puisque sa communication s’est faite et se fera dans le respect des délais, étant donné que l’audience du 6 décembre n’était, selon lui, qu’une audience des préliminaires et non celle d’ouverture des débats.

Visites possibles

Face à l’insistance des avocats de la défense sur cette question, le collège des magistrats s’est vu contraint de suspendre l’audience pour une longue concertation qui a duré près de deux heures. A la reprise de l’audience, le tribunal a constaté que «les débats n’ont pas encore été ouverts». Conséquence, le ministère public est sorti de son embarras. Il dispose dès lors des délais les plus larges pour communiquer sa liste de témoins à tous les avocats de la défense avant la prochaine audience, prévue le 10 janvier 2019. Le tribunal a ainsi accédé à la demande des avocats qui veulent un peu plus de temps pour prendre connaissance des éléments du dossier de procédure.

Un avocat de la défense a profité du démarrage du procès public pour poser le problème de l’accès des accusés à leur famille, notamment à travers les visites, qui sont interdites jusqu’ici. Réponse de Mme Eko Eko : les proches désireux de rendre visite aux accusés, mais aussi les avocats régulièrement constitués, peuvent se faire délivrer des permis de communiquer, qui ont une validité de deux mois renouvelables. L'info claire et nette. Cette information constitue un autre assouplissement de la situation des dix «Ambasonniens», puisqu’ils ont vécu loin de tout contact avec l’extérieur, jusqu’à leur transfert à la prison principale de Yaoundé, qui est un pénitencier relativement ordinaire. Avant d’être renvoyés en jugement devant Tribunal militaire de Yaoundé, M. Sisuku Ayuk Tabe et ses coaccusés avaient comparu tour à tour devant le tribunal de grande instance du Mfoundi et la Cour d’Appel du Centre. Ils avaient sollicités leur remise en liberté immédiate dans le cadre d’une requête en procédure d’Habeas Corpus (libération immédiate), estimant que leur détention était arbitraire.

Même si leur recours n’a pas été couronné de succès, il semble avoir influencé l’enrôlement rapide de leur affaire devant le tribunal militaire de Yaoundé. En rappel, depuis 2016, les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun font face à des revendications corporatistes qui se sont transformés en mouvements sécessionnistes, accompagnés dans certains cas d’actes terroristes. Une fraction dirigée par Sisuku Ayuk Tabe clame la création d’un Etat dit de «l’Ambazonie». Ce sont ces leaders de cette mouvance qui ont été interpelés à l’hôtel Nora au Nigeria, le 5 janvier 2018 et gardés à vue dans les cellules du SED, pendant 8 mois avant d’être transférés à la prison principale de Yaoundé. En février 2018, au lendemain de leur extradition vers le Cameroun, le ministre de la Communication avait indiqué, dans son rôle de porte-parole du gouvernement, que la bande à Sisuku Ayuk Tabe avait été mise à la disposition de la Justice. C’est enfin chose faite avec l’ouverture du procès devant le tribunal militaire.

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