DIEUDONNé ESSOMBA : Expliquez-moi la « nation camerounaise »
CAMEROUN :: POINT DE VUE

Dieudonné Essomba : Expliquez-Moi La « Nation Camerounaise » :: Cameroon

Tous les Camerounais parlent de la nation soi-disant en construction, mais si on leur demande comment ils voient concrètement cette nation, personne n’est capable de répondre ! Comment donc se présentera la « nation camerounaise » au terme de sa construction ?

Est-ce la disparation des tribus camerounaises, au profit d’une population sans repère linguistique locale, ne s’exprimant qu’en français et en anglais ? Mais précisément, si les Camerounais ne sont plus Douala, Bassa, Bamileke, Makia, Fulbé, Moundang, Bakweri ou Widekom, ils seront quoi ? Des Français tropicaux ?

A la vérité, personne n’envisage sérieusement cette hypothèse. Par contre, si la Nation signifie que les Communautés sont maintenues, qu’est-ce que cela changera par rapport à la situation actuelle ? Ces Communautés qui sont des réalités humaines ne manqueront pas d’afficher leurs exigences vis-à-vis de l’Etat par rapport aux avantages concrets que sont les emplois publics, les postes de pouvoir ou les infrastructures collectives.

Quelle sera alors la différence avec la situation actuelle ? La question fondamentale posée est que tout le monde parle de cette fameuse « nation » en construction, mais personne ne dit comment elle va se présenter. En se lançant dans un projet qui n’a aucun objectif défini, nous faisons manifestement fausse route. Ma position est la suivante : la vraie unité nationale du Cameroun n’est pas dans la négation des « tribus », mais dans la transformation des tribus en « nationalités ».

Les deux termes désignent des regroupements humains disposant d’une homogénéité sociologique, mais elles ont une importante différence : alors que la nationalité est ouverte, la tribu est fermée. Par exemple, les habitants de la Bretagne en France sont des Bretons. Ils disposent d’une culture propre, avec des particularismes connus.

Mais si vous vous installez en Bretagne et vous adoptez cette culture, vous devenez Breton, même si vous êtes Noir. Inversement, un Breton qui s’installe en Bavière en Allemagne et adopte la culture de la Bavière devient Bavarois. C’est pour cela qu’on dit que les nationalités sont ouvertes.

Par contre, si vous êtes de la tribu Bassa, même si vous vous installez pendant 100 ans à Maroua, vous restez toujours Bassa. Inversement, un Bamileke qui s’installe chez les Bassa reste Bamileke même s’il y fait 100 ans. C’est pour cela qu’on dit que les tribus sont fermées. Un pays a atteint l’unité nationale lorsque ses tribus sont devenues des nationalités, ou plus exactement, lorsqu’il n’a plus que des nationalités.

Et cela se construit en conférant aux communautés un pouvoir d’Etat. Un Etat local, avec son pouvoir et ses moyens créent des liens fonctionnels entre les résidents d’une localité, et ces liens commencent à prendre le pas sur les liens tribaux. Si par exemple, on érige la Lekié en une entité publique autonome, elle peut créer une université par les contributions de ses résidents et cette université leur appartient en propre.

Tous ceux qui y contribuent en sont propriétaires, qu’ils soient Eton ou non. Inversement, un Eton qui réside à l’extérieur et qui n’y a pas contribué ne peut y prétendre. Ce sont ces réalisations collectives qui transforment progressivement la tribu en nationalité, autrement dit, en une communauté nouvelle, tirant certes ses fondements sur la communauté tribale initiale, mais désormais tournées vers ses résidents et non plus vers les originaires.

En d’autres termes, les Etons de la Lekié se transforment progressivement en Lekéens, les Baham se transforment progressivement en Bahamais, et ainsi de suite. A contrario, quand le système est centralisé comme le nôtre, tout appartient à l’Etat. Et si cet Etat construit une université dans la Lekié, les Etons ne manqueront pas de dire aux autres communautés que c’est leur université. Et vous verrez les Etons vivant à Washington revendiquer cette université, contre les communautés installées de longue date à Obala.

Des comportements impossibles si l’université est construite par les contributions fiscales des résidents, sur la base d’un vote de l’Assemblée des résidents ! En définitive, le système unitaire entrave le développement des liens fonctionnels entre les résidents, mais les juxtapose en un conglomérat d’individus venant de partout, chacun obligé de s’accrocher à sa communauté d’origine faute d’autre alternative. Il fige le système sociopolitique dans son état infantile et bloque son évolution, tout en développant des antagonismes permanents et surtout, des coteries tribales pour le contrôle du pouvoir d’Etat.

Lire aussi dans la rubrique POINT DE VUE

Les + récents

partenaire

canal de vie

Vidéo de la semaine

évènement

Vidéo


L'actualité en vidéo