Transport routier : Comment la corruption fait grimper le prix du poulet
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L’Acdic a mené une enquête sur les postes de péage informels créés par les policiers, les gendarmes, les douaniers et les agents du ministère de l’Elevage.

Sur l’axe Mbouda-Douala, l’Etat du Cameroun perçoit 2 000 F.Cfa par véhicule ; soit 500 F.Cfa payés à chacun des 4 postes de péage. Sur cette même route, des policiers, des gendarmes et des agents du ministère de l’Elevage se partagent au minimum 24 000 F.Cfa prélevés sur chaque voiture transportant du poulet ou des oeufs destinés à la commercialisation.

Cette somme est partagée entre les différents postes de contrôle de la gendarme, de la police, ainsi que les check-point du ministère de l’Elevage, des Pêches et des Industries animales (Minepia). Les policiers et les gendarmes exigent de percevoir ce qu’ils appellent la « pose de la route », selon le jargon consacré. Ici, c’est 2 000 F.Cfa. Plus loin, la « pose » coûte 1 000 F.Cfa ou 500 F.Cfa. La mercuriale indique un montant déterminé à chaque point.

Au terme du voyage, le transporteur dépense donc 24 000 F.Cfa lorsqu’il est entièrement en règle, tant au niveau des pièces de la voiture que des documents de la cargaison. Lorsque ce n’est pas le cas, il faut prévoir un bon paquet d’argent à dépenser. Le transporteur va devoir corrompre pour faire le voyage. Moralité : sur la route, on paie toujours, qu’on soit en règle ou non, qu’on le veuille ou non.

C’est la haute saison du racket et de la corruption sur les routes du Cameroun, en ces temps de grippe aviaire. Telle est la conclusion de l’enquête en immersion menée en octobre 2016 sur plusieurs tronçons du pays par l’Association citoyenne de défense des intérêts collectifs (Acdic). Le rapport d’enquête est intitulé : « Les gendarmes de la corruption ? Non. Des gendarmes et des opérateurs économiques ! Des gendarmes et des opérateurs corrupteurs. »

Les montants de la corruption

Quelques chiffres sont révélateurs de l’ampleur du racket et de la corruption dans le circuit du transport des produits aviaires. Tenez, il est tout à fait possible de convoyer frauduleusement des poules et des oeufs de Bafoussam pour Douala, alors qu’il est strictement interdit de commercialiser ces produits dans le département de la Mifi. Il suffit au transporteur de prévoir la somme de 520 000 F.Cfa à distribuer aux différents points de contrôle.

A titre d’illustration, 100 000 F.Cfa sont laissés aux routiers du lieudit « INO » sis à la sortie de la ville de Bafoussam. Les routiers ce sont les gendarmes du peloton motorisé. Plus loin pendant le voyage, il faut laisser 60 000 F.Cfa au poste de contrôle sanitaire vétérinaire de Nkongsoung à Melong. C’est le prix du cachet nécessaire pour continuer. Sur le sceau, il est portant marqué « gratuit ». Ici, les agents du Minepia agissent en complicité avec les forces du maintien de l’ordre. Sur l’axe Bangangté-Douala, le transporteur clandestin dépense 410 000 F.Cfa. Le poulet et les oeufs peuvent aussi sortir frauduleusement de Bafoussam pour Yaoundé.

Dans l’impossibilité  de se faire établir un certificat sanitaire, il suffit de prévoir 600 000 F.Cfa pour le voyage. De Bangangté à Yaoundé, les pots-de-vin s’élèvent à 490 000 F.Cfa. Sur l’axe Yaoundé-Douala, l’Acdic rappelle qu’en plus des 3 postes de péage de l’Etat, il y en avait 6 autres identifiés comme tel le 8 octobre 2016. Il s’agit évidemment de postes informels entretenus par des policiers et des gendarmes. Dans tous les cas, il faut passer au guichet. En ces temps de grippe aviaire, les enchères sont en train de monter pour toute cargaison de poules ou d’oeufs. Personne n’ignore que ces produits valent de l’or sur le marché. Et il y a chez les éleveurs, les transporteurs et les vendeurs cette volonté de contourner les restrictions imposées par les autorités. Chez les acteurs de la chaîne de contrôle (Minepia, Police, Gendarmerie et même Douanes), l’occasion est trop belle pour se faire de l’argent.  

Les mauvaises pratiques

Il est donc possible de dépenser plus que les montants prévus par la mercuriale de corruption et du racket. A certains points de contrôle par exemple, tout véhicule transportant des produits aviaires paie 5 000 voire 10 000 F.Cfa, au lieu des 2 000 F.Cfa exigés en temps normal. C’est le cas au poste de contrôle de Bafia. L’enquête en immersion dans un camion d’oeufs révèle même que le délégué du Minepia de Makenene a demandé 10 000 F.Cfa pour apposer le visa vétérinaire. Après moult négociations et supplications, il a accepté 5 000 F.Cfa. « Visa apposé sur les documents de transport aux postes de contrôle vétérinaire check point : Payant (2 000, 2 500, 5 000, 10 000 F.Cfa) », écrit l’Acdic dans son rapport d’enquête.

A propos des pratiques observées sur le terrain, le rapport indique : « Délivrance des papiers par les délégués départementaux et d’arrondissement des zones rouges et oranges de l’Ouest : payant dans certains cas (ceux frauduleux) sans aucun suivi effectif de la ferme du requérant, peu importe la zone de provenance des produits à transporter. Les fermes indiquées sur le document sont généralement fictives. Ils les font signer facilement chez le régional, vu qu’ils sont supposés connaître leurs éleveurs et avoir tout vérifié. Généralement, ils n’impliquent pas les vétérinaires pour ne pas avoir à partager le butin. Il arrive que les papiers soient fabriqués dans les bureaux de la délégation régionale avant d’être soumis à la signature du délégué. »

D’après  l’enquête, les documents requis pour le transport des produits aviaires font l’objet de marchandage dans les services du Minepia, au niveau des régions, des départements et des arrondissements. Il arrive de payer jusqu’à 250 000 F.Cfa pour obtenir de faux documents, en plus de verser 100 000 F.Cfa pour se faire escorter par un vétérinaire. Plusieurs mauvaises pratiques avaient déjà cours avant la grippe aviaire déclarée le 24 mai 2016. Pour être homologuée, une ferme payait 80 000 F.Cfa au lieu des 8 000 F.Cfa prévus par la réglementation. Au marché central de Douala, les services vétérinaires rackettent sur le déchargement et l’abattage des poulets : 10 F.Cfa par poulet déchargé et 5 F.Cfa par poulet abattu et plumé. Il suffit de multiplier par les millions de volailles qui arrivent sur cette place marchande. Sur les routes, la multiplication est toute aussi aisée, sachant que des milliers de voitures convoient au quotidien des produits de commercialisation.

Une fois sur le marché, le prix  de revient du poulet ou de l’oeuf intègre toutes ces dépenses liées au racket et à la corruption. Le prix de vente ne s’en trouve que renchéri. A ce sujet, l’Acdic relève que le poulet continue d’être rare et cher, or il est bradé en ferme par les éleveurs. Il y a de quoi comprendre qu’un poulet coûte 3 500 F.Cfa sur le marché alors qu’il a été vendu en ferme à 1 000 F.Cfa. Le poulet a même été vendu à 7 000 F.Cfa sur les marchés de Douala. Evidemment, c’est le consommateur qui paie la note au finish. Et pas tous les consommateurs, car il ne faut guère perdre de vue les sommes d’argent encaissées par les policiers, les gendarmes, les fonctionnaires du Minepia et les douaniers. Un argent engrangé sur le travail des éleveurs et sur le dos de l’Etat à qui échappe un part considérable des impôts et taxes à prélever dans le secteur avicole.

En effet, dans le contexte actuel, beaucoup d’acteurs préfèrent évoluer dans l’informel et la clandestinité, car le fait d’être en règle ne les protège ni du racket ni de la corruption à laquelle ils sont contraints sur les routes. Ici, policiers, gendarmes et autres agents de l’Etat ont toujours le dernier mot. Le vendeur d’oeufs fuit toujours les querelles, paie et s’en va. C’est dire la détresse des acteurs de la filière qui sont des corrupteurs, et parfois des corrompus.  

Le scandale de Bekoko

L’exemple type est le scandale survenu le 3 octobre 2016 à Bekoko, à l’entrée Est de la ville de Douala.Ici, un poste de contrôle bien connu est entretenu par les gendarmes de la brigade du peloton motorisé de Bonassama. Deux camionnettes transportant chacune 1 500 poules ont été arrêtées vers 1h du matin, alors qu’ils entraient à Douala. Bien que les convoyeurs aient présenté toutes les pièces, les deux gendarmes en poste ont exigé 200 000 F.Cfa par véhicule, sous le prétexte que ceux-ci transportent frauduleusement des cargaisons parties de Bafoussam où la commercialisation est interdite. La pratique est courante, mais difficile à prouver.

Dans le cas d’espèce, les  deux camionnettes présentaient des documents conformes, attestés par le délégué départemental du Minepia du Moungo. Des documents indiquant que les poules venaient de la ferme Savic Sarl installée à Nkongsamba. Les gendarmes, dont l’un se nomme « Assako », ont immobilisé les deux camionnettes, car les propriétaires des poules ont refusé de payer les 400 000 F.Cfa exigés.

Vers 8h, les convoyeurs ont sorti des dizaines de volailles mortes qu’ils ont déversées sur la chaussée. L’affaire s’est corsée une fois que les services du Minepia ont été alertés, jusqu’au ministre à Yaoundé ; et que les journalistes se sont pointés. Dos au mur, les gendarmes ont pris la fuite, laissant libre cours à la population d’emporter les poules mortes.

Tout s’est finalement réglé dans le bureau du commandant de la brigade du peloton motorisé de Bonassama. Témoignages à l’appui, l’Acdic affirme que ce dernier a acheté le silence sur le scandale en dédommageant les propriétaires des cargaisons à hauteur de 4 millions F.Cfa. Tout le monde est reparti content ; le racket et la corruption ont repris leurs droits sur la route.

Ces pratiques ne sont désormais plus méconnues au cas où elles l’étaient encore. En effet, l’Acdic a envoyé des copies de son rapport d’enquête au ministre de la Défense, au secrétaire d’Etat à la Défense en charge de la Gendarmerie nationale, au délégué général à la Sûreté nationale, pour ne citer que ces responsables de la République parmi les plus concernés.

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