Hygiène et salubrité : Urinoirs à ciel ouvert
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Friands de sensations fortes ou par simple accommodation, nombreux sont les Camerounais qui se lâchent en plein air.

Ce jeudi soir semble plus intéressant pour Thiago et ses amis. Assis à la terrasse d’un snack-bar de Yaoundé, le groupe de garçons sirote l’un après l’autre les bières que viennent leur servir la demoiselle au bar. Au fur et à mesure que le temps passe, les bières s’enchainent, et vient le moment de se soulager. En moins de trois heures, Thiago et ses compagnons effectuent chacun pas moins de six tours au petit coin. Seul hic, ce snack bar ne dispose qu’une seule pièce aménagée en urinoir pour tous les clients. Une pièce qui tient sur moins de trois mètres carrés, dont l’odeur nauséabonde vous passe l’envie d’y faire vos besoins.

Pour pallier ces inconvénients, et continuer à savourer allègrement leur boisson, les consommateurs assis prennent juste la peine de sortir et se mettre à l’aise non loin du snack. En file face à un mur de briques, les hommes ont tous la même position : debout, jambes entrouvertes, les mains sur leur sexe, la bouche grand ouverte, les yeux rivés vers le ciel. En sifflotant ou dans le silence, ils urinent à l’air libre. Le vent qui s’écrase sur leurs épaules ne suffit pas à les décourager. Tout au contraire, « c’est le petit plus quand on fait pipi dehors », s’en vante Thiago. En deux ans de fonctionnement, le mur face au snack bar que tient Ophélie Ewane, 29 ans, en a vu des vertes et des pas mûres. Construit là par un voisin agacé par les bruits provenant de l’établissement, il sert de dénivellation entre lui et les maisons d’habitation situées à proximité.

Il n’y a pas longtemps encore, un petit garçon s’amusait à écrire dessus à la craie : ne pas pisser ici. Le mot d’ordre est accompagné d’une flèche qui semblerait-il indique les briques superposées qui servent de pissoir à tout le monde. Et si la tenancière reçoit tous les jours des injonctions de ses voisins fatigués d’entendre des gens se mettre à l’aise à longueur de journée, difficile pour elle de le faire savoir à ses clients qui le font déjà naturellement. La plupart lui fait savoir que ses toilettes sont trop petites et sales. Raison pour laquelle ils préfèrent uriner en toute liberté à l’extérieur.

Pause pipi

Partir de Yaoundé pour Kribi dure environ quatre heures de temps. La dernière fois que Caroline parcourait cette distance, elle ne s’attendait pas à interrompre le conducteur du bus pour uriner. Après avoir bu 1,5l d’eau, 0,5l de jus de grenadine et une bergère à la vanille, normal que sa vessie à un moment dise stop. Seulement, la passagère s’est entêtée en pensant qu’elle pourrait tenir jusqu’au terminus de son voyage. Grande est sa surprise quand à l’entrée de la cité balnéaire ses pieds se mettent à trembler. Sans autre issue, elle stoppe le véhicule en catastrophe, et descend pour uriner aux abords de la route. Les fesses à l’air, le pantalon et le slip à micuisse, elle est accroupie et pousse un cri de soulagement, une fois sa besogne terminée.

Cette situation, elle ne pensait pas la vivre un de ces quatre. Et même si cela l’a mise mal à l’aise, elle s’imagine mal une femme en train de faire pipi en public. Ernestine est moins dure envers ces femmes qui se soulagent en public. Habituée des bars et autre débit de boisson, elle ne trouve aucun lieu meilleur que la broussaille ou la rue. Il lui est arrivé d’uriner dans un cimetière en pleine nuit, après avoir avalé plusieurs bières. Une anecdote parmi tant d’autres pour l’infirmière habituée à ce genre de pratiques.

Au  Cameroun, il est tout à fait coutumier de voir au bord de la route, à une sortie peu fréquentée, sur un parking, des personnes accroupies ou debout en train d’uriner. Et si certaines avancent le manque de toilettes publiques, d’autres avouent sans détour apprécier se soulager à l’air libre. Fabrice, 26 ans est l’un de ceux-là. Résident d’un quartier chic, il quitte très souvent son domicile pour se soulager dans les fleurs de ses voisins. Et ceci quel que soit l’heure. Samedi dernier, en revenant de boite de nuit, c’est dans les rosiers de sa voisine de gauche que ses urines atterrissaient. Au lieu du Wc confortablement installé dans sa chambre. Pour lui, aucune sensation n’est égale à celle que lui procure un pipi à l’air libre.

Pour ainsi dire, il est tout à fait normal que certains endroits sentent la pisse. C’est le cas de la ruelle qui rallie le camp Sonel d’Essos à la Mobil du même quartier. A la tombée de la nuit, envahi de badauds et d’amoureux de la bière et ses effluves, Essos devient un vrai « pissoir ». Ici, les personnes qui se retiennent d’uriner se comptent à peine sur les bouts des doigts. Uriner en route est devenu si commun dans les alentours, que les caniveaux et les égoûts du quartier ressemblent plus à des poubelles à ciel ouvert qu’à autre chose. L’amoncellement de ces urines sur des couches d’eaux usées donne un mélange sans couleur fixe aux caniveaux du quartier. Et, c’est tout type de plante marécageuse qui prolifère dedans.

Les vendeurs ambulants et usagers du coin sont certes déjà immunisés. Mais il leur arrive de temps à autre de passer un coup de gueule aux clients des bars et snacks du quartier. Ibrahim, vendeur de viande séchée s’en est pris dimanche dernier à une dame venue se soulager près du fût qui lui sert de foyer. Enervé par ce geste, le commerçant lui brandit le couteau avec lequel il sert ses clients pour la décourager. Mais rien n’y fait, l’envie de la dame est trop pressante pour qu’elle puisse se déplacer. Alors, c’est devant un homme dépassé, et des amis amusés qu’elle se soulage. Amusées, les personnes autour de lui demandent jusque quand il le fera, et s’il ne se fatigue pas de le faire. « Il devrait déjà être habitué », répond sa voisine.

Une réglementation laxiste

D’après la loi, la dégradation des sols et des sous-sols, la pollution de l’air par les effluents (urine, déchets solides, etc…) et tout autre type d’infraction en matière d’hygiène et salubrité est punie. L’urine étant considérée comme un produit toxique qui peut dégrader la qualité de l’air, à la longue du sol et de son sous-sol, la déverser n’importe où peut conduire à des peines d’emprisonnement allant jusqu’à six mois. Sous la charge des mairies, communes et au plus haut niveau du ministère de l’Environnement, le problème des urines sur la voie publique est une chasse aux sorcières. Les agents de mairie censés contrôler la disponibilité de toilettes dans tous les espaces ouverts au public sont connus pour recevoir des pots de vin de sorte à se taire lorsque les propriétaires ne sont pas en règle.

Nombreux sont donc les bars qui ne possèdent pas de « pipi room ». En face, se trouvent aussi les clients, peu exigeants qui se replient dehors lorsqu’il faut se soulager. « Depuis l’ouverture de mon bar, je compte à peine deux clients qui se sont plaints du fait que je ne n’aie pas de toilettes. Ils acceptent alors d’aller se mettre à l’aise en face », explique un propriétaire de ce type d’établissement. Rares sont donc les personnes qui fréquentent ce type de lieu qui sont au courant qu’elles pourraient même porter plainte au propriétaire des lieux. Tout simplement pour défaut de toilettes. En dehors des bars et autres snacks bars, il existe aussi des endroits précis où les piétons s’adonnent à uriner à coeur joie. Les écriteaux sur les façades de ces endroits et même la peine qu’ils encourent en violant la loi n’y changent rien. Les « pisseurs » s’entêtent et la loi semble faible face à ce phénomène. Comme le dit cet agent de la mairie de Yaoundé 1, « tout est d’abord une question d’éducation.

Pour ces gens là, il est tout à fait normal de faire pipi partout, les gens et les emménagements autour n’y changent rien. Il faut d’abord sensibiliser les populations aux méfaits des urines en plein air avant de les réprimander. Or, cette pratique est tellement encrée dans leurs habitudes que ce ne sera pas facile de changer cela. » De leur côté, les environnementalistes ont un droit de regard sur ces questions mais n’en font pas leur priorité. D’après l’un d’entre eux, le ministère de l’Environnement a pourtant prévu des sanctions lourdes pour les contrevenants. Et s’adonner à réprimander les personnes qui rentrent dans ces infractions n’est pas évident. De plus, certains personnels en charge de ce problème font souvent pareil. Alors, il serait difficile pour eux de sermonner quiconque. « Ils viennent nous blâmer dans nos établissements alors qu’ils sont les premiers à sortir pour uriner quand ils viennent boire des bières avec leurs collègues », se plaint un barman. N’empêche, il arrive que la Communauté urbaine, la mairie et même la police sévissent au même endroit en collant une amende pour « épanchement urinaire » aux responsables de ces désagréments. Celle-ci peut s’élever jusqu’à 500.000 F.Cfa.

© Le Jour : Ines Ntsama

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