Thomas Sankara et nous… une histoire du peuple et non de leader…
BURKINA FASO :: POINT DE VUE

BURKINA FASO :: Thomas Sankara et nous… une histoire du peuple et non de leader…

J’ai lu Thomas Sankara au même rythme que j’ai dévoré la bande dessinée de Martin Luther King que m’avait alors offerte ma maman alors que j’avais moins de dix ans. Loin du Cameroun je ne saurais me souvenir de la date exacte, mais cette BD était sur le même format que les Koakou que beaucoup de ma génération ont connus.

Tous les discours de Thomas Sankara ou de « Tom Sank » ou de « Thomas » comme beaucoup l’appellent encore aujourd’hui ce résume au mot et au nom « Peuple » d’ailleurs nous aurions pu traduire Burkina-Faso par « peuple intègre » en lui et place du « pays des hommes intègres » que cette traduction n’aurait posé problème à personne.

Je voudrais ici partir de sept envolées de Thomas Sankara pour nous interroger sur la place qui est la nôtre dans la construction de l’Afrique.

- « Tant qu’il y aura l’oppression et l’exploitation, il y aura toujours deux justices et deux démocraties : celle des oppresseurs et celle des opprimés, celle des exploiteurs et celle des exploités. La justice sous la révolution démocratique et populaire sera toujours celle des opprimés et des exploités contre la justice néo-coloniale d’hier, qui était celle des oppresseurs et des exploiteurs. »

Ce premier extrait est tiré du discours prononcé par Thomas Sankara en novembre 1986 alors qu’il recevait à Ouagadougou le président François Mitterrand. Cet extrait est encore plus visible aujourd’hui qu’il ne l’était en 1986 dans l’ensemble de l’Afrique noire ou le visage de l’oppresseur se métamorphose pour prendre le visage local, celui du voisin, le visage de celui que nous côtoyons tous les jours, à qui nous serrons la main ou que nous désirons croiser le chemin. Les opprimés c’est ce peuple de gueux, ces hommes qui manquent de tout y compris d’un simple regard d’humanité. Ce sont ces hommes et ces femmes dont leur propre sort indiffère parce que la misère fait corps avec leur conscience, qui interrogent les gris-gris, lancent les cauris, ce sont ces enfants qui battent la terre pieds-nues et chantent leur mort prochaine gaiment en se disant que demain sera différent mais sans eux.

- « Il n’y a pas de révolution sociale véritable que lorsque la femme est libérée. Que jamais mes yeux ne voient une société où la moitié du peuple est maintenue dans le silence. J’entends le vacarme de ce silence des femmes, je pressens le grondement de leur bourrasque, je sens la furie de leur révolte. J’attends et espère l’irruption féconde de la

révolution dont elles traduiront la force et la rigoureuse justesse sorties de leurs entrailles d’opprimées. » [2]

Le 3 janvier 1984, Sankara regarde les femmes et prend la parole, ce sont nos mères, nos sœurs, elles ont l’âge de nos épouses et peut-être de nos filles – elles sont celles que nous allons voir danser sur les tables à la rue de la joie à Deido (Douala) ou à Aton-Abè à Libreville (Gabon) – elles courbent l’échine dans les plantations, elles sont enseignantes, ménagères travaillent sans jamais voir le fruit de leurs efforts – même la nature refuse de récompenser cet effort quotidien !

- « Le pillage colonial a décimé nos forêts sans la moindre pensée réparatrice pour nos lendemains » [3]

Le 8 mars 1987, Thomas parle dans un pays désertique, de la forêt décimée et des réparations qui ne sont jamais venues. Mais ce qui est le plus décimé c’est la conscience celle de la prise qui peut conduire à une saine colère, celle qui peut faire dire plus jamais ça ici, ces forêts sont au Congo, au sud du Sénégal, en Guinée Equatoriale, au Gabon, elles sont partout où votre regard peut se poser aujourd’hui en ce mois de mars 2015.

- « Il faut proclamer qu’il ne peut y avoir de salut pour nos peuples que si nous tournons radicalement le dos à tous les modèles que tous les charlatans de même acabit ont essayé de nous vendre 20 années durant. Il ne saurait y avoir pour nous de salut en dehors de ce refus-là. Pas de développement en dehors de cette rupture-là. Il faut ranimer la confiance du peuple en lui-même en lui rappelant qu’il a été grand hier et donc, peut-être aujourd’hui et demain. Fonder l’espoir. » [4]

Peut-on être aussi clair et ne pas se faire entendre ? C’était à Paris en 1983, c’est là que Thomas Sankara invite à tourner le dos au modèle importé pour se construire suivant un modèle endogène, autrement dit, et le professeur Ki-Zerbo le dira à Dakar plusieurs années après, nulle ne peut passer toute sa vie sous le toit de l’autre. C’est par son « être » que l’Afrique pourra accéder au savoir. Dormir sur la natte d’un autre pour les peuples du Sahel c’est comme dormir par terre – quand on est célibataire chez les peuples de la forêt et que l’on doit son repas à la générosité de son frère, l’on n’a pas droit à une chaise ou à un banc, on va se mettre devant lui sur ses talons pour partager son repas. Ces images sont là pour tambouriner notre tête, notre conscience, notre moi profond. Oui aucun savoir, aucune technique n’est neutre, qui le néglige perd tout de même qui néglige notre patrimoine de savoirs et de techniques, renonce à être conquérant de l’esprit scientifique y compris dans sa propre maison.

- « La plus grande difficulté rencontrée est constituée par l’esprit de néo-colonisé qu’il y a dans ce pays. Nous avons été colonisés par un pays, la France, qui nous a donné certaines habitudes. Et pour nous, réussir dans la vie, avoir le bonheur, c’est essayer de vivre comme en France, comme le plus riche des Français. Si bien que les transformations que nous voulons opérer rencontrent des obstacles, des freins. »

Les freins de nombreux freins sont en nous et à l’extérieur de nous c’est ce que Thomas Sankara dit à la conférence Internationale sur l’arbre et la forêt à Paris en 1983. Nous freinons nous-même de quatre fer car le saut vers l’inconnu nous fait peur – singer le français est ce qui nous parait le plus facile voire le plus accessible. Mais vivre comme lui fait-il de nous lui ? Dans sa valeur intrinsèque ?

- « L’esprit de liberté, de dignité, de compter sur ses propres forces, d’indépendance et de lutte anti-impérialiste doit souffler du Nord au Sud, du Sud au Nord et franchir allègrement les frontières. D’autant plus que les peuples africains pâtissent des mêmes misères, nourrissent les mêmes sentiments, rêvent des mêmes lendemains meilleurs. »

Nous devons faire vivre en nous cette dignité et cette volonté de liberté si cher aux vieux royaumes du continent noir – je sais on ne réveille personne avec une sérénade quand il dort ferme dans une case en feu, il vaut mieux lui donner deux taloches. Mais pourquoi nier que nous apportons à ce peuple qui veut s’endormir aujourd’hui devant l’immensité de la tâche simplement parce qu’il tarde à trouver le bout par lequel commencer ? Nous peuple d’Afrique noire avons traversé les époques et les continents, avons endurés les pires sévices de l’humanité, l’extermination des peuples a été expérimentés sur nous pourtant de génération en génération nous sommes là ! Le combat aujourd’hui n’est pas celui de nous trouver des leaders mais de nous constituer en peuple conscient des enjeux du combat et l’unique combat est celui de la survie si nous le gagnons alors demain nos enfants hériterons d’un flambeau incandescent pour allumer le grand brasier d’une Afrique debout.

© Correspondance : Dr Vincent-Sosthène FOUDA

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