LUTTE CONTRE BOKO HARAM : Polémiques autour des bavures de l’armée
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Polémiques autour des bavures de l’armée.

De l’avis des défenseurs des droits de l’homme, les bavures perpétrées contre les civils dans la région de l’Extrême-Nord par des éléments des forces de défense et de sécurité, au nom de la lutte contre la secte Boko Haram, doivent être punies avec sévérité. Pour eux, non seulement il s’agit d’une question de justice dans un Etat de droit, mais il y va également de l’honneur de l’armée camerounaise. «Nous avons des milliers d’hommes en opération sur le terrain, et il se peut que certains éléments incontrôlés se soient livrés à des bavures sur des suspects. Les dégâts collatéraux, en temps de guerre, ne sont pas l’apanage à l’armée camerounaise. Toutes les armées du monde, même les plus professionnelles comme les armées américaine, israélienne, russe et autres connaissent ces situations désagréables. Il s’agit toutefois d’un phénomène marginal chez nous, alors très marginal. Mais chaque fois que nous en avons connaissance, nous sévissons. Vous pouvez enquêter sur les militaires détenus ici et là, vous en trouverez qui le sont parce qu’ils n’ont pas eu un comportement exemplaire dans leur mission. Nous sommes une armée républicaine qui met tout en oeuvre pour protéger les populations», explique un proche du colonel Kodji, commandant de l’’’Opération Emergence’’, l’un des deux dispositifs mis sur pied par le Cameroun pour combattre Boko Haram.

La hiérarchie militaire a donc fait du respect des droits de l’homme un levier important de sa stratégie de lutte contre Boko Haram. Le processus enclenché pour traduire devant un tribunal militaire l’ex-commandant de la légion de gendarmerie de l’Extrême-Nord, Charles Ze Onguené, relevé de ses fonctions le 18 février 2015, en est une parfaite illustration. L’armée camerounaise, comme institution, n’a donc pas érigé les violences sur les civils en doctrine. Il faut dire que la polémique sur les bavures de l’armée camerounaise ont ressurgi ces derniers jours à la suite de la publication d’un rapport du Réseau des défenseurs des droits humains en Afrique centrale (Redhac) relayé à l’international par plusieurs organisations de défense des droits de l’homme et de nombreux médias.

Si cette initiative qui participe de l’alerte en temps de conflit est indispensable, il n’en reste pas moins qu’elle a donné lieu à une interprétation subjective du travail de l’armée camerounaise sur le terrain, semant ici et là dans les esprits une grande confusion et jetant même sur les défenseurs des droits de l’homme une grande suspicion. L’affaire dite «des disparus de Magdemé et Doublé» dont votre journal s’est fait l’écho le premier dans son édition du 05 janvier 2015 - nous republions l’article à la page 2 de cette édition – et liée à la mort par asphyxie de 25 suspects le 27 décembre 2014 dans un magasin ayant servi occasionnellement de cellule aux forces de défense et de sécurité, cristallise à elle seule la polémique. Pour beaucoup, il s’agit d’une information jusqu’ici dissimulée et qui, aujourd’hui par la force des choses, est mise en lumière. Ce qui est loin d’être la vérité.

D’abord parce que l’armée n’a jamais nié l’incident comme l’indique notre article du 05 janvier 2015, et ensuite parce qu’elle a rapidement ouvert une enquête pour établir les responsabilités. L’affaire des 25 suspects de Boko Haram morts dans un magasin s’est revelé être une bavure involontaire, selon nos enquêtes, même s’il importe cependant de dégager les responsabilités. C’est d’ailleurs dans ce cadre que s’inscrit le limogeage du colonel Ze Onguené.  

CONTROVERSE

«Nous suivons l’agitation autour des supposées bavures de l’armée camerounaise. Je dois dire qu’à ma connaissance, il n’en est rien et je suis bien placé pour l’affirmer parce qu’ici à Fotokol, l’on a les réfugiés et les déplacés. C’est un melting-pot. Il ne faut donc pas nous distraire. Qui égorge nos femmes et nos enfants? Qui nous égorge à la moindre occasion ? C’est Boko Haram. A présent, l’on fait comme si c’est l’armée qui nous égorge, qui nous tue… Sans elle, que serions-nous ? Ici à Fotokol, qui peut se plaindre d’une bavure? Personne. Parce qu’il n’y en a pas.

Que ceux qui veulent voir les bavures viennent ici me voir, je leur montre là où les miens ont été enterrés, égorgés par Boko Haram. Les gens ne doivent pas confondre le petit racket des forces de l’ordre qui existait déjà en temps de paix, et une politique mise sur pied pour maltraiter les populations», indique Mahamat Abakoura, un fonctionnaire à la retraite installé à Fotokol. Son voisin, Moussa Abdourahman, âgé d’une soixantaine d’années poursuit : «Est-ce que vous savez ce que les militaires nigérians font de l’autre côté de la frontière? Allez discuter avec les réfugiés qui sont ici, allez y ils vont vous dire ce à quoi se livre une armée qui commet des bavures.

Quand vous écoutez leurs récits, vous pouvez saluer le travail de l’armée camerounaise dans l’accomplissement de sa mission. Et les Tchadiens qui ont séjourné quelques jours dans la zone de Gambarou et ses environs, ils n’ont pas fait de quartier. Il y a les récits, ils n’y sont pas allés de main morte. Comme mon ami Mahamat, je dis qu’il ne faut pas distraire les gens. Il ne faut pas confondre les brebis galeuses avec l’Institution militaire ».

Si les populations de l’Extrême-Nord reconnaissent que dans un Etat de droit les brebis galeuses, fussent-elles militaires en temps de guerre, doivent être sanctionnées, elles s’étonnent cependant du ramdam orchestré autour de l’armée camerounaise, dont elles ne cernent pas toujours les véritables enjeux. Mieux, elles craignent que les vrais problèmes causés par les exactions de Boko Haram ne soient relégués au second rang. De fait, l’Extrême-Nord s’achemine aujourd’hui vers une grave crise humanitaire. Tous les indicateurs sont au rouge. La région compte officieusement quelque 200.000 réfugiés nigérians pour 150.000 déplacés intérieurs.

Près de 170 établissements scolaires ont mis la clé sous le paillasson, laissant au bord de la route près de 60.000 élèves dans un environnement qui connaît déjà une sous-scolarisation chronique. Quant aux récoltes, elles ont accusé un déficit estimé à 132.000 tonnes lors de la dernière campagne agricole, celle de cette année confortera déja les experts sur la gravité de la crise alimentaire. «Personne ne peut accepter les bavures, mêmes involontaires. Mais à partir du moment où les coupables sont punis, nous devons appeler les autorités militaires à plus de vigilance. De là à faire tout un plat…», conclut Ousmane Daouda, animateur des droits de l’homme dans l’Extrême-Nord.

© L’Oeil du Sahel : DOUWORÉ OUSMANE

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