ADIEU FIDÈLE FUMI, L’HOMME DE BABITCHOUA, L’ENFANT DE NEW-DEIDO… Par Jean-Marc Soboth
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CAMEROUN :: ADIEU FIDÈLE FUMI, L’HOMME DE BABITCHOUA, L’ENFANT DE NEW-DEIDO… Par Jean-Marc Soboth :: CAMEROON

Fidèle Fumi… C’était l’homme qu’on appelait toujours à la rescousse chaque fois que, en 1991, je venais à Douala. Partant de Yaoundé, je venais déposer des articles au nouveau journal sis à Camer-Industriel à Akwa : La Nouvelle Expression…

C’est un ami d’enfance, Guy-Alain Cheping Simo, qui m’avait parlé de ce nouveau journal. Dans le campus universitaire à Yaoundé, seuls Le Messager de Pius Njawe et Challenge Hebdo de Benjamin Zébaze ou encore l’anglophone Cameroon Post de Paddy Mbawa étaient connus.

C’était les années dites de braises avec ses villes mortes qui aboutirent à la très inutile réunion Tripartite au Palais des Congrès de Yaoundé (que j’ai couvert en novembre 1991). C’était le succédané version-Biya de la conférence nationale souveraine appelée de tous les vœux mais refusée aux chantres du pluralisme politique ressuscité à La Baule par François Mitterrand.

Le procédé était étonnant. On appelait toujours Fidèle au secours. Ce journal qui se proposait sans véritable moyen d’élever le niveau du débat politique démarrait au système « D ».

Nous autres étudiants à Ngo-Ekellé y publiions pour le plaisir et la foi en la « lutte pour le changement ». C’est le seul journal où les anonymes que nous fûmes avions la chance de se faire lire. On avait de la sympathie pour notre jeune Séverin Tchounkeu, lui aussi engagé dans cette lutte apparemment sans lendemain.

L’argent ou le salaire n’étaient donc pas notre intérêt premier.

Sollicité, Fidèle se dépêchait de débourser de sa poche. Puis il s’effaçait rapidement. Quand on allait en reportage ou qu’il fallait prendre le bus pour transporter les manuscrits à Yaoundé où ils étaient mis en page, en morasse avant le passage à la rotative, c’était encore Fidèle.

Toujours aussi fidèle. J’admirais l’humilité, l’amour, la générosité que ce jeune homme avait pour son frère cadet Séverin qu’il appelait affectueusement Tchop’s. Il agissait avec beaucoup d’affabilité pour ses frères, sœurs et parents.

Dans son regard de curieux, d’authentique autodidacte, on pouvait vite déceler un amour inconditionnel de l’humain, rapidement rabougri par son vif instinct d’homme d’affaires.

Instinct du tueur ? En réalité non. J’ai rarement vu de ma vie quelqu’un d’aussi doux et presque pusillanime. Nul, à ce jour, ne peut vous dire avoir jamais vu « FF » — de son autre pseudonyme — se quereller avec quiconque. Jamais. Je n’invente rien pour le plaisir de l’éloge posthume.

Néanmoins, Fidèle avait en affaires ce côté de guerrier babitchoua, téméraire, courageux, prudent… Les Babitchoua sont ce peuple, si spécial, du Ndé aux encablures du Mbam, se voulant originaire de Pitoa dans la Bénoué ; c’est l’un des seuls en terroir bamiléké à avoir opposé à l’offensive coloniale allemande une résistance farouche, d’autant mémorable qu’elle poussa les Allemands à rayer de la carte le village du renommé chef Nyo’obia — manifestement, Babitchoua signifie « Les gens de Pitoa ».

Au Marché Lagos à Douala où il était installé et où je l’ai découvert de plus près, j’étais toujours surpris par sa sympathique vivacité de rassembleur. Il donnait l’impression à première vue d’être dispersé et désordonné. Sa boutique, la très réputée « Douala Pas Cher » était un vrai carrefour.

Elle grouillait de monde toute la journée. Pêle-mêle, il y avait dans ce prêt-à-porter à la façon nigériane des amis papotant bruyamment en bangangté et français, marchandant, raillant, vantant des aventures, discutant d’actualité, menant des rencontres de tontiniers, de famille… Le tout dans um méli-mélo de marchandises de toutes sortes. Partout où on parle bangangté, il y a de la vantardise dans l’air… Fidèle était en même temps : grossiste, détaillant, écouteur de balivernes, causeur, questionneur très curieux, conseiller en habillement, créateur inopiné de nouvelles affaires, conseiller business au pif, moqueur, investisseur foncier, tontinier, compère, frère, créancier, débiteur…

Fidèle, bordélique hors pair ? Que non ! Il ne fallait surtout pas se leurrer. C’était un génie des affaires. Le jeune homme discret mais habile était l’un des tout premiers de sa génération à parcourir le monde à la rencontre des fabricants de vêtements.

Il allait presque régulièrement en Italie, en France, en Turquie, en Chine, en Thaïlande ; plus tard à Hong-kong, à Dubai…

Parmi les premières exclusivités de ce polyglotte autodidacte s’exprimant couramment en Italien, anglais entre autres, la marque française Yves Dorsey. La collection française de « chemises et accessoires pour hommes de qualité et à prix réduit » a été vulgarisée à « Douala Pas Cher »… Quand et où FF avait-il appris toutes ces langues et techniques ? C’est le mystère de la vraie intelligence, celle qui se rit des diplômes, popularisée chez les Américains sous l’abréviation DIY, Do It Yourself.

Nous pouvions facilement obtenir des vêtements de marque à crédit. Sans aucun écrit chez Fidèle. On pensait être assez malins pour ne jamais payer. On se trompait. Ce n’était pas faute d’avoir essayé de rouler le débonnaire dans la farine. Toute sa comptabilité était dans la tête.

Il avait simplement décidé de soutenir son frère cadet Séverin, revenu de Paris, et qui se lançait dans le monde des médias.

Ainsi naquit le journal La nouvelle expression dans ce coin du quartier Akwa à Douala — avec pour voisin, un autre rêveur autodidacte, tant ses projets mirobolants me faisaient sourire à l’époque : Emmanuel Chatué, alors distributeur d’abonnements TV et futur patron de Sweet FM et Canal 2 International…

Entre Douala-New-Deido où habitaient les parents Biamou, divers « chantiers », des voyages à Babitchoua au village, le blagueur Fidèle parlait beaucoup à son frère Séverin. L’ex-étudiant de Paris-Dauphine était trop sûr de lui. Cette assurance propre aux récents Parisiens. Ça l’amusait.

Il lui recommandait notamment de passer de simple journaliste militant à vrai homme d’affaires.

De l’eau a coulé sous les ponts. Après moult suspensions, interdictions, censures administratives, convocations à la police — et de vrais coups de fouet sur la plante des pieds — et, finalement, l’incarcération à New-Bell pour soi-disant délit de presse de La Nouvelle Expression, son frère a compris. Fidèle avait raison. Les désormais employés du journal n’accepteraient jamais des pleurnicheries sur les violences administratives et autres voies de fait en guise de salaire mensuel.

Fidèle a beaucoup fait pour ses contemporains. Son réseau consulaire, ses conseils, son argent et son expérience de la vente de détail au Marché Lagos ont permis à de nombreux jeunes de « se lancer » dans les affaires ou de s’expatrier pour poursuivre leurs études en France et ailleurs.

Parmi les nombreux « tacleurs » se ravitaillant à « Douala Pas Cher » chez FF et vendant au marché pour payer leurs études, un jeune élève, un certain Norbert Tchana Nganté alias « Norbass », que nous avons ensuite imposé au journal La Nouvelle Expression.

Éternel proche de Jean-Jacques Ekindi qui le louangeait pour sa « fidélité » — et, plus tard, militant de base du Mouvement Progressiste (MP) —, Fidèle admirait le Polytechnicien depuis le temps où le « Cordo » était le président du RDPC du Wouri. Le paradoxal tandem a produit Hilaire Zipang, ancien homme de main de Fidèle. À l’époque, le « Sabitou » médiatique n’avait même pas encore pensé à entrer en politique. Je suis convaincu que Fidèle admirait dans le Polytechnicien X l’homme qui aurait créé le concept des boutiques dans les métros en France.

Fidèle moquait volontiers son petit-frère pour sa proximité supposée à Ni John Fru Ndi de l’Union pour le changement.

Son éclat de rire moqueur sarcastique, unique et très caractéristique, résonne et résonnera toujours dans nos tempes.

Il s’était fait de plus en plus discret depuis. Il avait commencé à avoir des ennuis, m’a-t-on dit. De vrais ennuis de santé, entre autres, qui ont conduit d’abord à l’amputation. Il a failli passer, au sens propre et figuré. Cette fois-ci, semble-t-il, c’était au tour de Séverin le renvoi de l’ascenseur.

Mais Fidèle n’a jamais abandonné. Il a pu maintenir son petit hôtel Le Maata sur le marché en plein Akwa. Puis il a rebondi presque miraculeusement alors que d’aucuns lui prédisaient le naufrage. Il a bâti un immeuble à appartements. 7 étages en pleine ville. Des séjours à Beijing et à Bangkok lui ont permis de lancer une ligne d’appareils de téléphonie mobile bon marché. Une aubaine sans précédent : environ 5000 francs CFA (7 euros) l’unité…

Fidèle nous a quittés. C’était mardi 20 février 2024 à Paris. Fin d’une vie de tumulte, de douleur et de générosité. Il laisse derrière lui une veuve : Solange. Trois enfants : Yannick, l’héritier présomptif et les filles : Olivia Noëlle et Jessica.

Va en paix notre Fidèle… 

Que le terroir de New-Deido se souvienne toujours de toi…

Que la terre des ancêtres Babitchoua t’accueille dans la félicité…

Repose en paix FF…

Nous serons toujours Fidèles à ta mémoire.

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