

-
© Camer.be : Rev. Dr Joël Herve BOUDJA
- 07 Feb 2021 07:57:00
- |
- 8875
- |
FRANCE :: PREDICATION DU DIMANCHE 07 FEVRIER 2021 PAR LE REV. DR JOËL HERVE BOUDJA
Textes : Job 7,1-7 ; 1 Corinthiens 9, 16-23 ; Marc 1,29-39
Pourquoi le début de l’évangile que nous venons d’entendre n’a pas été écrit avec les mots suivants : « En ce temps-là, aussitôt sortis de la synagogue de Capharnaüm, Jésus et ses disciples allèrent, avec Jacques et Jean, dans la maison de Simon et d’André.
Or, la belle-mère de Simon était au lit, elle avait 37.5 de température. » C’est vrai que si elle n’avait eu que 37.5, on aurait compris qu’elle ait pu rapidement se lever pour ensuite les servir.
Mais comme la température n’est pas indiquée, c’est que la fièvre doit signifier autre chose que ce que à quoi nous pourrions penser à la première lecture. Il nous faut alors retourner dans le livre du Lévitique où la fièvre signifie « ce qui grignote la vie » ou pour le dire autrement, c’est lorsque nous sommes marqués par la lassitude, par le poids de l’ennui.
Un peu à l’instar de ces mots tirés de la première lecture : « Vraiment, la vie de l’homme sur la terre est une corvée, il fait des journées de manœuvre. » Cette fois, tout comme la plainte de Job, nous ne vivons plus, nous vivotons et nous préférons rester dans notre lit attendant des jours meilleurs, espérant le retour du printemps.
La fièvre est un peu comme l’hiver au cœur de notre cœur. Il ne s’agit pas d’un burn out ou d’une dépression mais plutôt d’une profonde lassitude face à la répétition du quotidien. Cette fièvre dont souffre la belle-mère de Simon est l’annonce de cette maladie appelée l’aquabonisme. L’aquabonisme scande notre propre vie par tous ces « à quoi bon ! » prononcés tout au long d’une journée.
L’espérance nous a quitté, nous nous morfondons sur notre sort et les « à quoi bon » nous renforce dans notre sentiment de vacuité, de ce vide intérieur qui au fil des semaines peut devenir un véritable gouffre. Si nous nous sommes laissés engloutir dans ce dernier, il est souvent bien difficile de nous en sortir seuls. Et là le texte de l’évangile de ce jour nous conduit à nouveau vers l’espérance.
En toute simplicité et surtout en évitant tout caractère merveilleux ou fascinant, le Christ ne prononce aucune parole. Tout tendrement, il s’approche de cette femme, pose sur elle un regard d’empathie et la saisit par la main. Ce geste est à portée de main de tout un chacun. Il suffit que nous posions notre regard sur la personne en souffrance et que nous lui prenions la main.
Tout discours sera superflu. Il suffit juste d’être là, à ses côtés, tout en douceur, tout en tendresse. Par le biais d’autres êtres humains, le Christ continue de nous accompagner sur le chemin de nos vies.
Il nous lève. Il nous élève. Il nous relève. En agissant de la sorte, il nous prouve sa proximité toute délicate et toujours bienveillante à notre égard. Lorsque nous prenons conscience de cette réalité divine, la fièvre nous quitte également. Libérés de cette dernière, nous pouvons alors nous mettre à suivre le Christ. Et ce qui est intéressant dans le récit de la belle-mère de Simon, c’est que pour suivre le Christ, il n’est pas nécessaire de s’en aller, de tout quitter.
Tout comme il en a été pour les premiers disciples, Pierre suit le Christ tout en continuant d’accueillir dans sa maison de Capharnaüm. Lui et les autres pécheurs retrouveront d’ailleurs leur barque et leur métier après la mort de Jésus.
C’est un peu comme si Jésus venait dire à chacune et chacun d’entre nous : « si tu veux me suivre, rentre chez toi mais pas comme avant, retourne chez toi mais autrement ». N’est-ce pas ce que fait la belle-mère de Simon.
A peine levée, elle les sert mais cette fois autrement. Elle ne fait donc pas autre chose mais elle le fait autrement. Qu’est-ce à dire ? Aucun d’entre nous, nous ne pouvons à l’état actuel des sciences, ajouter du temps à notre vie. Par contre, il est de notre responsabilité de remettre de la Vie dans le temps. Et c’est précisément ce que le Christ vient faire avec nous lorsqu’il nous lève, nous élève et nous relève. Ne craignons pas les tâches répétitives du quotidien. Remettons de la Vie dans la Vie. Remettons de l’Infini dans notre fini.
Guérissons à notre tour de nos fièvres pour retrouver autrement le chemin de notre destinée, pour retrouver autrement le chemin de notre accomplissement. Après chaque rencontre avec le Fils de Dieu, que ce soit lors de nos célébrations, lors de nos moments de prière ou encore lorsque nous sommes la main divine sur cette terre, retournons chez nous autrement.
Redevenons des êtres vivants submergés par la Vie dans nos vies. Bien-aimés dans le Seigneur, permettez-moi d’insister un peu sur cette expression :« Range ta chambre, tu as vu ce capharnaüm ». Qui d'entre nous n'a pas entendu ou prononcé ce type d'injonction. Et voilà, qu'au fil des ans, la ville de Capharnaüm est devenue synonyme d'un lieu qui renferme beaucoup d'objets en désordre.
Elle-même, du temps de Jésus, était un véritable carrefour de races multiples, de nationalités, de migrants de toutes sortes. Un vrai bazar et c'est à cet endroit précis que le Christ établit son lieu de refuge. C'est toujours vers elle qu'il reviendra, c'est-à-dire au cœur de la vie trépidante et bouillonnante. Là, où les gens vivent. Une pièce peut donner le vertige tellement, elle est remplie de bric-à-brac.
Une ville peut donner le vertige tellement la vie grouille et semble ne jamais s'arrêter. Mais également un être humain peut donner le vertige tellement il est encombré d'un ensemble de pensées ou d'activités. La vie peut parfois prendre à ce point le dessus que nous nous oublions tellement il y a à faire.
Faire, faire et toujours faire, telle semble être la devise de notre société. Mais à force de toujours chercher à faire, ne risquons-nous pas à un moment donné d'oublier d'être. Combien d'hommes et de femmes, arrivés à l'âge de la retraite, ne se sont-ils pas sentis perdus car ils n'avaient plus rien à faire et pouvaient alors être frappés d'un sentiment d'inutilité, voire d'inexistence.
Il y a tout un apprentissage d'une nouvelle forme de vie à découvrir pour mieux se réjouir d'offrir de nous-mêmes aux autres. Toutes et tous, nous avons besoin de faire quelque chose. Avec la force de l'âge, la maladie, la perte d'un emploi, nous pouvons parfois être envahis de cette impression que nous n'apporterons plus rien aux autres tellement nous avons le sentiment que nos actions sont réduites, peu éclatantes.
Détrompons-nous car quelle que soit notre situation, où que nous en soyons dans nos existences, assis, debout ou couchés, nous pouvons toujours être signe d'espérance et de confiance lors de chacune de nos rencontres. En effet, c'est dans la fragilité, dans la brise légère que Dieu notre Père aime se révéler à nous. Combien de gestes simples, vécus dans la douceur et la tendresse, ne vont-ils pas marquer notre cœur à jamais. Nos vies se conjuguent dans l'amour au rythme de nos saisons. Dieu ne nous attend jamais dans le merveilleux ou l'extraordinaire.
Il est plutôt à nos côtés dans le quotidien de nos existences, là où la vie se vit tout simplement. Il suffit parfois d'un petit rien, mais ici, même un rien est déjà quelque chose qui peut devenir un rayon de chaleur, un fragment de bonheur, une expression de douceur.
Jusqu'à notre dernier souffle, nous pouvons être des passeurs de vie, mieux encore des passeurs de vie éternelle lorsque nos gestes, nos paroles, nos regards trouvent leur fondement en Dieu. Notre « faire », toutes nos actions permettent ainsi de participer à la construction du Royaume. Et Jésus ne se prive d'ailleurs pas de faire des choses. Ses journées sont parsemées de rencontres et d'actions diverses, nous raconte l'évangéliste Marc. Tout comme le Christ, les actes que nous posons sont l'expression des êtres que nous sommes en train de devenir.
Toutefois, lorsque nos vies se conjuguent uniquement par ces dernières, nous risquons de nous perdre et de vivre un sentiment de capharnaüm intérieur tellement nous sommes encombrés par un faire qui nous éloigne de notre être. Nous devenons des êtres alités au seuil de nos âmes. Et le Fils de Dieu vient tout en douceur au plus intime de nous-même.
Comme avec la belle-mère de Simon-Pierre, Il ne dit pas un mot, pas une parole. Il nous prend tout tendrement la main et nous invite à nous relever. C'est dans la douceur de cet acte que le Christ nous ressuscite à nous-même. C'est vrai, dans la vie, il suffit parfois d'un regard, d'un sourire pour retrouver les forces nécessaires et avancer debout sur nos routes humaines.
Le Fils de Dieu vient à son tour nous relever pour que nous puissions à nouveau le servir dans l'attention que nous nous portons les uns aux autres. Pour ce faire, il est bon de pouvoir de temps à autre sortir de nous-mêmes pour nous ressourcer dans l'événement de la prière.
Alors et alors seulement nous pourrons partir ailleurs, c'est-à-dire parcourir nos vies mais cette fois avec cette conviction intime que nous avons d'abord et avant tout une bonne nouvelle à annoncer et que celle-ci se réalise dans la manière dont nous vivons nos vies tout en douceur et tout en tendresse, délestés de tout ce qui nous encombre pour revenir cette fois à jamais à l'essentiel : une vie d'amour. Amen.