Madagascar : ce que l'on sait sur le Covid-Organics
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Madagascar : ce que l'on sait sur le Covid-Organics

Distribué dans plusieurs pays africains et présenté comme un remède local contre le coronavirus, cette tisane à base d'artemisia est loin de faire l'unanimité.

Ces derniers jours, un drôle de ballet a eu lieu entre Madagascar et plusieurs pays africains. À la demande du chef de l'État, Andry Rajoelina, transformé en VRP, les autorités ont livré dans près d'une dizaine de pays leur remède à base d'artemisia, cette plante à l'effet thérapeutique reconnu contre le paludisme, en affirmant qu'elle prévenait, voire soignait le Covid-19. Après les alertes de l'OMS et d'autres institutions, la Grande Île a tenu à faire le point alors qu'elle a lancé il y a plusieurs semaines des essais cliniques en bonne et due forme. Et s'il ne fallait retenir qu'une seule information, c'est que la tisane n'a pas encore obtenu d'autorisation de mise sur le marché malgache. En cause, le secret qui entoure sa composition. En effet, le Covid-Organics serait composé à 62 % d'Artemisia et d'autres plantes médicinales qui poussent à Madagascar, mais l'Institut malgache de recherches appliquées, l'IMRA, n'en dira pas plus. Derrière ce mystère, une volonté des scientifiques malgaches de faire breveter leur décoction avant de rendre publics les produits et donc de pouvoir la vendre à l'étranger.

Pas d'autorisation de mise sur le marché

Le Pr Rafatro Herintsoa, un des trois scientifiques autorisés par l'État malgache à s'exprimer sur la question, a fait savoir que le Covid-Organics n'avait pas obtenu le feu vert de l'administration en charge du contrôle des médicaments. « Cette autorisation n'est pas encore obtenue », a déclaré le Pr Herintsoa lors d'une émission de télévision. « L'entité qui est propriétaire du brevet sur ce remède n'a pas encore accepté de dévoiler les deux autres plantes qui le composent. Cependant, l'État a délivré une autorisation temporaire de mise en vente » à Madagascar, a ajouté le directeur de l'IMRA.

Baptisée Covid-Organics, cette tisane a été largement vendue dans le pays. Plusieurs pays, dont la Guinée-Bissau, la Guinée équatoriale, le Niger ou la Tanzanie en ont également pris livraison, malgré l'absence de certification officielle. « Les envois de Covid-Organics dans les pays africains sont faits à titre de don », s'est défendu à la télévision la ministre de la Communication, Lalatiana Rakotondrazafy.

L'engouement des dirigeants africains

Au-delà de la question scientifique, la bataille semble se jouer sur le plan symbolique. Explication : quelques jours plus tôt, réunis en visioconférence, plusieurs chefs d'État africains ont échangé sur les effets thérapeutiques du « Covid-Organics » sur le coronavirus. Dans son allocution, le président malgache a déclaré : « Nous sommes réunis en visioconférence dans un contexte difficile pour le monde mais surtout pour l'Afrique », ajoutant que nous faisons face aujourd'hui à une guerre mondiale liée à un ennemi invisible, le coronavirus. « Nous sommes en guerre, mais cette fois-ci, ce ne sont pas des bombes, ni les balles qui seront nos munitions, mais l'intelligence de nos scientifiques, l'audace des leaders et la solidarité », a-t-il insisté. Statistiques à l'appui, Andry Rajoelina a donné des pistes de réponse. Selon ses dires, l'état de santé des malades malgaches de Covid-19 ayant accepté de tester le traitement a montré une nette amélioration au bout de sept jours pour certains, c'est même un total rétablissement, voire une guérison en dix jours. Mais surtout, le protocole de traitement curatif de « Covid-Organics » s'est avéré plus efficace et moins invasif pour l'organisme que le traitement à base de chloroquine, a détaillé le chef de l'État.

En face, derrière leurs écrans, plusieurs dirigeants boivent ses paroles tout en appelant à la solidarité africaine pour vaincre la maladie. Le président sénégalais Macky Sall a été le premier à féliciter Andry Rajoelina pour son remède. C'était il y a quelques semaines déjà. Depuis, Madagascar et son remède ont fait le tour des médias internationaux. Et le breuvage continue d'être distribué. Dernier pays à avoir reçu son lot : la Tanzanie. Même si le président John Magufuli ne croit pas à son existence, son gouvernement se dit prêt à tester le Covid-Organics. « La Tanzanie a reçu aujourd'hui le soutien de Madagascar pour les médicaments contre le coronavirus », a déclaré le porte-parole du gouvernement, Hassan Abas, dans un message sur Twitter.

Plus tôt dans la semaine, c'était le Niger qui réceptionnait son lot. « Ismagail Annar, le directeur de cabinet du ministre de la Santé, a réceptionné le lot des produits offerts gratuitement par Madagascar », a affirmé à l'AFP Souley Zabérou, du ministère de la Santé. Les produits sont contenus dans des sachets prêts à être « administrés sous la forme d'infusion », pour « traiter 900 personnes : 300 pour des malades déjà contaminés et 600 à titre préventif », a-t-il précisé. La Guinée-Bissau et la Guinée Équatoriale avaient reçu du Covid-Organics la semaine dernière.

L'OMS tape du poing sur la table

Au grand dam de l'OMS. L'Organisation mondiale de la santé émet toujours des réserves dans l'attente d'une étude scientifique fiable. « Même lorsque des traitements sont issus de la pratique traditionnelle et de la nature, il est primordial d'établir leur efficacité et leur innocuité grâce à des essais cliniques rigoureux », a insisté l'OMS. « Des plantes médicinales telles que l'artemisia annua sont considérées comme des traitements possibles du Covid-19, mais des essais devraient être réalisés pour évaluer leur efficacité et déterminer leurs effets indésirables », a souligné l'organisation. La responsable de l'OMS pour l'Afrique, le Dr Matshidiso Moeti, a exhorté le gouvernement malgache à « faire tester [son] produit lors d'essais cliniques » afin de « vérifier son efficacité […] et sa sécurité sur les populations ».

Pour l'instant, l'Afrique du Sud, le pays le plus touché par la pandémie avec plus de 7 800 cas et quelque 150 morts, s'est contentée d'annoncer son aide à Madagascar pour mener des essais scientifiques. « Nous ne participerons qu'à l'analyse scientifique de cette herbe », a déclaré son ministre de la Santé, Zweli Mkhize.

Le petit royaume d'Eswatini s'est lui aussi refusé pour l'heure à importer le « remède » malgache. « Il est important de d'abord évaluer comment ces produits à base d'herbes ont été testés », a indiqué jeudi sa ministre de la Santé, Lizzie Nkosi. La responsable régionale de l'Afrique s'est en outre inquiétée des effets de la promotion de cette boisson sur le respect des règles de prévention.

Le Pr Moussa Seydi, le chef du service du département des maladies infectieuses de l'hôpital de Fann, au Sénégal, ne dit pas autre chose. « Moi, en tant que médecin, je ne l'utiliserai pas. En tant que chercheur, il faut que le médicament puisse agir au niveau du laboratoire, mais également que ce médicament puisse agir aussi chez l'être humain avant que je puisse prendre une décision », a déclaré celui qui préside le Comité scientifique Covid-19 du ministère de la Santé du Sénégal. Dans la sous-région, la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (Cedeao) a pour sa part démenti avoir commandé la tisane malgache. « Nous ne pouvons promouvoir que des produits à l'efficacité reconnue scientifiquement », a-t-elle rappelé.

Et maintenant ?

L'Union africaine, dont des dirigeants ont participé à la visioconférence avec le président malgache, ne veut pas rester en marge. L'institution panafricaine appelle les autorités à tester l'efficacité du remède. « Le commissaire de l'UA aux affaires sociales, S.E. Amira El Fadil, a convoqué une réunion avec le chargé d'affaires de la République de Madagascar, M. Éric Randrianantoandro, le 30 avril, au cours de laquelle il a été convenu que l'État membre fournirait à l'Union africaine les détails nécessaires concernant le remède à base de plantes », peut-on lire dans un communiqué. « Une fois les détails fournis, l'Union, par le biais des centres africains de contrôle et de prévention des maladies (Africa CDC), examinera les données scientifiques recueillies jusqu'à présent sur la sécurité et l'efficacité du Covid-19 Organics » ajoute le document, qui précise que l'examen sera basé sur « les normes techniques et éthiques mondiales ».

Madagascar détient le plus grand stock d'artemisia de toute l'Afrique avec 3 000 tonnes à l'année. Sa valeur en tonne est de 3 000 dollars contre 350 pour le riz.

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