Trajectoire: Parcours unique d'un artiste inclassable
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L'artiste a suspendu son saxophone, pour l'éternité, au terme d'une longévité exceptionnelle.

Derrière ses lunettes noires, son crâne chauve et son visage atypique, il ne rate jamais l'occasion de montrer ses belles dents impeccablement blanches. Il suffit pour cela qu'il entende raconter une histoire ou que l'on lui pose une question. Il commence alors par rire à gorge déployée, comme pour mettre de l'ambiance dans un quotidien qui, il faut bien le reconnaître, est davantage dominé par la tristesse, la gravité ou la mélancolie.

Né le 12 décembre 1933, à Douala, le poumon économique du Cameroun, en Afrique centrale, Emmanuel N'Djoké Dibango plus connu sous le nom de Manu Dibango est un saxophoniste, chanteur de jazz, de world music et ethno- jazz à la réputation internationale. S'il est tombé tour petit dans la musique, il le doit autant à son milieu familial qu'à sa force de travail et au hasard des rencontres.

Ses parents protestants de confession, Michel Manfred N'Djoké Dibango, le père, est un fonctionnaire voit le jour à Yabassi, dans le département du Nkam, et sa mère, couturière à la maison, est née à Douala.

C'est d'ailleurs dans le temple dont sa mère est de temps à temps professeur, que le petit Manu est initié au chant. Au même moment, le gramaphone (ancêtre du tourne disque) dont disposaient ses parents lui permet de découvrir les musiques du monde. Manu écoute notamment la musique française, cubaine et américaine, dont les marins débarquent dans le port de Douala avec leurs disques. Il a juste le temps d'obtenir son certificat d'études à l'école du village avant d'être envoyé par son père poursuivre ses études en France.

«L'aventure débute à Marseille» L'adolescent débarque dans la cité phocéenne en 1949. Avec, en tout et pour tout, trois kilos de café, denrée rare dans l'hexagone et chère à l'époque, pour payer ses premiers mois de pension.

Sur cette photo , Manu Dibango est à Saint Calais en 1949.(Collection particulière) 

Il est accueilli par son «Correspondant», un instituteur de Saint-Calais, une commune de la Sarthe, réputé pour sa rigueur et sa sévérité, M. Chevalier.

Cette commune de l'ouest de la France est aussi connue pour son chausson aux pommes, une pâtisserie à base de pâte feuilletée, dont elle se considère la capitale mondiale.

(Photo de classe 1949-1950. Manu Dibango à l'école de Saint-Calais (Collection particulière)

Le jeune Manu, en même temps qu'il apprécie le chausson aux pommes, va goûter aux réalités de la culture française.

S'intégrant de mieux en mieux, il sera ensuite étudiant à Chartres, dans l'Eure-et-Loir, puis à Château-Thierry, département de l'Aisne, début des années 1950. C'est là qu'il découvre le jazz, se met à jouer de la mandoline, et au piano, soucieux qu'il est de maîtriser tous les instruments de musique. Et lors d'un séjour dans un centre de colonie réservé aux enfants des résidents camerounais en France, du côté de Saint- Hilaire-du-Harcouët, département de la Manche, en Normandie, il s'émerveille devant un instrument à la forme unique, le saxophone, emprunté à son ami Moyébé Ndédi et surtout, il fait la connaissance de Francis Bebey qui va lui apprendre les bases du jazz. Ensemble, les deux compères vont former un petit groupe qui va se spécialiser dans cette musique.

Parallèlement, Manu prépare son baccalauréat philo à Reims, département de la Marne, en Champagne-Ardenne, et s'initie au saxophone. Il estime alors être paré pour commencer à se produire dans des salles, lors des bals populaires dans les campagnes ou dans les boîtes de nuit.

Ce qui va mettre son père dans une colère noire, estimant que ce n'est pas pour être musicien qu'il a envoyé son fils en France, d'autant plus que Manu échoue à la seconde partie du baccalauréat en 1956. La sanction de son père est nette, immédiate, et irrémédiable. Il lui coupe les vivres et laisse son rejeton se débrouiller seul dans l'hexagone. Il espérait certainement lui faire prendre conscience de ce que les études devaient rester prioritaires. Peine perdue, puisque Manu Dibango s'adonne de plus en plus à la musique qui devient même le principal moteur de sa vie, lui qui joue désormais à plus d'un instrument.

A la fin de l'année 1956, Manu Dibango va signer plusieurs contrats en Belgique. C'est d'ailleurs à Bruxelles, la capitale belge, qu'il fait la connaissance d'une artiste peintre et mannequin, Marie-Josée dit Coco. Elle deviendra son épouse en 1957.

«Le père de Soul Makossa»

En Belgique, Manu Dibango entre en contact avec le milieu musical congolais dans la foulée de l'accession à l'indépendance du Congo belge, en 1960. Une rencontre qui s'avérera primordiale pour Manu Dibango qui va s'appuyer sur la diversité des rythmes que recèle la musique congolaise pour africaniser le jazz. Il devient chef d'orchestre des «Anges Noirs», une boîte bruxelloise très prisée par les politiciens et intellectuels de ce qui est alors le Zaïre.

Manu rencontre le Grand Kalle qui l'engage dans son orchestre. Ensemble, ils enregistrent plusieurs disques à succès dont le célébrissime «Indépendance ChaCha» qui sera au cœur d'une tournée au Zaïre en août 1961.

Très attachés à ce pays, Manu Dibango et son épouse prennent en gérance un cabaret l' «Afro-Negro» à Léopoldville où le musicien sort le titre «Twiste à Léo» en 1962, avant d'ouvrir sous l'injonction de son père un Club au Cameroun sous le nom de «Tam Tam». Initiative qui sera un fiasco financier, notamment du fait du couvre-feu
pendant la guerre civile que traverse alors le pays.

Comme si, une fois de plus, les idées de son père ne feraient décidément pas le bonheur de Manu Dibango... Contraint de revenir en France en 1965, l'artiste renoue avec ses idées entrepreneuriales et devient le chef de son propre «big band» deux ans plus tard, en 1967. L'occasion également de développer son style de musique, à la fois novateur et urbain, puis de découvrir le rythm and blues.

En relation avec les plus grands musiciens français de l'époque, comme Dick Rivers et Nino Ferrer, il signe en 1969 l'album afro-jazz party produit chez Philips. Mais c'est en 1972, avec la face B d'un 45 tours, soul Makossa, que Manu Dibango fait la conquête des Etats-Unis, avec à la clé, une tournée mémorable.

Une dizaine d'années après, il accompagne une autre grande figure de la musique française, Serge Gainsbourg, avant d'enregistrer «Wakafrika» en 1992 et de créer cinq ans plus tard le «Festival Soirs du Village» qui se poursuit chaque année.

En 2007, Manu Dibango est le parrain officiel de la 20ème édition du festival panafricain du cinéma et de la télévision d’Ouagadougou (Fespaco).

Le 3 février 2009, il attaque les maisons de disques de Michael Jackson et de Rihanna pour avoir plagié Soul Makossa. Le procès judiciaire est perdu mais se solde par un arrangement financier à l'amiable entre les parties. En 2014, il fête ses 55 ans de carrière à l'Olympia et au Musée du Quai Branly, à Paris, dans une ambiance populaire, extrêmement chaleureuse.

Le 8 septembre 2015, il est fait Grand témoin de la francophonie aux Jeux Olympique et paralympiques de Rio 2016.

Ancien président de la société des droits d'auteurs de musiques du Cameroun, Administrateur de la radio Africa N°1 à Paris, Manu Dibango qui a été à plusieurs reprises présentateur d'émissions à la télévision française, est aussi animateur radio.

A la fois drôle, professionnel jusqu'au bout des doigts et touche à tout, cet octogénaire qui conserve l'âme d'un enfant n'a certainement pas fini de nous étonner. « Je n'ai que 85 ans ! », lance-t-il à ceux qui lui demandent s'il peut encore nous étonner. Il a soufflé sur ses 86 bougies, le 12 décembre 2019, avant de s'éteindre. Sacré Manu !

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