Au Cameroun, dans la jungle des motos-taxis
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Au Cameroun, dans la jungle des motos-taxis :: CAMEROON

A Douala, sept accidents de la circulation sur dix sont causés par les « bend-skinneurs », ces jeunes chauffeurs sans le sou et, souvent, sans permis de conduire.

En six ans, Florence Tchatat a été victime de quatre accidents de moto-taxi à Douala, la capitale économique du Cameroun. Le dernier, en 2019, lui a causé une grave fracture du pied gauche qui l’a immobilisée pendant huit mois. Malgré ces malheurs, la coiffeuse et esthéticienne de 27 ans continue d’emprunter le même moyen de transport. « Je n’ai pas le choix. Se déplacer dans cette ville est un véritable casse-tête. Et les taxis n’arrivent pas devant ma maison. Les routes sont mauvaises. Les motos-taxis sont partout », justifie-t-elle.

Comme Florence, de nombreuses personnes privilégient les trajets en moto, plus pratiques et moins coûteux qu’en taxi. « Aujourd’hui à Douala, 70 % du transport urbain est assuré par les motos-taxis », affirme Hilaire Nzouakeu, coordonnateur national du Syndicat de conducteurs de motos-taxis et tricycles.

D’après Robert Feumba, président du Syndicat national des chauffeurs de taxis, cars, autobus et assimilés du Cameroun, les taxis sont de moins en moins nombreux dans la ville : « Avant, il y en avait plus de 30 000. Mais aujourd’hui, beaucoup de propriétaires vendent leurs véhicules pour acheter des motos, moins chères et moins exposées aux contrôles routiers. »

Apparu dans les années 1990, le phénomène des motos-taxis, communément appelées « bend-skin », a pris de l’ampleur après la dissolution, en 1995, de la Société des transports urbains du Cameroun (Sotuc), une entreprise à économie mixte active à Douala et Yaoundé. Six ans plus tard, la création de la Société camerounaise de transports urbains (Socatur), à Douala, n’a pas arrangé la situation. Avec une centaine de bus, vétustes pour la plupart, elle peine toujours à satisfaire la demande d’une population estimée à plus de 3 millions de personnes.

De plus, de milliers de jeunes chômeurs, diplômés ou non, parfois venus des zones rurales, ont investi le marché des motos-taxis, tout comme des réfugiés centrafricains, tchadiens et, plus récemment, les déplacés du conflit en cours dans les deux régions anglophones du pays.

Des conducteurs sans formation

« C’est un secteur qui emploie beaucoup », confirme Maximilien Opono Akoua, président du Syndicat national des conducteurs de motos-taxis organisés du Cameroun : « Les motos chinoises, moins chères, ont envahi le marché, et des jeunes victimes de pauvreté saisissent cette opportunité de gagner leur vie, sans forcément connaître le code de la route. » Résultat : « A Douala, sept accidents de la circulation sur dix sont causés par les motos-taxis. »

Dans un rapport sur la sécurité routière au Cameroun paru en août 2018, l’ONU note d’ailleurs que « ce secteur d’activité né du chômage des jeunes et de l’absence de transports publics fonctionne presque en marge de la réglementation, pourtant bien existante ». Plus grave, poursuit le rapport, les chauffeurs de motos-taxis n’ont reçu aucune formation et conduisent souvent sans permis, tandis que la surcharge de passagers est érigée en règle.

Cette jungle donne des idées à des entrepreneurs. Il y a deux ans, Patrick Timani a ainsi cofondé Bee, une start-up qui emploie 35 conducteurs de motos-taxis à Douala, formés aux règles de conduite, de politesse, de sécurité… « On ne résout pas un problème de manque de motos, mais de qualité de service », précise-t-il. Pour utiliser les services de Bee, il suffit de commander un chauffeur via l’application mobile ou d’en héler un dans la rue.

« Ils respectent les feux et ne font pas de débordement », témoigne Alida Ebo’o, responsable de la communication et des événements d’ActivSpaces, l’un des principaux incubateurs de start-up au Cameroun, qui loue surtout la « sécurité garantie » par les conducteurs de Bee, facilement identifiables à leur véhicule jaune. Par le passé, comme de nombreux Camerounais, elle a été victime d’un « bend-skinneur » qui lui a volé son téléphone portable.

Mais pour certains spécialistes, des solutions comme Bee ne peuvent suffire pour assainir le secteur des motos-taxis. « Le gouvernement doit cesser le laxisme et respecter ses propres décrets : instaurer le contrôle des pièces, rendre obligatoires le permis, le port du casque et le respect des codes de conduite. Il y a déjà trop d’accidents, de viols, de vols et d’assassinats attribués aux conducteurs », s’emporte le président d’un important syndicat de motos-taxis qui souhaite rester anonyme. « C’est impossible, lui répond son collègue. Où iront ces jeunes ? Il n’y a pas d’emplois pour eux. »

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