Contribution de la BAS Suisse au Dialogue Politique au Cameroun
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Contribution de la BAS Suisse au Dialogue Politique au Cameroun :: SWITZERLAND

A Monsieur Joseph DION NGUTE Premier-Ministre Yaoundé République du Cameroun C/o Ambassade du Cameroun Rue Brunnademrain 29 3006 Berne SUISSE

« Dans le monde, dans les sociétés, c’est également parce que le dialogue est absent qu’il n’y a pas de paix ; On peine à sortir de l’horizon étroit des intérêts personnels pour s’ouvrir à une confrontation véritable et sincère. La paix exige un dialogue tenace, patient, fort, intelligent pour lequel rien n’est perdu. Message adressé par le Saint-Père, à l’occasion de la Rencontre Internationale pour la Paix organisée par la Communauté Sant Egidio en Septembre 2013 »

Monsieur le Premier-Ministre, Nous voudrions de prime à bord vous adresser toutes nos félicitations pour votre désignation par le Président de la République à cette responsabilité éminemment importante, mais qui correspond parfaitement à vos profils, mission que vous avez déjà entamé au mois de mai dernier auprès des populations du Nord-Ouest et du Sud-Ouest et que vous maîtrisez parfaitement, gage de confiance du Président de la République à votre égard et vous souhaiter bonnes chances dans le cadre de vos nouvelles missions dans ce contexte de sortie de crise.

Monsieur le Premier-Ministre, en réponse à l’appel lancé à toutes les sensibilités de notre pays ainsi qu’aux organisations de la diaspora par le Président de la République lors de son adresse à la Nation le 10 septembre 2019, nous voudrions vous assurer de notre disponibilité à vous éclairer sur toutes questions soulevées après analyse de ce discours et sommes heureux que par ce fait que, des zones d’ombre soient levées afin de permettre à votre autorité d’avoir des éléments de transparence et de moralité dans l’exécution de cet important processus dont vous avez la charge de patronner la mise en œuvre.

Ainsi donc, au vu de nombreuses inquisitions dans ce discours, nous concédons que vous n’avez pas reçu tous les éléments d’appréciation en temps utile et nous vous faisons parvenir notre contribution dans la présente réponse.

1. De l’organisation

Un dialogue politique fructueux doit avoir un but/une série d’objectives clairement définis, couplés à une vision claire des issues et résultats escomptés. Si ces aspects n’ont pas été définis et sont désorganisés dès le départ, la suite du processus en pâtira certainement car le dialogue n’aura ni structure, ni orientation consensuelle, ni but, ce qui peut compromettre la réalisation des objectifs. En outre, une définition consensuelle claire des objectifs et des résultats à atteindre facilite le développement d’un cadre de suivi et d’évaluation, car ce cadre est l’outil alliant les objectifs et les résultats.

2. De la Préparation

Il est impératif, lors de la préparation du dialogue politique, de réunir des informations pertinentes, de préférence fondées sur des bases factuelles, car la présentation de données probantes aidera toujours à justifier la mise en œuvre de réformes politiques. Au stade où nous en sommes, le temps imparti pour une telle activité est très court (3 semaines) environ. Techniquement, il ne sera pas possible de boucler dans cet intervalle toutes les consultations nécessaires. Nous recommandons de prendre le temps qu’il faut de préférence 90 jours pour la préparation d’un tel évènement.

3. Contexte

Une analyse du contexte et des parties prenantes doit être menée comme faisant partie de la préparation du dialogue politique, car cela présente plusieurs avantages. Premièrement, cet exercice apporte aux participants une meilleure connaissance du terrain, en mettant en évidence le système actuel, le travail déjà effectué dans le domaine, les domaines à améliorer, les blocages éventuels, les acteurs clés, leurs forces et expertises respectives. Deuxièmement, lorsque certains (ou tous les) domaines ont été étudiés et identifiés, l’ensemble du processus a plus de chances d’aboutir car les facteurs de succès et/ou d’échecs sont connus.

Or, le diagnostic posé par le Président de la République ne prend pas en compte tous éléments de cette crise. L’atmosphère politique est actuellement caractérisée par une hostilité verbale sans précédent voire, de la haine entre les antagonistes de ces crises (Anglophone et Post-électorale) ; Il est à craindre que tout dialogue dans un tel état d’esprit pourra se transformer facilement en ring de boxe. Pire, le dialogue non maitrisé pourra se transformer en un tribunal où les belligérants viendront régler leurs comptes comme on l’observe d’ailleurs lors des débats sur les plateaux TV où l’on entend des plaintes, des récriminations et des accusations de toutes sortes.

Sans toutefois nous prononcer à ce stade sur les consultations en cours sous votre autorité, l’on observe qu’il y a une cooptation, nomination ou sélection des acteurs de ce dialogue. Hors, les principaux acteurs qui sont Julius AYUK TABE et ses partisans qui représentent le courant sécessionniste dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest sont absents de votre liste des leaders à consulter. S’il est vrai que ces compatriotes ont été à l’origine de la violente crise sociopolitique qui, selon les sources a déjà fait 3000 morts, on se rappelle que lors de votre déplacement dans ces régions au mois de mai 2019, vous avez dit aux populations ainsi qu’à l’ensemble de la communauté nationale porteur « d’un message de réconciliation » selon lequel le Président de la République se disait disposé à prendre langue avec les séparatistes afin de trouver une solution au conflit armé qui y sévit depuis trois ans.

En tout cas, cette offre de dialogue avait été favorablement accueillie, tant elle laissait entrevoir une volonté manifeste des autorités que vous êtes de prendre en compte les préoccupations des ressortissants du NOSO dont les revendications, au départ, étaient purement d’ordre social. Nous pouvons tous regretter que cette revendication s’est muée en conflit armé dès lors que l’autorité, au départ peu ouvert au dialogue, avait sorti la solution répressive, compliquant davantage la situation.

Monsieur le Premier-Ministre, avec les orientations données par le Président de la République alors, faut-il craindre un nouvel embrasement avec l’exclusion des principaux acteurs de cette crise de ce processus ? C’est dire si le Président de la République gagnerait à prendre des mesures d’apaisement et de séduction des séparatistes armés en rendant la participation de ces leaders effective plutôt que de bander les muscles d’autant que le processus de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR) qu’il avait lancé en fin novembre 2018, n’a produit aucun effet sur le terrain.

En outre, il y a lieu de prendre en compte le cas du Professeur Maurice KAMTO, leader du Mouvement Pour la Renaissance du Cameroun (MRC), leader incontesté de l’opposition camerounaise dans les conditions de l’élection présidentielle du 7 octobre 2018. Depuis son interpellation le 28 janvier 2019 à la suite des manifestations pacifiques non-autorisées, nous avons tous observé presque impuissant, une instrumentalisation tribale ce qui a conduit à une mobilisation internationale. Les ONG internationales de défense de droit de l’homme ont dénoncé l’arrestation et l’emprisonnement de ces manifestants pacifistes. De même, les Etats-Unis, l’Union européenne et le Comité contre la torture ainsi que les sociétés savantes ont demandé leur libération.

Il y a malheureusement lieu de constater, que la proposition du dialogue lancée par le Président de la République, devenue nécessaire voire incontournable dans le contexte actuel de notre pays, il est inimaginable qu’elle puisse se dérouler sans un acteur clef tel que le Pr Maurice KAMTO.

Il apparaît, dès lors, que le Gouvernement Camerounais, tout en pratiquant une politique discriminatoire, exclut les acteurs clefs, en montrant qu’il a fait le choix de ses interlocuteurs qui ne sont autres que ses propres alliés de circonstance.

Si le reniement est dans la nature de l’homme, il est regrettable que la disponibilité des contradicteurs à votre régime soit reçue avec toutes les suspicions allant jusqu’à leur nier la bonne foi des acteurs dont, pourtant, la prise de parole est incontournable pour l’instauration de la paix au Cameroun.

Monsieur le Premier-Ministre, c’est ici l’occasion d’apporter quelques précisions d’ordre juridique et constitutionnel pour éclairer la lanterne de ceux ou celles qui continuent de soutenir l’idée selon laquelle, le Pr Maurice KAMTO qui est actuellement embastillé, ne serait pas qualifié pour prendre part à un quelconque dialogue.

Or, ni l’embastillement, ni son statut de prévenu ne peuvent être ni des sources, ni des causes de déchéance des droits civiques et politiques d’un individu non encore condamné et donc bénéficiant du principe intangible et universel de la présomption d’innocence. C’est dire que le Pr Maurice KAMTO est, bel et bien, apte à participer à un tel dialogue, si tel était le souhait de sa contribution à la consolidation de la paix au Cameroun.

La question se pose de savoir en quoi la participation du Pr Maurice KAMTO au dialogue constituerait-elle un obstacle à l’accomplissement des objectifs de paix et de réconciliation au Cameroun ?

Or, en dépit de tout et en dernier ressort, il appartient aux Camerounais et à eux seuls, à travers l’expression politique et patriotique de leurs représentants, de désigner légitimement la nature et l’identité des obstacles à la matérialisation de la paix et de l’unité nationale dans leur pays.

C’est pourquoi, loin d’être un dialogue de trop, et se situant au contexte actuel de notre pays, le dialogue national proposé, consiste à créer un cadre inclusif, continu et permanent qui serait le nouveau "Contrat Social Inter-Camerounais" qui gèrerait les suites de la grave crise que notre pays a traversé et qui préviendrait les dérives ou les difficultés ultérieures qui pourraient survenir contre une sortie de crise définitive et stable.

S’agissant de la diaspora, dans son discours, le Président de la République a accusé la diaspora d’être au centre de tous les remous politiques au Cameroun puisque selon ses mots, c’est bien la diaspora qui finance, et est active à travers des discours de haine sur les réseaux sociaux. Nous pouvons aussi dire selon cette vison, il se traduit que la diaspora est aussi au cœur de la paix sociale au Cameroun.

Dans les faits, ce dialogue n’aura de succès que si cette diaspora est convaincu de son importance hors ce n’est pas le cas pour le moment. Nous pensons qu’il ne s’agit aucunement pour le gouvernement de mener exclusivement des discussions avec la diaspora compatible au régime mais, bien plus celle dissidente qui est largement majoritaire, politiquement très active et ayant en son sein de qualité pour exercer un lobbying efficace auprès des partenaires techniques et financiers du Cameroun, des chancelleries occidentales et autres organisations internationales.

Pour la bonne forme de ce dialogue, le Président de la République devra accepter la nécessité de discuter avec ses contradicteurs, adversaires ou en d’autres termes ses ennemis politiques.

Monsieur le Premier-Ministre, Toute absence de participation de cette diaspora au dialogue n'augurera rien de convaincant quant au retour de la paix au Cameroun.

Il est donc question de bien négocier avec cette diaspora qui posera certainement des préalables que le gouvernement devra examiner avec la plus grande attention.

4. Du niveau de financement

Le processus de dialogue politique doit aussi reposer sur un niveau adapté de financement et de ressources afin d’éviter toute stagnation ou perte d’élan de la démarche. Un temps de préparation suffisant est indispensable afin de s’assurer que tous les éléments pertinents ont été collectés et que les acteurs sont prêts à une participation significative.

Nous estimons qu’il faudra pour se faire entendre la main tendue des pays qui ont une longue tradition dans la conduite de tel processus qui se sont positionnés spontanément pour appuyer le Cameroun dans ce processus.

5. De la modération

Les discussions menées lors du dialogue politique doivent s’appuyer sur techniques de modération efficaces par les échanges différents selon les objectifs du dialogue. Par exemple, la recherche d’un consensus ne fait pas appel aux mêmes compétences en termes de modération que la recherche d’un accord majoritaire.

Nous pensons que vous êtes à votre place en tant que facilitateur ce que vous faites d’ailleurs mais, il serait souhaitable qu’à vos côtés, qu’il vous soit adjoint un médiateur neutre n’ayant aucune attache avec aucune des parties au conflit. Si nous prenons l’exemple de la République Centrafricaine tout proche de nous, le dialogue est allé à son terme parce qu’il était conduit par une autorité légitime sous l’égide de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale (CEEAC) avec l’appui des Nations Unies, de l’Union Européenne, de la France, des Etats-Unis, de la Russie et du Soudan qui a accueilli le sommet à Khartoum.

Il n’est pas inutile de mentionner que le contexte camerounais souffre actuellement d’un climat de méfiance, voire de la suspicion entre les parties antagonistes. De notre point de vu, nous n’avons pas dans le contexte actuel une personnalité consensuelle et dont l’autorité morale est acceptée et respectée par toutes les sensibilités.

Notre fierté nationale et le sens du patriotisme élevé des camerounais peuvent nous induire en erreur pour privilégier la solution locale. Il est dès lors évident de nous poser la question sur les chances de succès d’une telle entreprise conscient que l’échec de ce processus conduirait à l’aggravation de la crise et par conséquent, ouvrirait inéluctablement la porte à une intervention internationale étrangère.

Monsieur le Premier-Ministre, au vu de ce qui précède faudra-t-il dans les circonstances actuelles prendre le risque de mettre ensemble des personnes qui se regardent en chiens de faïences sans quelqu’un de neutre qui pourra conduire les travaux en toute harmonie dans l’intérêt de tous ? Faut-il pour autant éviter les acteurs clefs par ailleurs, contradicteurs, adversaires ou ennemis juste pour garantir la sérénité des débats et plomber les attentes de tout un peuple ? Il n y a qu’au Président de la République lui et à lui seul de permettre la participation inclusive de toutes les sensibilités sous la houlette d’un médiateur international.

6. De la nécessité de délocaliser les débats

Il va sans dire qu’au vu des passions qui se déchainent, la délocalisation du débat sur terrain neutre n’est que souhaitable. La tenue de ce dialogue hors du triangle national permettra aux acteurs de mener leurs travaux en toute sérénité loin des agitations que nous observons jusqu’ici. Les travaux dans une certaine mesure peuvent se dérouler à l’extérieure mais la cérémonie de signature de l’accord dans l’une des villes symboliques camerounaises.

Monsieur le Premier-Ministre, en conclusion de notre propos, nous mettons à votre disposition, les conclusions auxquelles nous avons abouti :

a)- il y a lieu de procéder à la recherche d’un facilitateur. L’objectif de cet organe en tant que soutien du processus de dialogue national, sera de favoriser et de faciliter l’inclusion des représentants de différents groupes et du principal courant d’opposition dans ce processus politique national. Cet organisme devrait mener ces efforts en collaboration avec les autres partenaires techniques et financiers du Cameroun.

b)- il est souhaitable de mettre en place un Comité préparatoire du dialogue national créé par décret présidentiel. Il sera composé de membres issus de la majorité présidentielle, de l’opposition démocratique, de la société civile et de tous les représentants des groupes armés sécessionnistes.

c)- le gouvernement et les groupes séparatistes doivent parvenir à la signature d’un cessez-le feu sous les auspices du facilitateur. En principe, ce document doit stipuler qu’une amnistie générale serait accordée aux parties belligérantes de façon à ce qu’elles puissent participer au dialogue national.

d)- l’organe en charge d’appuyer le processus doit ouvrir un bureau de liaison au Cameroun afin de coordonner une série de consultations auprès d’acteurs régionaux pour veiller à ce qu’ils soutiennent le dialogue national inclusif.

e)- le dialogue proprement dit ne pourra démarrer qu’une fois toutes les garanties juridiques et de sécurité seront mises en place pour l’ensemble des participants en s’assurant de leur participation effective.

f)- Parmi les résultats attendus, les plus importants seront la réaffirmation par la totalité des parties de leur engagement à respecter l’accord de paix global.

g)- l’organisation devrait se tenir à la disposition des parties pendant toute la durée du processus afin d’informer et de conseiller celles qui souhaiteraient. Dans les cas d’espèce et pour garantir toutes les chances du succès à ce processus, il est souhaitable de le confier à une entité ou personnalité reconnue aux côtés des Nations Unies, et de l’Union Africaine.

Notre organisation est, encore plus, convaincue et déterminée à étendre les vertus et les valeurs du Dialogue National Inclusif, permanent et continu, comme seule voie indispensable de règlement de la crise dans notre pays.

La BAS saisit cette occasion pour lancer un appel à toutes personnes acquises aux vertus du Dialogue National Inclusif, continu et permanent, à toutes les organisations nationales et à tous les partenaires souhaitant le retour de la paix et de la convivialité dans notre cher pays, le Cameroun, de se mobiliser, d’exprimer librement et massivement leurs ardents désirs pour la réalisation de cet idéal commun.

Fait à Genève, 17 septembre 2019

Pour la BAS Suisse,

La cellule de communication.

Hilaire ZOYEM

Ampliation :

Ø Ambassade du Cameroun pour transmission à qui de droit

Ø Conseil Fédéral Suisse

Ø Chancellerie d’Etat de Genève

Ø Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme

Ø Centre pour le Dialogue Humanitaire

Ø Délégation Permanente de l'Union Africaine à Genève

Ø Mission des États-Unis d'Amérique à Genève

Ø Consulat Général de France à Genève

Ø Consulat de la République Fédérale d'Allemagne à Genève

Ø Mission permanente du Royaume- Unis à Genève

Ø Tous partis politiques Suisses

Ø Media pour diffusion

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