Manassé ABOYA ENDONG : « Le Cameroun n’a donc pas forcément mal, ni à son unité ni à sa diversité »
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Manassé Aboya Endong : « Le Cameroun N’a Donc Pas Forcément Mal, Ni À Son Unité Ni À Sa Diversité » :: Cameroon

Professeur Titulaire de Science Politique à l’Université de Douala et Directeur du Groupe de Recherches sur le Parlementarisme et la Démocratie en Afrique (GREPDA).

Professeur, cette 47e édition de la fête nationale est célébrée sous le signe de l’unité et de la diversité comme gage de l’émergence. Le Cameroun a-t-il mal à son unité ?
Un tel questionnement devrait d’emblée éviter d’être articulé, sinon dans l’émotivité, du moins dans la désolation ou la précipitation. En effet, la posture la plus indiquée pour évaluer le chantier de l’unité nationale au Cameroun suggère fortement l’idée d’une quête permanente et dynamique. Sous ce rapport, il convient de préciser qu’au lendemain de l’accession du Cameroun à l’indépendance, le principal défi des autorités politiques était de construire l’unité nationale dans un contexte où, ici comme ailleurs, l’État a précédé la nation. Ce défi a conduit les dirigeants politiques de l’époque à mettre en place des politiques de développement autocentré, d’équilibre régional, etc. pour construire ce vivre ensemble. Il s’agit depuis lors de faire de la diversité camerounaise plus un atout, voire une spécificité, qu’un inconvénient. D’où l’affirmation assumée de la fierté de sa diversité culturelle, comme le décline le Préambule de la Constitution. Cette diversité peut parfois être source de tensions, mais l’idéal du vivre ensemble ne se lasse guère de rythmer le cours de la vie politique camerounaise. Et c’est d’ailleurs autour de cette diversité culturelle que se construisent la spécificité et l’authenticité même du Cameroun. Le Cameroun n’a donc pas forcément mal, ni à son unité ni à sa diversité, mais travaille simplement, un peu plus âprement que par le passé, à trouver la formule adéquate pour consolider cette unité et cette diversité, en fonction des enjeux et du contexte historique.

Des menaces sérieuses au vivre ensemble ont été enregistrées ces derniers temps, avec notamment une poussée des messages de stigmatisation et de repli identitaire. Quelle thérapie pourrait-on y apporter?
Face à la montée de la stigmatisation et du repli identitaire, trois réponses au moins peuvent être mobilisées. Premièrement, il faut agir sur les représentations sociales qui conduisent à de telles dérives. L’éducation et la formation des masses doivent ainsi être mises à contribution pour déconstruire ces représentations préjudiciables au vivre ensemble. Pris dans ce sens, l’institution familiale, l’école, les médias et les réseaux sociaux, les partis politiques, les milieux religieux, les entrepreneurs culturels, etc. doivent prendre une part importante de responsabilité pour jouer ce rôle à fond, en tant qu’instances, voire de vecteurs de socialisation au vivre ensemble. Dans cette perspective, il faut enseigner aux générations montantes que de nombreux patriotes sont allés jusqu’au sacrifice suprême, en donnant de leur vie pour que la nation camerounaise reste debout. Ce travail sur la mémoire collective doit avoir pour but essentiel de susciter et de réveiller en beaucoup, l’amour pour la mère-patrie ou la sacralisation du patriotisme. Car la connaissance de l’histoire de la nation est l’un des meilleurs catalyseurs du patriotisme. Le portail de la diaspora camerounaise de Belgique. Deuxièmement, il faut continuer à promouvoir cette justice sociale pour laquelle le Président de la République s’est personnellement engagé à rendre effective. Mais cette justice sociale demeure tributaire de la production nationale, de la création des emplois, elles-mêmes conditionnées par la paix et la stabilité. Troisièmement, il serait intéressant dans le contexte camerounais actuel de re-instituer les substrats et les fondements de l’intégration nationale au Cameroun, qui ont fait leur preuve dans le passé, au besoin en les contextualisant, compte tenu de l’évolution de la société.

Dans une perspective parallèle, peut-on parler d’unité dans un environnement où il existe une classe de nantis et une autre de plus en plus pauvre ?
La fracture sociale est manifestement une pesanteur non négligeable à l’unité nationale. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, conscient de cette réalité, le Président de la République massivement plébiscité le 7 octobre 2018, a axé son projet de société sur la nécessaire promotion de la justice sociale. Cet idéal de justice sociale est une plus-value importante dans le chantier de l’unité nationale. C’est précisément en luttant de manière acharnée contre la pauvreté et l’exclusion sociale qu’on a de grandes chances de limiter cette fracture sociale, cause de biens de frustrations. Ceci passe naturellement par la création et la redistribution des richesses, la diversification de l’économie, la création des emplois et des opportunités d’épanouissement accessibles à tous. D’où la politique des grandes opportunités en cours d’implémentation actuellement au Cameroun.

Comment faire alors de la diversité camerounaise un ressort de l’émergence ?
Le moins que l’on puisse dire, c’est que depuis toujours l’État du Cameroun a fait du pari de l’émergence, une perspective à concrétiser par et dans la diversité culturelle. Cette diversité est donc un ressort important de l’émergence, à partir du moment où elle repose prioritairement sur les atouts, les ressources naturelles et humaines de chaque aire géographique. Comme le pratiquent déjà les autorités politiques, il faut mettre à contribution tous les fils et filles du Cameroun pour en faire un État émergeant. C’est dans cette perspective que le Président de la République a instruit de faire de l’émergence du Cameroun « une cause nationale ». Le caractère bilingue du Cameroun, sa diversité culturelle, géographique, écologique, etc. sont d’importants atouts à capitaliser dans la perspective de l’émergence, notamment dans les domaines aussi variés tels que le commerce international, le tourisme, l’agriculture, etc. En clair, l’émergence doit être envisagée comme une collecte nationale, chaque région apporte sa contribution.

Au-delà des slogans politiques, des initiatives sont prises par les pouvoirs publics pour renforcer la cohésion sociale. Peuton évaluer leur pertinence ?
L’histoire politique du Cameroun est riche en expériences éprouvés des modèles d’intégration nationale. En effet, de la politique de l’unité nationale à la politique d’intégration, de la forme d’État composé à celle d’État simple, de l’État unitaire à visage jacobin à l’État unitaire décentralisé, plusieurs modèles de cohésion nationale ont été expérimentés avec des fortunes diverses. Les politiques éducatives, culturelles, sportives, sociales, etc. ont pour but essentiel la construction nationale et la promotion de la cohésion sociale. Camer.be L’institution des politiques de développement autocentré et d’équilibre régional participe de cette quête permanente des moyens de cohésion nationale. Au-delà des critiques mal ajustées généralement formulées contre elles, ces politiques d’équilibre régional et de développement autocentré ont le mérite d’impliquer chaque composante ethno-régionale à l’oeuvre de construction et de développement du Cameroun. L'info claire et nette. En effet, la cohésion nationale ne peut se faire en occultant la cohésion territoriale. Les deux perspectives sont étroitement liées, même si l’une se réfère à la recherche d’un équilibre de la nation, et l’autre à la réduction des éventuels déséquilibres spatiaux. Mieux, au Cameroun la cohésion nationale et la cohésion territoriale se légitiment et se mutualisent, si tant est que le renforcement de l’un peut entraîner la remise en cause de l’autre. D’où la pertinence des différentes initiatives prises jusque-là par les pouvoirs publics, manifestement implémentées à travers une dynamique conjuguant à la fois une renégociation permanente et une progressivité patiente. En conclusion, il s’agit d’une dynamique viabilisée et entretenue !

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