Comprendre les jeux et les enjeux électoraux au Congo Démocratique: Entretien du Pr. SHANDA TONME
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RD CONGO :: Comprendre les jeux et les enjeux électoraux au Congo Démocratique: Entretien du Pr. SHANDA TONME :: CONGO DEMOCRATIC

Les élections qui se sont déroulées au Congo Démocratique le 23 décembre 2018, notamment la présidentielle, les législatives et les municipales, étaient sensées permettre à ce vaste pays en perpétuelle ébullition, de connaître enfin les joies d’une réelle alternance démocratique, depuis l’éviction du dictateur Mobutu par une rébellion armée venue du Rwanda. Hélas, il faut craindre, au regard des manœuvres qui auront marqué le scrutin avant et après, que nous sommes au début d’une spirale de troubles et de violences, après les résultats grossièrement fabriquées par le clan Kabila, dont la nébuleuse mafieuse tient pratiquement tout le pays en otage.

Même si cela peut être dit aussi facilement, les choses semblent pourtant très complexes et comportent des dimensions géopolitiques profondes. Nous nous sommes donc retournés vers notre spécialiste maison, le Pr. SHANDA TONME, qui nous déroule les jeux et les enjeux.

Pr. Est-ce que vous croyez aux résultats publiés par la Commission électorale congolaise qui donne Felix Titsékedi vainqueur, tout comme la victoire du parti au pouvoir aux élections locales, avec la majorité absolue au parlement ?

Ce qui se passe au Congo Démocratique est tout simplement lamentable, et aggrave, à la suite du Cameroun, du Togo et du Gabon, la honte éternelle voire l’embarras suprême pour tout Africain qui a encore le sens de l’honneur, le souci de la dignité et l’attachement à quelques valeurs morales. C’est terrible d’assister à un tel spectacle en étant impuissant. Avec ça, comment s’attendre au moindre respect de la part des autres ?

Faut-il comprendre que vous vous situez dans la logique de ceux qui dénoncent ces résultats ?

Non, non, et non. Il ne s’agit pas d’une logique de contestation gratuite ou passionnelle, il s’agit d’une réaction salutaire et honnête d’exigence de la vérité. Tsitsékedi n’a pas gagné cette élection, c’est plutôt Martin Fayulu le vrai élu du peuple. Affirmer l’inverse c’est faire injure à une arithmétique simple, c’est humilier sans raison le peuple congolais qui contrairement aux apparences, s’est longuement battu pour sa liberté, pour sa dignité et pour la démocratie.

Que voulez-vous insinuer par-là ?

D’abord, faisons un peu d’histoire.

Qui est Tsitsékedi Félix ? C’est le fils de l’autre Tsitsékedi, Etienne, celui qui est mort il y a peu, et qui était le ministre de l’intérieur de Mobutu au moment de l’assassinat de Patrice Lumumba. Son père est l’un des comploteurs, des auteurs actifs et connus du crime odieux et lâche que représenta l’assassinat de Patrice, chef du premier gouvernement indépendant et démocratique du Congo. Nous sommes donc en face d’un fils de traître et d’un criminel qui en porte le gêne et se comporte en conséquence. Je dis qu’il ne faut pas insulter le peuple congolais, parce que la candidature de Titsékedi était déjà une retentissante trahison. Vous êtes sans ignorer qu’un accord avait été conclu entre les principaux leaders de l’opposition à Genève sous les auspices et la facilitation de la Fondation Koffi Annan. Cet accord avait démocratiquement porté le choix sur Martin Fayulu comme candidat unique de toute l’opposition. Tous les ténors, y compris Titsékedi, Jena Pierre Bemba et Maurice Katumbi l’ont signé. Mieux, ils l’ont signé avec un autre document où ils s’engageaient à quitter la politique, à disparaître de la scène nationale, en cas de trahison. Hélas, une fois rentré à Kinshasa, ce fils de merde s’est désolidarisé sous le prétexte que sa base n’est pas d’accord. Voilà pour l’histoire.

Comment pouvez-vous expliquer ce revirement professeur ?

N’allez pas chercher trop loin, c’est dans le gêne des politicards africains, de ces imbéciles sans profession de foi idéologique ni réelle ferveur patriotique, qui écument nos scènes politiques et sociales. Les générations de nationalistes, de patriotes engagés et militants pour la cause profonde des peuples, ont disparu. Mais souvenez-vous donc de Laurent Gbagbo que j’entends certains présenter aujourd’hui comme un martyr. Au plus fort de la crise ivoirienne dont il était profondément un des instigateurs, car doctrinaire et manipulateur de la notion ethnicide d’ivoirité, Gbagbo a signé au total six accords de paix, mais à chaque fois il les a reniés dès son retour à Abidjan. Quand Eyadema père, dit qu’il est un militaire, et qu’il ne changera pas la constitution et fini par la changer quand même, plongeant ainsi le pays dans une spirale de violence qui a fait plus de mille morts, nous sommes dans la même logique. On voit partout ce comportement, du Cameroun au Tchad, et ailleurs.

Comment voyez-vous la situation maintenant ?

Ecoutez, il n’y a rien de nouveau sous les cieux du Congo, qui n’ait pas déjà été longuement analysé et présenté. Si vous avez l’occasion, lisez mon livre publié en 2016 sur « la typologie des démocraties sauvages ». Tout y est dit. Ce qui s’est passé au Congo est tellement courant et aisé à décrypter. Au départ, il y a la modification de la constitution pour instaurer le système électoral à un seul tour. Savez-vous d’où cela vient dans ce pays ? Je suis certains que beaucoup d’Africains, y compris les plus instruits ne se souviennent plus. Alors, sachez ceci : Nous sommes en pleine crise post-électorale en Côte d’Ivoire (2011), avec Gbagbo qui refuse de quitter le pouvoir et engage la guerre civile après sa défaite. Nous sommes également à quelques encablures seulement de la date de l’élection présidentielle au Congo démocratique. Le novice, timide et presque effacé Kabila qui a avait été prestement porté au pouvoir par les Etats Unis et leurs alliés, après l’assassinat de son père, doit rendre son tablier. Sur le terrain, le rapport des forces dans une élection à deux tours, ne lui laisse aucune chance. L’homme trouve très vite la parade pour changer les règles de jeu, en soutenant qu’au regard de l’exemple dramatique ivoirien, le système électoral à deux tours entraîne des troubles. Par conséquent, il s’autorise à instaurer (imposer) le système à un tour dans son pays. Voilà comment un raisonnement de truands abouti à la bêtise et au recul actuel. C’est clairement les deux principaux accords de transition et de sortie de crise signés en Afrique du sud qui seront ainsi violés. On croyait pourtant avec ces accords, que le peuple congolais allait enfin connaître la paix et le bonheur, mais c’était sans compter avec les salopards.

Si on se penche sur cette leçon d’histoire, on s’étonne que personne n’ai rien dit, ni de l’intérieur ni de l’extérieur, pourquoi ?

Attendez, de quoi parlez-vous, quand des individus tiennent le pouvoir et construisent des armées de tueurs, des milices sanguinaires et des prébendiers suicidaires prêts à tout pour conserver privilèges et passe-droits ? Il y a à ce moment-là, une sorte d’union sacrée autour de Kabila, union arrangée par les grosses puissances multinationales proches des centres de décision occidentaux. Leur va-tout c’est que Kabila reste au pouvoir, et on ne peut pas trop se fâcher de le voir modifier les règles pour barrer la route à un Bemba jugé plus charismatique et un peu trop nationaliste voir indépendant, imprévisible et surtout incontrôlable. D’ailleurs, en dépit de tout cet arrangement, Kabila perdra l’élection. C’est Bamba, le vice-président de la transition qui est le vrai vainqueur. Et pour lui fermer le bec, il faut le débarrasser du plancher, l’éloigner de la scène. Voilà comment le pauvre se retrouve mis aux arrêts et embastillé à la CPI, sous le fallacieux prétexte de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis par ses troupes envoyées en Centrafrique pour aider Patassé en difficulté face à l’avance de la rébellion de Bozizé qui avance vers la capitale.

Voulez-vous dire que les mêmes puissances sont à la manœuvre pour orienter et soutenir Kabila actuellement ?

Tous les paramètres ont changé ou évolué depuis, et certainement pas en faveur de Kabila. Cependant, ce fils de son père est parvenu avec le temps, à construire un des régimes les plus répressifs et les plus criminogènes en Afrique. De nombreuses études, enquêtes et recherches de terrain accréditent amplement cette conclusion. Le régime en place actuellement au Congo, est plus avancé dans la violation des droits humains que celui de Mobutu qui comme on le sait, jetait des opposant aux immenses crocodiles de la piscine de sa résidence de Gbadolite. La pire des choses, c’est que tout cela se passe dans une sorte d’open-space, c’est-à-dire à ciel ouvert. Disparitions ; arrestations sans cause ; détention arbitraire ; bâillonnement de la presse ; chasse aux journalistes ; tortures de leaders d’opinion forment le lot quotidien des Congolais. J’espère que vous n’avez pas encore oublié le cas de votre confrère Floribert Chebeya ?

Quelle issue entrevoyez-vous ?

Le Congo démocratique n’est pas le Cameroun, et pas la Côte d’Ivoire ni le Gabon, encore moins le Togo. Les choses ne vont pas bien se passer dans les prochains jours. Nous sommes dans un pays avec un corps ecclésiastique fort, puissant, homogène. Je peux évoquer le cas de l’église catholique, laquelle est très loin de la grande cacophonie tribale, sectaire et régionaliste qui caractérise son équivalent au Cameroun. Vous voyez bien que la conférence épiscopale là-bas a clairement pris position, et annoncé, sans équivoque, que le résultat de l’élection présidentielle a été faussé. En somme, elle donne Fayulu vainqueur et exige la publication des vrais résultats.

Et la position des partenaires internationaux ?

C’est wait and see. Mais je peux vous assurer, que cette fois, Kabila ne va pas s’en sortir comme il le souhaite ou l’espère. Ce triste individu a tout programmé pour continuer gérer le pays avec son clan de mafieux, de prédateurs et de tueurs. Je dois signaler que nombre d’anciens serviteurs de Mobutu, travaillent en back office et sont déterminants dans son système. Au regard de ce qu’il a arrangé, il garde le contrôle du pays, en tenant le parlement presque au complet, avec une majorité pléthorique fabriquée de toute pièce, ce qui lui permet, si les choses en restent là, de nommer le premier ministre, de gérer tout le pays de sa chambre, et pourquoi pas prendre un petit congé et revenir au plus haut tranquillement ? J’attire votre attention sur le fait que que les maîtres d’Occident réunis autour de Washington, ne l’entendent pas de cette oreille et vont tout faire pour changer la donne. Le processus du Conseil de sécurité a été lancé, et c’est le signal de plans contingents alternatifs.

D’un point de vue proprement interne, comment analysez-vous l’accord entre les ténors de l’opposition que Tschisékédi a violé ?

Je préfère vous parler de la réaction du peuple congolais qui a sanctionné un traître. Le chiffre de plus de 60% avancé par Martin Fayulu est certainement juste, et pour deux raisons au moins. La première c’est que le peuple montre qu’il ne peut pas s’accommoder des trahisons et des traîtres, et qu’il entend l’exprimer valablement dans les urnes. La deuxième est un vibrant message à tous les autres autocrates et dictateurs du continent, ceux proches dans la même région, et ceux un peu plus loin. En somme, un dictateur ne doit pas espérer tromper le peuple en sortant de sa poche comme un mouchoir, un dauphin pour lui succéder. Cela ne marche pas et ne peut marcher nulle part. Je l’ai déjà dit ici même dans les colonnes de notre journal, à savoir que les héritiers de Paul Biya, vont vivre le martyr de l’humiliation, du rejet, de la déroute, de la débandade et de la défaite suprême. Je ne vois pas comment un dauphin, au Cameroun par exemple, pourra récolter même seulement 10% des voix des électeurs et des électrices.

La situation au Congo démocratique vous fait-elle peur ?

Ecoutez, il s’agit du Congo, berceau des luttes pour la dignité de l’homme noir et des peuples africains. Il s’agit d’un des pays les plus vastes et les plus peuplés du continent. Il s’agit d’un pays potentiellement riche, dont le sous-sol et le sol sont qualifiés de scandale naturel. Je vous signale par exemple que le barrage d’Inga, dont les travaux de deuxième pahase, vont démarrer, constitue à terme, un des plus grands et des plus stratégiques du continent. Je vous rappelle cette prophétie de Julius Nyerere, au moment du complot colonial qui aboutit au lâche assassinat de Patrice Lumumba : le destin de l’Afrique se joue au Congo.

En réalité, ce destin se joue un peu partout dorénavant, dans la mesure, où l’on se rend compte que les mêmes causes engendrent les mêmes effets, et que les mêmes puissances sont en action aux quatre coins du continent avec les mêmes jeux, les mêmes enjeux, et au détriment des peuples en général. L’effet domino va nous conduire à des explosions en chaîne, exactement comme cette autre révolte des Gilets jaunes e France qui menace d’ébranler tous les pays capitalistes.

A vous entendre, Titsékédi ne va pas prêter serment ?

Je vous le dis et l’affirme, il ne tiendra pas, même s’il prête serment. Faylu a bel et bien déposé un recours devant la Cour constitutionnelle, demandant l’annulation des résultats, mais, souvenez-vous du scénario camerounais, et ailleurs. La différence là-bas, c’est que les enjeux traversent et transcendent certains clivages, et posent clairement de façon centrale, la question nationale, ce qui n’est pas et n’était pas le cas au Cameroun où le tribalisme est une arme d’Etat utilisée à temps et à contretemps pour ruiner l’unicité des révoltes. Il existe au Congo Démocratique, une société civile très engagée, très mature et certainement la plus solide et la mieux organisée en Afrique centrale. Elle a démontré sa capacité et sa disposition à payer le prix du sacrifice, et elle ne baissera pas les bras. Par ailleurs, pour les partenaires extérieurs, les dégâts sont immenses et assurément inacceptables si Titsékédi devait prendre le pouvoir.

Qu’est-ce qui vous permet de faire cette prévision ?

Il y a d’abord la manière, pour ce qui est du déroulé des élections, et il y ‘a ensuite la substance des enjeux, pour ce qui est des perspectives et des dommages collatéraux. Tout le monde a assisté à la piètre manipulation qui a consisté à bloquer toutes les communications, pour ensuite passer par des reports de l’annonce des résultats, des négociations nocturnes puis une publication en pleine nuit, à 2hs du matin du nom de ce fainéant de vainqueur. Les arrangements entre le petit bandit de Kabila et le traître Titsékédi ne sont même pas passés par des cachettes. D’un côté, un petit dictateur mafieux qui veut conserver le pouvoir et préserver son clan de prédateurs, et de l’autre un farfelu, qui n’a presque jamais vécu au Congo, dans les veines duquel coule le sang de son traître de père et assassin de Lumumba, et qui est prêt à tout pour arriver. Voilà le scénario. Il faut même signaler, que cet apprenti fils de son sanguinaire de papa, a passé son temps en Belgique sans jamais obtenir le moindre diplôme. Il a introduit dans son dossier de candidature, une fausse attestation. C’est tout cela qui ne va pas marcher et qui ne va pas tenir.

Pouvez-vous situer les rôles respectifs de la France et des Etats unis ?

Au regard de la configuration des forces et des alliances tant dans la sous-région, que sur la scène diplomatique mondiale, les intérêts se croisent, s’opposent et se réconcilient autour de l’exigence d’une stabilité démocratique au Congo Démocratique. La maturité et la densité de la société civile exposent le pays à une explosion aux conséquences directes dévastatrices, avec des effets collatéraux lourdement contrariant pour les pays voisins déjà fragilisés. Les Etats unis ont réussi à ériger le Rwanda en modèle, et les dirigeants de ce pays sont parvenus à faire plier la France, par une démonstration de gestion nationaliste et visionnaire. On peut voir comment Paris est passé de l’hostilité vis-à-vis de Kigali, au discours mielleux au point de faire de son ministre des affaires étrangère, la puissante Louise Mushikiwabo, le Secrétaire Général de la francophonie, organisation internationale qui son principal bras séculier diplomatique. Washington et Paris sont dorénavant en accord sur la perception des acteurs et sur la quintessence des enjeux, et le fond exclu toute instabilité au Congo Démocratique.

Comment jugez-vous les dénonciations d’impérialisme entendus de certaines voix, à propos des positions des deux pays qui exigent la vérité des urnes et contestent l’élection de Tistékédi ?

Je crois qu’il faut en finir avec cet infantilisme menteur et malhonnête. C’est comme si les mêmes salauds qui ont pourri la vie des médias et fabriqué un discours faussement panafricaniste lors de la crise ivoirienne, se remettent au service. En Côte d’Ivoire, Gbagbo avait clairement et incontestablement perdu l’élection présidentielle. Il faut rappeler que dès les élections municipales un an plus tôt, le RDR de Alassane Ouattara était déjà arrivé en tête comme premier parti du pays avec 34% des suffrages. Et puis, à l’issue du premier tour de la présidentielle, Ouattara était arrivé en tête. Pour le deuxième tour, l’alliance avec le parti de Bédié et le parti de feu Robert Gué, lui garantissait une victoire sans faille, à plus de 60%. Or avant même l’élection, le mot d’ordre du camp Gbagbo c’était celui-ci : « On gagne, on a gagné, on perd, on a toujours gagné. Zéro Ouattara et zéro Dioula ». Ils avaient solidement préparé la guerre civile, importé des cargaisons d’armes en quantité que l’on a retrouvé entreposées jusque dans des écoles et des sous-sols des domiciles ». Alors, quand on entend aujourd’hui monsieur Titsékedi et sa bande parler d’impérialisme et de syndrome ivoirien, il faut s’inquiéter sur leur structure mentale et sur les desseins funestes de ceux qui se font les relais de leurs puantes, toxiques, venimeuses et avilissantes propagandes.

Mais vous êtes trop sévère ?

Non, pas du tout, il s’agit de rappeler un peu d’histoire aux gens. Nous avons l’art d’oublier trop vite et de célébrer les cancres, les voleurs, les violeurs et les traîtres. L’Europe continue de traquer les Nazis et les traîtres, pendant que nous tolérons ici les rejetons des dictateurs sanguinaires. Le fils de Bokassa a même été ministre de la défense en Centrafrique, et le fils de Mobutu était même candidat à l’élection présidentielle en RDC. Il y a là un manque de culture politique articulée sur des principes idéologiques et doctrinaux cohérents, solides et combatifs. Ceux qui porteront l’Afrique vers le bonheur ne peuvent pas être des gens mous et mouillés ou aux mains ensanglantés, hésitants, sans principes et sans rigueur. Les histoires de « il faut savoir être tolérant et rassembleur », ne tiennent pas dans des contextes où les crimes et les travers managériaux, ont atteint des sommets qui assombrissent complètement l’avenir du plus grand nombre.

Que vous inspire le coup d’Etat manqué du Gabon ?

D’abord, j’aime bien le président gabonais pour son élocution limpide et son parler du français très sorbonnard. Par ailleurs, je dois dire que je compatis entièrement pour sa santé chancelante actuelle. Je lui souhaite franchement un prompt rétablissement. Maintenant, comment apprécier la gestion de son pays, en tant qu’intellectuel, analyste, patriote soucieux de bonne gestion, de démocratie et de respect du suffrage populaire ? J’estime que le genre de gestion du pouvoir qui est à Libreville, ne correspond pas à ce que j’attends pour l’Afrique, et à la façon dont je perçois la démocratie. Certes, il y a eu une élection présidentielle, mais la vérité des urnes continue de faire l’objet d’une contestation dont la vérité appartient, au regard de divers paramètres et agencements, à l’opposition. A cela, l’absence prolongée du président, traduit un autre égocentrisme et d’autres égoïsmes qui ne nous honorent pas. Pourquoi ne pas donner sa démission dans ce contexte ? C’est une porte de sortie que le président aurait pu exploiter, saisir en toute beauté. On ne peut jamais dire que l’on soutient les auteurs d’un coup d’Etat, on peut tout au moins dire que l’on comprend leurs frustrations. Dans le cas du Gabon, cette position me semble acceptable. Le fait est donc certes inconvenant d’un point de vie strictement légal, mais l’acte est compréhensible d’un point de vue légitimiste. C’est sans aucun doute le destin de tous les pouvoirs fabriqués en dehors des urnes propres, chancelants et têtus.

Et le Togo, où l’opposition a carrément boycotté les élections législatives ?

Tel fils, tel père, et tel médiateur tel pouvoir. En somme, il y a pour le Togo, une constellation de paramètres historiques et ponctuels qui engendrent la mauvaise gouvernance, et conditionne toute prospective vers le bain de sang, les troubles à l’infini et l’explosion ultime. Nous allons y arriver sans faute. Je signale que ce pays est dorénavant le cancre et dernier de la classe dans toute la zone CEDEAO en matière de transition démocratique et de bonne gouvernance. Pareille spécificité négativiste ne saurait prospérer plus longtemps. IL faut sérieusement regretter alors, la complaisance dont a fait preuve, l’équipe de facilitateurs conduite par Alpha Condé, le président Guinéen. C’est à croire, que ce Condé lui-même, n’envisage pas de quitter le pouvoir au terme de son deuxième et dernier mandat. Pourquoi ne pas penser que c’est en le voyant à l’œuvre et en lisant dans sa tête dans le mouvement du vent, que l’autre, le président de Mauritanie, commence à agiter ses comparses avec des motions de soutien et des appels genre appels du peuple, pour aboutir à modifier la constitution. Il veut se maintenir après ses deux mandats ?

Que vous inspire ce tableau presque sombre ?

Personnellement, je suis plutôt tourné vers les conséquences que j’entrevois déjà sanglants partout. L’Afrique évolue à très grands pas vers des révolutions violentes qui lui ont fait défaut pour se construire réellement en réglant radicalement certaines contradictions et en éteignant définitivement certains conflits obscurantistes. L’Europe et l’Amérique sont à bout, englués dans les contradictions d’un système capitaliste cruel qui a généré des fractures sociales dorénavant difficilement acceptables par les peuples. Le temps de venir s’occuper des comptoirs coloniaux africains est passé, et les dirigeants n’ont plus aucune garantie de se faire entendre ici, ou de tout contrôler et sécuriser. Nous allons être livrés à nous-mêmes, et nous allons nous battre, nous tuer et entretuer jusqu’à atteindre le point d’équilibre qui oblige à d’inévitables reconstructions institutionnelles enfin solides, pérennes et consensuelles. Toutes les grandes nations, aujourd’hui des grandes puissances, sont passées par là. Nous n’allons pas y échapper, et le prix à payer sera lourd, très lourd.

Lorsque j’ai déclaré dans un précédent entretien avec vous, que la dernière élection présidentielle au Cameroun, n’était même pas un match de troisième division, je mesurais non seulement mes mots, mais aussi j’exprimais la dimension des enjeux, la qualité, le sérieux et la détermination des acteurs encore dormants, de même que le fossé qui existe entre la gravité des problèmes d’une part, et l’opportunisme voire la légèreté de la plupart des hommes politiques en vue qui restent très minimalistes et sans substance idéologique et doctrinale d’autre part.

Merci professeur, mais si l’on prend le cas de Madagascar récemment, et peut-être le Sénégal dans quelques jours, n’est-on pas autorisé à mettre un bémol à ce tableau sombre ?

Les Africains, ou du moins les dirigeants en cours, choisissent facilement et impunément les voies de contournements brutaux pour semer l’exclusion et institutionnaliser la marginalisation de leurs opposants et concurrents. Notez que si Gbagbo n’avait pas imposé au Général Robert Guei de maintenir le fameux article 34 qui institutionnalisait la notion abjecte d’Ivoirité, dans le seul but d’exclure Ouattara, il n’aurait jamais accédé au pouvoir. Donc, il n’est devenu président, que parce qu’il avait insisté pour écarter Ouattara qu’aucun politicien ivoirien ne pouvait battre à l’époque. Or le coup d’Etat des jeunes militaires du nord était d’abord motivé par l’exigence de mettre fin à cet ostracisme génocidaire de l’article 34. Au Sénégal, il existe certes une tradition démocratique très ancrée et très avancée, mais je regrette de vous inviter une fois de plus à lire les faits historiques. Après Senghor qui avait transmis volontairement et pacifiquement le pouvoir à son successeur constitutionnel Abdou Diouf alors premier ministre, la suite a été une vraie pagaille, une démonstration de la petitesse des politicards africains. Diouf n’a pas quitté le pouvoir pacifiquement. IL est parti malgré lui, et seulement après que son ministre de l’intérieur qui était un militaire, ait refusé son ultime plan qui consistait à refuser les résultats de la présidentielle qui le donnaient perdant.

Le bouillant Abdoulaye et célébrissime professeur, a tout mis en œuvre pour ne pas s’en aller. IL a commencé par vouloir modifier la constitution pour instituer un poste de vice-président que devait occuper son fils Karim, mais le peuple a résisté. Wade a ensuite monté un scénario de répression terrible qui a mis le pays à feu et à sang et engendré une vingtaine de morts. Maintenant, pour ce qui est de Macky Sall, il n’a pas échappé aux délices du tripatouillage, puisqu’il a rendu les conditionnalités de validation de candidature plus complexes et plus rigoureuses.

C’est vrai que l’Afrique de l’Ouest en général fait bonne figure, mais les mauvaises pratiques demeurent communes, et dans une large mesure à tous les Etats. Cependant il ne faudrait pas comparer nécessairement avec une Afrique centrale qui fait honte à tout le monde.

Vous avez oublié Madagascar.

Non, je n’ai pas oublié. Nous sommes là aussi, en présence d’une démonstration de la pandémie d’une boulimie pour le pouvoir suprême. Cette grande île de 25 millions d’habitants continue de souffrir le martyr de ses politiciens avides de pouvoirs. Comment peut-on expliquer autrement que par une maladie incurable, la présence de tous les anciens présidents dans la course lors de la dernière consultation ? S’il faut parler de la conduite du processus, tous les signaux analytiques montrent quand même que les choses se sont plutôt bien passées. Le peuple malgache s’est vraiment exprimé librement. Ravalomana a été régulièrement battu à l’issue des deux tours du scrutin. D’ailleurs il a si bien compris qu’il s’est recroquevillé dans son trou. Mais ne le donnez pas pour mort, parce que les politiciens ne meurent jamais dans ce pays. D’ailleurs, son épouse qui tient la mairie de la capitale. Antananarivo, est dans les starting-blocks pour la prochaine échéance, et un train peut en cacher un autre.

Comment sortir de cette bouillabaisse ?

Je ne pense pas détenir la vérité, la solution unique ou porter toutes les thèses, hypothèses et antithèses d’une science infuse en matière de bonne gouvernance. Toutefois, il y a au moins des évidences incontournables, que j’ai du reste longuement développées dans mon ouvrage sur « La malédiction de l’Afrique Noire » publié en 2010. Commençons par ces élections à un seul tour. Il ne s’agit ni plus ni moins que d’une tricherie, un truquage conscient et honteux. Le fils de son père qui est au pouvoir au Togo, ne représente aucune légitimité effective avec ses bricoles d’élections à un tour. L’observation vaut pour le Gabon, le Cameroun et les autres. Les idéologues à l’esprit boiteux et aux gènes souillés de ces potentats vous répondront que les Etats Unis ont aussi le système à un tour, mais ils oublient de vous dire que le contexte d’expression politique, d’organisation spatiale et d’articulation institutionnelle est totalement différent. De piètres professeurs aux parchemins qui ne valent que l’instant d’une soutenance de thèse bricolée, continueront malgré des évidences accablantes de tricherie et de duperie, à écumer les plateaux de télévision et les colonnes de canards cafardés, pour soutenir les dictatures, en tentant de mélanger des siècles d’histoire de pratiques démocratiques de la-bas, avec les faits d’armes nauséabonds des démocraties barbares d’ici, des gouvernance de brousse tenues par des Grands singes qui bombent le torse en face de leurs misérables et impuissants sujets réduits en esclaves anesthésiés.

Il y a ensuite le principe cardinal de la consultation du peuple, les préalables du recensement, de la composition et de la constitution du corps électoral, des règles, des modes, des méthodes et des mécanismes d’expression puis de contrôle. Il y a enfin la cadre institutionnel et politique, induisant la forme de l’Etat, le sens et la signification de la république. Il ne suffit pas de parler de politique ou dé démocratie, il faut déjà une convention ferme sur le genre, le ton, l’orientation et la formulation du destin projeté. Démocratie et politique, mais lesquels ?

Merci sincèrement professeur.

C’est plutôt moi qui vous dis merci.

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