Le renseignement au Cameroun : Chronique d'un « destin lié » à  la France
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Le renseignement au Cameroun : Chronique d'un « destin lié » à  la France :: CAMEROON

Dans un livre, Alain Fogué Tedom dépeint les moments sombres de son usage post colonial et relève l’urgence d’en faire un patrimoine commun dédié à la défense tactique et opérationnelle du pays.

Une balade dans les dédales d’un domaine à la fois fascinant, agressif et toujours politisé. C’est ce à quoi s’est essayé Alain Fogué Tedom dans son ouvrage intitulé : «Cameroun. Sortir le renseignement du maintien de l’ordre politique. En faire un outil stratégique». En posture d’écrivain, l’homme aux multiples casquettes raconte l’histoire du renseignement (notamment politico-stratégique engagé sur le long terme) au Cameroun, qui en près de 60 ans, aura été utilisé pour la dissuasion et la subversion de l’«ennemi intérieur » ; particulièrement suite à «l’indépendance purement juridique, sans contenu politique, stratégique et économique» du pays ; en l’occurrence avec l’Union des populations du Cameroun (Upc) créée le 10 avril 1948.

Ce parti politique sera combattu par la France avant l’indépendance et après sous le président Ahmadou Ahidjo, qui le 10 mai 1958 devant l’Assemblée législative du Cameroun (Alcam), avait alors déclaré étant encore Premier ministre : «C’est avec la France que, une fois émancipé, le Cameroun souhaite librement lier son destin pour voguer de concert sur les mers souvent houleuses du monde d’aujourd’hui», rappelle l’auteur.

Ce ralliement (aveugle ?) à la tutelle qui a fait du Cameroun «un jouet» entre les mains de la France a permis à celle-ci, de voir triompher ses valeurs morales et ses principes politiques réalisés dans le monde, dans ce qu’il est convenu d’appeler «l’indépendance-coopération» qui n’est autre que cette «forme de refus français de la résignation devant l’idée irréversible de la perte des privilèges coloniaux». Pour revenir à l’Upc, l’éveil stratégique de ses cadres et leur capacité à capter l’intérêt du peuple camerounais après l’indépendance, a plutôt constitué contrairement à la thèse extrémiste avancée par la France qui protégeait ses intérêts, à «l’ostracisme, le bannissement puis la guerre secrète de la France contre le parti nationaliste camerounais, coupable d’avoir pensé à la protection des intérêts du Cameroun dans un processus de décolonisation que les stratèges coloniaux français voulaient de pure forme», d’après l’ouvrage «Kamerun ! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique (1948 - 1971)» cité par Alain Fogué Tedom. Dit autrement, il s’agissait d’une opposition d’ordre politico-stratégique.

Ainsi, pour veiller sur ses intérêts et avec l’aide du renseignement, la France va se charger de fonder le système de sécurité camerounais avec des hommes tels Pierre Messmer chargé de «casser» l’Upc et placer le Cameroun au service de la grandeur de la France ; le «soldat» Maurice Delauney qui mène la répression des nationalistes camerounais en pays Bamiléké ; Maurice Robert, «le ministre de l’Afrique camer.be» du renseignement ; Georges Conan, le façonneur de l’habitus opérationnel du renseignement camerounais naissant (l’habitus est une règle acquise dont les fondements conscients et inconscients sont partagés au sein d’un groupe, Ndlr) ; Jacques Foccart, créateur du «réseau Foccart » et garant de la sécurité nationale de la France au Cameroun et enfin Charles De Gaulle, le stratège en chef d’«une certaine idée de la France», de l’«indépendance-coopération » et de la pensée sécuritaire camerounaise.

Après la proclamation de l’indépendance du Cameroun en 1960, l’«indépendance-coopération» et l’habitus sécuritaire du pays vont se développer sous le président Ahidjo, avec des hommes tels Samuel Kame, connu comme étant un «intellectuel fasciste, idéologue, architecte de la perpétuation de l’ordre colonial et de l’institutionnalisation d’un renseignement de maintien de l’ordre politique», ou encore Jean Fochivé Fewou, l’emblématique patron de la police politique, qui a également sévit sous le président Biya. Institutionnalisé, le renseignement sera l’héritage des Zones de pacification (Zopac), et va instaurer la terreur d’Etat qui consistait à «Parler ou mourir».

«Il faut souligner que «Parler » signifiait pour les malheureux pris dans la machine folle de la torture de l’Etat, «passer aux aveux complets»  de tout ce dont le système avait librement décidé de les accuser», fait observer Alain Fogué Tedom. Mais aujourd’hui plus que jamais, et du fait des dommages énormes du passé, il est urgent de donner un contenu politique et stratégique à l’indépendance juridique du Cameroun par le renseignement (toujours assimilé à «la main de l’assassin»), jusqu’ici utilisé par le pouvoir «pour régner et non pour gouverner». Ceci passe non seulement par une réflexion mûre d’une politique étrangère lisible et dynamique car, l’intérêt national qui est indissociable de la quête de puissance, doit permettre aux dirigeants de sortir le Cameroun de sa «cécité stratégique», près de 60 ans après son indépendance ; mais aussi par l’abandon de tous les paramètres usités par la France - l’ancienne puissance colonisatrice - au Cameroun dans le cadre de l’«indépendance-coopération».

Ainsi, le renseignement qui selon Hervé Coutau-Begari, est «l’outil par excellence de la décision stratégique» ou encore «la science et la pratique au service de la puissance de l’Etat et la protection de la nation», devrait donc, pour Alain Fogué Tedom, être repensé dans le fond et la forme par et pour le Cameroun. «La cécité stratégique du Cameroun, qui s’observe aussi bien à travers la comparaison malheureuse faite entre les terroristes de Boko Haram et les nationalistes par le président de la République […] impose une profonde analyse. Après près de 60 ans d’indépendance, les raisons de la persistance de cette cécité sont nombreuses», fait par exemple observer l’auteur, qui suggère par ailleurs que soit associée à la refondation de ce concept devenue impérative au Cameroun, une «Communauté du renseignement camerounais composée de l’ensemble des services spécialisés nationaux», basée sur une politique publique qui prendrait en compte les aspects civil, militaire et économique du pays.

En somme, «Cameroun. Sortir le renseignement du maintien de l’ordre politique. En faire un outil stratégique» de Alain Fogué Tedom, est une oeuvre riche de repères historiques. Structurée en quatre chapitres très fournis en informations, l’oeuvre de l’auteur donne des clés de compréhension au lecteur sur l’implémentation du renseignement au Cameroun (depuis l’indépendance), et préconise une nécessaire refondation de ce concept pour son usage à bon escient. L’ouvrage de près de 500 pages est publié aux Editions du Schabel.

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