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© Camer.be : Interview réalisée par Guy Martial Tchinda
- 13 Aug 2025 07:31:33
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CAMEROUN :: Pr Rose Leke « Nous apportons aux femmes scientifiques un mentorat holistique » :: CAMEROON
La présidente fondatrice de Higher Women Consortium dresse le bilan de ce réseau, 10 ans après sa création.
La professeure d’immunologie et de parasitologie revient sur les progrès accomplis et les difficultés rencontrées, et évoque les perspectives de cette organisation qui a mentoré plus de 200 chercheuses au Cameroun. Entretien...
Higher Women Consortium a célébré 10 ans d'existence à travers des activités organisées à Yaoundé du 24 au 26 juillet dernier. De quoi s’occupe ce programme qui est présenté comme le moule des femmes scientifiques au Cameroun ?
Quand on a commencé ce projet, le programme phare, c’était le « programme mentor-protégé ». Ce programme consiste à faire en sorte qu’un mentor prenne et encadre les jeunes femmes qui commencent leur carrière scientifique. Des fois, ce sont les jeunes qui ont un master ou qui doivent travailler ou faire une thèse de doctorat et même parfois celles qui ont le doctorat, mais qui ont des difficultés à évoluer parce que c'est difficile pour les scientifiques. On les prend alors, on leur tient la main, on essaie de les faire grandir en tant que scientifiques.
Aujourd’hui, plusieurs femmes se découragent en fait parce que ce n'est pas facile pour les femmes scientifiques. Quand elles reviennent du travail, elles doivent s’occuper des enfants. Elles ont du travail au laboratoire et en même temps, elles doivent faire la recherche, faire des publications scientifiques, gérer la maison et la famille, etc. Il y en a beaucoup qui disent ne plus pouvoir continuer en science parce que le travail et la maison les occupent beaucoup. Ce n'est pas facile et c'est pour cette raison qu'on doit leur tenir la main afin qu'elles ne lâchent pas. On les accompagne pour qu'elles deviennent vraiment des femmes avec une bonne carrière.
Quel accompagnement leur apportez-vous concrètement ?
Nous leur apportons un mentorat holistique. Chaque mentor a au moins trois ou quatre jeunes femmes qu’elle accompagne et qui peuvent se référer à elle, se confier à elle à n’importe quelle heure lorsqu’elles ont une difficulté, qu'importe le problème, et trouver de l'aide auprès d’elle. On a le forum aussi, qui regroupe tout le monde. Si quelqu’une a des difficultés à trouver un médecin, des réactifs, ou autre chose qui l’aide à avancer, elle peut soumettre sa doléance dans ce forum et on va l’orienter vers l’endroit où trouver la solution.
Nous avons fait ce travail pendant 10 ans et ça nous a permis de faire grandir beaucoup de femmes. Il y en a qui ont été mentees (mentorées) et qui sont devenues maintenant des mentors aussi pour aider les autres.
Nous avons écrit dans de grands journaux comme « Nature » pour partager cette vision du mentorat, parce que quand on en parle ailleurs, il y a des gens qui nous écoutent et ne comprennent pas vraiment ce que nous faisons. En fait, ils ne voient pas le mentorat de la même façon. Notre mentorat est très spécifique, c’est le mentorat holistique. Il s’agit de former toute la personne (en prenant en compte tous les aspects de sa vie, Ndlr). Les femmes qui sont passées par là en font de bons témoignages. Elles sont reconnaissantes de ce que le consortium leur a apporté. Grâce à ce mentorat, elles font des voyages scientifiques, elles écrivent beaucoup dans les journaux scientifiques, elles s’épanouissent et s’occupent des enfants et de leurs maisons.
Il y a à peu près huit ans, l’une des protégées a été sélectionnée pour une réunion à laquelle elle aimerait vraiment participer mais à ce moment-là, elle allaitait et quand elle m’a posé le problème, je lui ai offert le nécessaire pour conserver le lait. Elle a fait un grand stock de lait maternel et elle est allée à sa réunion. Quand elle est revenue, elle a continué d’allaiter son enfant. Il y a beaucoup de cas comme ça. Lorsqu’une femme a un problème, elle pose le problème et on l’aide et aujourd’hui, on a des femmes plus épanouies
On les accompagne à rester de ou à devenir de grandes chercheuses tout en restant une bonne femme pour leurs familles. Pour cela, on leur montre comment gérer le temps, on leur enseigne comment écrire les projets de recherche, comment avoir l'argent pour les projets, et toutes les choses qui peuvent les aider à grandir.
Vous étiez aussi dans les écoles…
Oui, on est allées dans les écoles primaires et secondaires, à Douala et Yaoundé à l’occasion de la Journée internationale des droits de la femme, le 8 mars, On y va pour parler avec les jeunes filles afin qu'elles s’orientent vers une carrière scientifique, en leur montrant les avantages qu’il y a à être scientifique, on discute avec eux (y compris les garçons, Ndlr) pendant une matinée, on répond à leurs questions… Aujourd’hui, en fait, la science et la technologie sont très importantes et nos enfants doivent de plus en plus s’orienter vers là, parce que c'est important pour le développement de notre nation. Les nations qui ont vraiment investi dans la science et la technologie sont vraiment très avancées. C'est ça qu'on essaie de faire avec les Higher Women.
Pourquoi un programme dédié uniquement aux filles et aux femmes, et pourquoi pas aux hommes aussi ? Pensez-vous qu'il y a un déséquilibre dans la société ?
A certains endroits de notre pays, c'est maintenant que les femmes s'épanouissent et vont à l'école. Il y en a même qui ne poussent pas les études aussi loin. Si vous allez dans le grand Nord par exemple, les filles ne vont pas trop à l'école. Quand elles y vont, beaucoup s’arrêtent au niveau primaire et sont envoyées en mariage.
Si on trouve donc des filles qui sont allées jusqu’à l'université, il faut qu'on les encourage, parce qu'il y en a qui vont croire qu’en arrivant à l’université, elles ont beaucoup fait. Non, elles doivent aller plus loin. A certains endroits en Afrique, avant, les filles n'avaient pas le droit d'aller à l'école. Quand on avait des enfants (une fille et un garçon), on privilégiait le garçon et on l’envoyait à l'école et pas la fille. Il y a encore beaucoup de femmes qu’on doit sensibiliser.
Mais maintenant, nous pensons que notre programme va aussi aller vers les garçons. Dans les écoles, quand nous sensibilisons les filles, on sensibilise aussi les garçons, mais ce n'est pas nécessaire maintenant. Ce qui nous intéresse pour le moment, c’est de faire comprendre aux garçons que lorsqu’ils grandissent, qu’ils n’abandonnent pas les femmes au bas de l’échelle, mais qu’ils leur tiennent la main pour les les aider à monter.
A vous entendre parler, on comprend que lorsqu’une femme devient membre de Higher Women Consortium, c’est un gage de réussite. Est-ce qu’en 10 ans, vous avez enregistré des perdues de vues c’est-à-dire des femmes qui ont rejoint le consortium et qui sont reparties après parce que malgré vos efforts, elles n'ont pas pu tenir ?
Oui justement, on en a parlé pendant la célébration du 10e anniversaire. Nous sommes à plus de 150 mentees (mentorées) et environ 100 mentor. Mais, on ne voit pas tout le monde. Où sont les autres ? On doit aller les chercher et on va discuter de la stratégie pour les faire revenir. Les mentors doivent jouer un rôle dans ce processus qu’une mentor connaît ses mentees. Nous allons demander aux mentors de chercher leurs mentees. C'est une chose qu'on va discuter et dans une prochaine réunion ou dans le forum. L’idée c’est de comprendre pourquoi est-ce que ces mentees ne sont pas là.
Quelles ont été vos plus grandes difficultés ?
Notre difficulté principale était financière, parce qu'on voulait avoir des réunions, on voulait former plus, on voulait faire les ateliers de rédaction, mais on n’avait pas de ressources pour cela. J’ai dû parfois aller plaider auprès des gens que je connaissais pour avoir de l’argent afin d’organiser cela. C’était vraiment difficile. Notre plus grand problème a toujours été financier. Pour pouvoir avoir une réunion avec toutes ces femmes-là, il faut payer la salle et bien d’autres choses. Pour nos réunions, on essaie d'avoir une salle qui peut contenir tout le monde.
Quels sont les domaines de recherche qui intéressent votre Réseau ?
On a commencé il y a 10 ans par la recherche en santé parce qu’on a lancé le réseau avec un financement de l’Organisation mondiale de la santé (Oms). Un financement de 10 000 dollars. Mais aujourd’hui, on s’intéresse à tous les domaines de la recherche. On a des membres qui sont avocats, on en a qui sont du domaine des sciences sociales et de plusieurs autres domaines.
Au soir de vos ateliers vous organisez presque toujours un « Fire Side » (causerie autour du feu). Pouvez-vous nous en dire plus ?
Le soir, lorsqu’on finit de manger, on s'assoit, on fait le feu au milieu, on fait brûler les prunes et le maïs comme au village, et chacune parle de ses difficultés, on essaie de voir comment on peut les résoudre. Et les autres jeunes qui entendent les difficultés que les aînées ont eues, s’en inspirent. Il y en a qui pleurent même parce qu’elles voient à travers les aînées les difficultés qu’elles ont-elles-mêmes vécues. Il y en a qui croyaient que ces mentors n’avaient jamais eu de difficultés. Cela les encourage à surmonter leurs difficultés.
Quelle est votre plus grande fierté, 10 ans après la naissance de Higher Women Consortium ?
Ma plus grande fierté, c'est de voir ces femmes qui s'épanouissent. Je leur dis toujours qu'elles doivent faire mieux que moi. Je suis convaincue qu'il y en a qui vont faire de plus grandes choses que ce que j'ai fait dans la vie. Je suis fière de ça.
Que répondez-vous à ceux qui estiment que votre organisation encourage les femmes à ne pas se marier et à privilégier uniquement les études ?
Nous ne l’avons jamais fait et on ne le fera pas. D’ailleurs la majorité de nos membres sont des femmes mariées. Il n’y a pas de femme qui n’aimerait pas être mariée. Nous ne pouvons pas demander à une femme de ne pas se marier parce qu’elle fait des études. Jamais ! La famille fait partie de l’épanouissement. Pendant nos “Fire Side”, nous discutons des difficultés que peut rencontrer une femme dans son foyer. On discute de comment surmonter ces difficultés, comment élever les enfants. Si quelqu’un nous accuse de quoique ce soit, qu’il nous donne des preuves.
Quels sont vos rapports avec le gouvernement?
Le gouvernement nous soutient, il sait que ce qu’on fait est très important. C'est le ministre de l'Enseignement supérieur, le chancelier des ordres académiques qui avait présidé l’ouverture de la première réunion de Higher Women. Il en a même parlé dans une réunion à Dakar.
Quant à la ministre de la Promotion de la femme et de la famille (Minproff), on a été en faculté de médecine ensemble. Elle est toujours avec nous à chaque réunion, peu importe le lieu. Elle trouve toujours le temps de venir, même si c'est un samedi. Elle vient même seule dans sa voiture, Des fois, les gens ne savent même pas qu'elle est là, parce qu’elle est très discrète. A la dernière réunion, quand elle nous a rejoint, elle est entrée et les gens ne savaient pas qu'elle était là. Et les membres s’activaient pour le protocole dû à son rang. Tout ça se faisait alors qu’elle était assise dans la salle. C’est une femme humble et elle a toujours été comme ça. On a une bonne relation avec elle, elle nous a donné beaucoup de soutien, pour nous aider à être là où on est aujourd'hui, elle nous a beaucoup aidées.
Vos perspectives…
On va continuer avec le mentorat, mais nous allons faire autre chose en plus. Nous envisageons de travailler sur les violences faites aux femmes. Nous voulons aussi étendre le Réseau dans d'autres pays, notamment ceux de l'Afrique centrale. On a déjà un membre au Tchad. C’est important pour l’épanouissement de la femme. Le Higher Women Consortium apporte beaucoup et je souhaite que le réseau s’étende pour aider d’autres femmes partout au Cameroun et dans d’autres pays Je cherche comment trouver un financement pour que le Réseau continue d’exister, même après moi. Je dis toujours aux membres de ne jamais laisser tomber ce Réseau, parce qu’il aide beaucoup.
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