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© Integration.org : Jean-René Meva’a Amougou
- 30 Jul 2016 11:21:15
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CAMEROUN :: EKOKO II (NSIMALEN) : Le bonheur recrute de nouveaux locataires :: CAMEROON
Jadis petit village anonyme, la localité est devenue le sanctuaire de la « béatitude » que charrient chez les autochtones les indemnisations et les ventes de terrains.
«L’argent ne fait pas le bonheur. C’est vrai ! Mais, je loue bonheur avec mon argent à moi!» Plutôt petit, cheveux poivre et sel, dynamique, Emile Mbarga approche la cinquantaine. Avec la décontraction dʹun vacancier, il offre à boire à tout venant. Dans son élan philanthropique, il accueille tout le monde dans la courette de la buvette. L’endroit, nouvellement bâti, a ironiquement pour nom «Eden d’Ekoko II».
A Aline Mengue, sa tenancière, l’homme parle tout haut. Il passe du ton de bourgeois distingué à l’argot du coin. L’ambiance a à voir avec les codes épicuriens, «là où la joie fait partie de la vie». Elle donne même une sensation de vie facile, où la vitalité de l’argent, plus forte que tout, confine au festif. Si l’alcool est omniprésent, les mets représentent aussi un élément majeur du décor: rats cuits à l’étouffée, perdrix à la braise, vipère à la soupe traditionnelle…
Tout y est. Et il y a foule. Les dernières indemnisations et les ventes de terrains ici font le raffut de tous les diables: des revenants, des comédiens et surtout de jeunes filles venues de Yaoundé. Ces dernières font coexister les battements de cils, la beauté, l’ivrognerie et la bestialité sous une même bannière: filles androïdes. Elles s’en accommodent, chacune dans sa bulle, soignant son petit périmètre d’activité.
«Ici, tout le monde commente ce qu’a fait tout le monde avec l’argent des indemnisations de l’autoroute Yaoundé-Nsimalen», souffle un adolescent. Ce 21 juillet 2016, un humoriste raté est plus direct. «Dieu n’est pas fou», dit-il. «Qui savait qu’il allait envoyer l’aéroport ? Qui savait que l’autoroute devait passer ici ? Qui sait ce qu’il va nous envoyer demain ? Alors, mangeons et buvons avant que les gens ne viennent nous arracher nos terres!», martèle-t-il.
Dans la foule, un homme d’un âge respectable se lève. On raconte qu’avant que le projet de construction d’autoroute ne soit confirmé, il ne traînait aucune aura dans le bled. Ce jour, il a une dégaine de rock star. Pour s’offrir en spectacle, il sort un pactole. Il le tourne dans tous les sens, le fait rouler par terre, le lance en lʹair, le fait retomber puis s’exclame: «Je suis d’accord avec toi mon fils !» Belle scène déroulée sur fond de bikutsi composé en patchwork par une ancienne vedette.
Le carnaval bat son plein. Pour les uns comme pour les autres, le rideau est loin de tomber ici à Ekoko II.
La légende continue
On pourrait penser que tout prédestinait ce petit village à se parer des atours paradisiaques. Enfoui dans la Mefou-et-Afamba (sur la route Yaoundé-Mbalmayo), Ekoko II n’était qu’un grand massif forestier non loin de l’aéroport international de Yaoundé-Nsimalen. A la faveur de cette infrastructure, le quotidien de la localité a été modifié. «Au crépuscule des années 80, la vie a pris un autre tournant avec l’intensification du trafic, le boom des petites affaires du fait de l’apparition de la Vierge Marie à quelques kilomètres d’ici. Mais, c’est davantage l’aéroport qui nous a sortis de l’anonymat», renseigne Thomas Bitomo, le chef de village de Nsimalen.
«Nous sommes au coeur d’une belle légende», ponctue-t-il joyeusement. Cette année encore, la belle histoire suit son cours. Aujourd’hui, les habitants d’Ekoko ne jurent plus que par l’autoroute Yaoundé-Nsimalen. «Ce projet a changé le standing de nos vies en bien comme en mal», glisse le dignitaire traditionnel. Tout savoir des mots et de leurs significations donne à lire une réalité qui, immédiatement, embraie autour des sommes perçues par les riverains. «Certains vivaient… Au propre comme au figuré», lâche Aline Mengue. Depuis que le chantier est ouvert, son chiffre d’affaires caracole les hits des grandes buvettes de la capitale. Le propos de cette native du Nyong-et-Mfoumou sent d’ailleurs la blague: «A ma manière, je picore aussi l’argent de l’autoroute».
Cet argent, apprend-on, provient à la fois des reliquats de la première phase d’indemnisations et de la vente des terrains. Ici à Ekoko II, cet argent «circule». Pour peu qu’on s’arrête au lieudit «Rond-Point Lion», les signes claquent. A cet endroit ce matin, c’est la grande séance de photos pour quelques riverains. Le tableau est exquis: les femmes arborent des robes de tous les coloris et de tous les desseins, brandissent des téléphones de toutes les tonalités, dégagent des parfums de toutes les teintes. A l’«Eden», les hommes s’enivrent des boissons de toutes les nuances et de tous les degrés.
Eblouis par la soudaine épaisseur de leurs porte-monnaie, les uns et les autres «vivent» tout simplement.
«Grades»
Au carrefour Essazok, quelques enfants débattent avec animation sur la nouvelle qualité de vie dans leurs maisons respectives. L’échange est enflammé, rebondit, oppose argument contre argument. Un peu plus loin dans la discussion, l’un d’eux insiste, avec des accents puérils: «Mon père est le plus riche d’Ekoko; on mange bien tous les jours!» Innocentes paroles enfantines ?
Peut-être. Mais un indice. Ce que clame ce petit, ses copains le disent aussi. Eux-mêmes répètent certainement les mots de leurs parents. Sur les plus hautes marches de l’échelle sociale d’ici, certains parmi ces derniers sont positionnés. Pour se comparer avec les autres par exemple, Emile Mbarga a divisé la population en trois grandes catégories: «Il y a les pauvres, les moyens et les grands comme moi». Dans les «pauvres», il y a tous ceux dont le chèque d’indemnisation n’a pas dépassé cinq chiffres.
«Les moyens», ce sont ceux qui ont été indemnisés à hauteur de moins de 500 000 francs CFA. Dans la classe des «grands», se recrutent ceux qui ont empoché plusieurs millions de francs. Seulement, si on parvient à suivre la ligne claire de ces «chanceux », on tombe vite sur des histoires tissées de ventes de terrains dans la périphérie du site de recasement des déguerpis du chantier, à quelques kilomètres du chantier de l’autoroute. «Rien ne peut certifier qu’un franc des indemnisations existe encore dans leurs poches. Ces gens ont pris goût à de gros montants en 2014 quand le préfet est venu les leur distribuer ici.
Cette situation a ouvert le bal de la vente des terres au fond du site aménagé par les pouvoirs publics», tranche Thomas Bitomo. A comprendre ici que les transactions foncières ont pris le relais quand les magots se sont épuisés. Beaucoup ayant investi leurs sous dans le tourbillon des loisirs, en s’arrosant généreusement (et chaque jour) le gosier. Les plus austères ont acheté une moto ou se sont mariés.
Canevas complexe
Voici donc un lieu qui se propose de nous faire voir sa meilleure facette en en quelques instants. Seulement, «Ekoko II est le terrain de jeu de la malédiction de l’argent». L’abbé Placide Ekobena qui officie ici depuis trois ans sait de quoi il parle. Le prélat pense que depuis le lancement du projet de l’autoroute Yaoundé-Nsimalen, la localité a offert l’hospitalité à la société de consommation.
«C’est bien là tout le paradoxe, c’est un canevas complexe! », constate-t-il amèrement. Selon lui, «tout se passe ici comme si l’argent de l’autoroute est devenu la seule issue faute de toute autre richesse à cumuler ou dilapider». De fait, la suite dans le quotidien des bénéficiaires peine à trouver sa voie.
Tout ou presque démontre qu’il est désormais difficile de concrétiser toutes leurs belles intentions d’avant la première phase d’indemnisations. «Leur calendrier intérieur et leurs objectifs de reconstruction ne sont plus en phase», remarque le sermonnaire. On comprend alors que les premières indemnisations ici ont déjà délivré une première leçon: «une fois dans les poches des bénéficiaires, cet argent n’a pas servi à grand-chose». Sur le terrain, on plonge dans des récits distillés dans les vapeurs d’alcool.
Ce sont des histoires à résonnance plaintive qui sortent des entrailles des uns et des autres. «Le gouvernement nous a floués!», s’insurge Alphonse Menyé. «Comment peuton venir dire aux gens que le gouvernement paie par étapes et en fonction de l’argent disponible ? On nous a donné juste l’agent des beignets. Or, si on nous le donnait en une opération, on aurait pu faire beaucoup de choses», appuie Véronique, sa première épouse. Claudine, arrivée au lendemain du «paiement» est plus exhaustive: «Nous n’avons perçu que quelques minables 2 500 000 francs en tout et pour tout. Cela ne veut rien dire!».
Dans ce foyer polygamique, on s’énerve contre les pratiques des pouvoirs publics. A l’unisson, tous décrient «le semblant de rigueur administrative qui fait tarder le deuxième paiement». A en croire l’époux, ce «second passage à la caisse» est consécutif aux requêtes adressées au président de la République par une constellation de collectifs de défense des droits des autochtones du pays. «On doit nous payer sur la base des 100 mètres supplémentaires que le chantier a rongés.
C’est pour bientôt», croit-il savoir. Le programme est déjà là: «Si on nous paie, je vais prendre une parcelle là où la Maetur arrange. Peut-être, je vais faire un deux-pièces ou plus. Cela dépend de ce qu’on va me donner», projette Alphonse Menyé. Tout le contraire de Julien Etogo. A écouter ce dernier, les 16 hectares prévus pour le recasement des riverains soulignent une mascarade. «Nous pensions que l’Etat allait aménager et construire des maisons comme on l’a fait à Lom Pangar. Nous donner des petites sommes et nous demander d’aller construire sur ce site est erroné», soutient ce père de trois filles, veuf depuis octobre 2015. En bonne place dans son agenda, organiser «dignement» les funérailles de sa défunte épouse.
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