Péages « automatiques » : une absurdité sociale et technique
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Un collectif d’urbanistes et d’ingénieurs camerounais estime que c’est une violation flagrante des droits humains, car la route est un bien public, dont on ne saurait restreindre l’accès sans alternative.

Les réseaux sociaux sont animés ces derniers temps, par un débat entre des ingénieurs, sur la conception des péages dits « automatiques », et notamment le fait qu’ils n’auraient pas permis, récemment, le passage de convois exceptionnels constitués de véhicules hors gabarit (plus que la largeur conventionnelle des voies, 3-3,5m). On a alors été inondé de conjectures sur les normes de conception des péages, avec des explications plus ou moins alambiquées de certains d’entre eux en poste au ministère des Travaux publics.

Ce débat, aussi intéressant qu’il puisse paraitre pour ces confrères, nous semble secondaire, voire inutile. Le vrai sujet, nous semble-t-il, c’est l’intérêt même de ces ouvrages. Nous sommes effarés de ce que, comme nous l’indiquions il y a quelques mois dans notre sortie sur les fameux échangeurs qui vont totalement défigurer le carrefour de la Poste centrale et le Boulevard du 20 mai à Yaoundé, l’on saute l’étape cruciale de l’opportunité, pour se perdre dans des détails techniques. 

Il s’agit donc, une fois de plus, d’un débat de « villageois » qui sont émerveillés par des échangeurs ou des péages qui sont autre chose d’une ficelle portée par deux fûts. Loin de nous l’idée de remettre en cause le principe de maximisation des recettes pour financer l’entretien routier, mais notre avis est que, en l’état actuel et cela depuis leur mise en place il y a près d’un quart de siècles, ces péages sont une violation flagrante des droits de la personne. Partout dans le monde, la route est un bien public, c’est-à-dire qu’en principe 

  • (i) sa consommation n’affecte pas celle des autres, et 
  • (ii) nul ne peut en être exclu. Et donc, les deux cas de figure qui se présentent habituellement en termes de restriction de l’accès à travers le paiement par l’usager sont relatifs, soit à des raisons  de congestion soit au cas particulier des autoroutes.

Comme on le voit dans certaines villes en Europe, pour gérer les problèmes de congestion en centre-ville, des péages urbains sont parfois introduits, ce qui en restreint de fait l’accès à certains usagers ; mais en contrepartie, des alternatives sont aménagées, notamment en termes de transports publics, et il n’y a donc pas à proprement parler d’exclusion. Pour les autoroutes à péage, ceux-ci ne sont mis en place que parce qu’il y a une alternative, à travers des routes nationales. En  l’absence d’alternative, aucun péage n’est mis en place, ne manière à ne pas en restreindre l’accès a ceux qui ont les moyens de payer.

Les péages sur les routes nationales, comme on le fait au Cameroun et dans quelques autres pays africains, sont donc, ni plus ni moins, qu’une incongruité. C’est une absurdité, une violation des droits élémentaires de la personne, car on ne saurait avoir des péages sans alternative, permettant à l’usager d’effectuer son trajet. C’est socialement inadapté. C’est un peu comme si on bloquait la servitude d’entrée chez vous. Cela ne se voyait pas jusque-là parce que beaucoup d’usagers, et notamment les riverains, se débrouillaient pour ne pas payer, en complicité avec les agents. Le problème va se poser avec acuité avec ces péages dits « automatiques » (d’ailleurs, ne devrait-on pas plutôt parler de péages « électroniques » ?). On a ainsi appris il y a quelques semaines qu’un chef traditionnel de la Région de l’Ouest avait protesté contre l’érection d’une telle installation sur une route nationale de son territoire, coupant de fait celui-ci en deux pour certains usagers locaux. Et la réponse du ministre demandant à l’opérateur TOLLCAM-Partenariat SAS de « bien vouloir suspendre, jusqu’à nouvel ordre, les travaux d’implantation du poste de péage », a semblé marquer un recul, ce qui est un terrible aveu d’impuissance mais surtout d’erreur flagrante dans la conception. 

Dans ces conditions, il est désormais peu probable que l’opération aille à son terme. Il est à craindre qu’il ne s’agisse que d’un (autre) pétard mouillé : les premiers postes construits seront difficilement mis en service et les autres ne seront probablement jamais construits. Il est aussi possible que, vu la nature du contrat qui est un financement privé, l’Etat et l’opérateur auront intérêt à poursuivre la construction d’ouvrages qui ne serviront peut-être jamais. On entrerait alors dans un imbroglio juridico-financier, l’Etat devant payer pour des équipements inutiles, avec tous les frais financiers qu’induit un financement privé, en plus des dommages et intérêts. 

Dans un « pays normal » les usagers porteraient plainte. Et justice leur serait rendue. On se retrouve donc, comme dans le cas de la fameuse  section urbaine de l’autoroute de Nsimalen, avec un projet mal pensé au départ, avec une opportunité peu probante. Les dirigeants – et beaucoup de nos confères ingénieurs, surtout des ministères – ont tendance ces dernières années à sauter l’étape préalable de l’étude d’opportunité, pour passer directement au volet technique, sans poser clairement les données du problème, ou alors en se fondant sur des impressions ou des vues de l’esprit, alors même qu’ils ont été formés à la science. Les péages, comme ces échangeurs du Bd du 20 mai, sont totalement inadaptés au contexte, et devraient être arrêtés. Nous ne le répèterons jamais assez : un projet c’est un tout, à commencer par son utilité sociale, et les aspects techniques ne sont que la traduction des enjeux sociaux et environnementaux clairement établis en amont. Brandir des normes techniques sans prendre en compte l’utilité sociale de l’ouvrage c’est, comme disait Rabelais, « science sans conscience [qui] n’est que ruine de l’âme »… 

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