REVOLUTION:  ÉPITRE À CEUX QUI VEULENT LA MORT DE PAUL BIYA  ET À CEUX QUI LE SUIVENT BÊTEMENT
CAMEROUN :: POINT DE VUE

CAMEROUN :: REVOLUTION: ÉPITRE À CEUX QUI VEULENT LA MORT DE PAUL BIYA ET À CEUX QUI LE SUIVENT BÊTEMENT :: CAMEROON

"Un peuple qui lutte pour sa libération entreprend de conquérir son humanité perdue,  c’est-à-dire le pouvoir de s’exprimer et de concevoir, de décider et de réaliser ce qu’il a décidé".
Marcien TOWA

Dans ce texte, qui a la forme d’une dissertation à destination du grand public, j’avance une THÈSE : par ses dérives, le régime de Paul Biya appelle contre lui une insurrection ; je propose ensuite une ANTITHÈSE : une révolution est inéluctable au Cameroun, mais sous certaines conditions ; enfin je fais une SYNTHÈSE des enjeux qui nous interpellent : l’heure est arrivée : les « Paul Biya » qui nous gouvernent sont mis en demeure de tout réformer ou de finir mal. Avant le développement proprement dit, je vous propose d’abord une mise en contexte

MISE EN CONTEXTE
Au moment où le régime du Renouveau est une fois de plus sur la sellette, on peut appliquer à Paul Biya ce que Michel Rocard disait de François Mitterand en 1991 : « Biya, aujourd’hui, c’est le cynisme à l’état pur ». Certainement, le Président Biya ne comprendrait pas les raisons d’une révulsion de ses compatriotes à son égard. Il ne s’imaginerait peut-être pas qu’il leur soit redevable de quoi que ce soit, parce qu’il estimerait, en son excellence établie, comme tous ses pairs au crépuscule de leur long règne, qu’il a consacré toute sa vie pour s’occuper de son peuple, oubliant précisément que, n’eût été ce peuple, il ne serait rien. Aujourd’hui, dépité dans son palais, il ruminerait une illégitime incompréhension dans son cœur, comme son homologue socialiste de l’Hexagone : « Pourquoi tant de haine ? », se demanderait-il

C’est que, les dépositaires du pouvoir d’État et toutes les élites politiques et économiques parasitaires qui rôdent autour des centres de décision répugnent aux mots indélicats tels que la concurrence, la haine, le combat, la lutte, le conflit, la guerre et la révolution, qu’ils criminalisent à tour de bras. Ils n’ont de considération que pour leurs pendants qui sonnent doux, au creux de leur bonté revendiquée. Aussi promeuvent-ils, sans convictions, le sentimentalisme, les embrassades interculturelles, l’honnêteté de la bouche, les enlacements et accolades publics lors des meetings de campagne, l’amour christique et labial du prochain (prononcé du bout de lèvres traîtresses), un droit, une justice et une paix taillés sur mesures, ceci pour mieux détourner l’attention des citoyens de leurs pillages, de leurs crimes et de leurs massacres.

Dans ces conditions, l’on ne peut sensément prétendre à la pertinence sans se montrer farouche devant l’imposture, l’injustice et les abus. En termes simples, on s’indigne nécessairement devant tout ce qui révolte, par exemple, l’état présent de notre pays, avec les abus et sa misère, les violations de droits, le musèlement entretenu, les crimes et l’illégalité rampante. L’impertinence prend souvent les allures d’un entêtement, voire d’une agression…

Les Camerounais sont tendus vers l’horizon de satisfaction de leurs besoins et de leurs aspirations rationnellement prédéfinies dans la loi fondamentale. Ils se méfient par conséquent de deux catégories de personne : d’abord ceux qui leur prêchent un sentimentalisme réactionnaire qui se réserve l'arbitraire comme la balle du Chérif (c’est-à-dire, en termes moins codés, les partisans des injustices qui brandissent l’amour du prochain pour détourner l’attention des naïfs) ; ensuite, tous les autres qui font consister le droit en la conviction subjective que la défense des intérêts particuliers d’une tribu soit la mesure du bien-être commun (les gens boulimiques qui prêchent la révolution parce qu’ils espèrent, eux-aussi, enfin, faire pire que les gens de Biya : accaparer tout, en toute légalité).
La problématique actuelle de l’insurrection articule des enjeux massifs qu’il convient de démêler aux yeux de tous.

I/ THÈSE : PAR SES DÉRIVES, LE RÉGIME DE PAUL BIYA APPELLE CONTRE LUI UNE INSURRECTION
La surdité politique n’est pas une qualité politique : c’est le signe frappant qu’un système est en panne de solutions. Que lui reste-t-il, sinon se régénérer ou être balayé par les rafales de l’histoire. Ce qui cause la déroute gouvernementale dans notre pays, c’est que les dossiers sont ficelés par des misanthropes notoires, instruits par des incompétents, défendus par des imposteurs et des usurpateurs de titre, et finalisés par des tribalistes impénitents (même l’Éternel, quoique Tout-puissant, ne peut forcer l’un d’eux à « aimer son prochain »). À l’issue de l’étude du dossier, le jugement dernier tombe des Cieux fermés, prononcé par un Dieu aveugle, sourd et aphone (un type invisible qui ne parle pas, qui ne bouge pas, qui, en permanence, fixe le néant). C’est pourquoi, le régime de Paul Biya nourrit une hantise viscérale de la révolution (argument 1). Pourtant, le peuple ne peut sensément aimer de tels dirigeants (argument 2). Et, quoiqu’ils fassent pour justifier leur imposture, ils sont disqualifiés pour conduire les destinées nationales (argument 3).

ARGUMENT 1 : LA HANTISE VISCÉRALE DE LA RÉVOLUTION

Les autocrates répugnent aux révolutions parce que ces périodes dévorent leurs chefs. Ils leur préfèrent le conformisme, la peur, la corruption et l’abêtissement dans des populations.

C’est pourquoi les militants et responsables administratifs et politiques au pouvoir inondent l’espace public d’odes enflammées en l’honneur du Renouveau et du Roi inamovible ; ils se convainquent que le peuple n’est pas attentif à son propre sort. Sous ce rapport, puisque le système travaille à rendre les citoyens bêtes et désespérés, l’inculture peut s’apparenter à de la réserve et l’ignorance peut prendre les allures d’un trait de caractère : elle devient pourtant criminelle. L’arme privilégiée des partisans de la malgouvernance, chez nous, c’est la rhétorique de la distraction (ils encouragent et financent, à hauteur de milliers de milliards, les jeux, les amusements, la loterie et la consommation d’alcool, pour mieux faire diversion et contrôler le troupeau d’égarés que devient le peuple exsangue, une foule qui souffre d’un pillage ritualisé). Ils tournent autour du pot et mettent du ciment autour de vieilles fondations rongées de l'intérieur, pour colmater les brèches. En fait, ils renforcent l'édifice de la malgouvernance par la promotion de la mollesse, la dépravation des mœurs et la cooptation des incompétents dans les plus hautes fonctions de l’État. En cas de nécessité, ils trouvent des alibis pour tout justifier. En cela, ils ne sont pas différents des criminels qui sécurisent leur culpabilité par un arsenal de prétextes et des instruments spatio-temporels de détournement d'attention du groupe d'enquêteurs qui les pistent. Or, c'est peine perdue : le peuple connaît nommément tous ceux qui ont commandité ses misères et il retrouve toujours ses assassins...

L’absurdité des conditions de vie, la bestialité entretenue et la perte d’espoir d’un peuple font couver la révolution ; elles en sont en même temps le prélude. Si l’on veut s’en prémunir, c’est à ces racines principales qu’il faut s’attaquer. Légiférer pour pénaliser le changement, entreprendre de supprimer l’opposition, c’est non seulement brandir un risible épouvantail, mais aussi entretenir la dépolitisation de la cité. Je veux dire que tout ce qu’ils font là, c’est pour tuer l’esprit patriotique. C’est à cela qu’a consisté l’essentiel des efforts stratégiques de nos gouvernements successifs depuis les indépendances, situation qui a empiré les quarante dernières années.

En principe, gouverner revient à se livrer à la loi. La démocratie représentative, qui est l’habillage juridique du régime politique inclassable qui nous dirige, est une tension vers la promotion de l’intérêt général. Elle passe par le rejet du despotisme et de l’ochlocratie (gouvernement de la foule). Elle implique le refus que la volonté particulière (d’un seul ou d’un groupe sociologique distinct) détermine la trajectoire et la destination historique de la communauté entière. Robert Dahl soutient qu’entre les leaders et la masse, c’est un jeu de dupes : « les leaders pourvoient au désir des masses et, en retour, utilisent la force que leur procurent la loyauté et l’obéissance pour affaiblir et même annihiler toute opposition à leur loi ». L’oligarchie, dans ce cas, résout au moins les problèmes des populations.

Dans une para-démocratie comme la nôtre, le régime utilise plutôt la force au départ, non seulement pour empêcher les besoins et les désirs de s’exprimer, mais aussi pour susciter une loyauté immaculée (personne ne doit protester, encore moins contester) et une obéissance obligatoire : ne pas manifester, dans tous les cas, est la traduction la plus manifeste de cette stérilité démocratique. On ne saurait se réfugier dans la sottise de la malgouvernance et justifier les dérives dictatoriales telles que l’interdiction systématique des manifestations publiques, l’arrestation compulsive des manifestants pacifiques et les menaces ritualisées devant les médias d’État. Gouverner, dans ce cas, d’après nos dirigeants, c’est faire subir des actions d’inertie à un peuple miné.

ARGUMENT 2 : LE PEUPLE NE PEUT PAS VOUS AIMER MALGRÉ VOS BRUITS
Aucun amour ne peut lier un citoyen sain d’esprit à quelqu'un qui déborde de mauvaise foi, dont les intérêts partisans frisent l'orgie (la sorcellerie), quel qu’il soit, du pouvoir ou de l’opposition.

Plusieurs artifices sont ainsi mobilisés pour susciter, dans les cœurs insensibles des citoyens, une chimérique affection envers le pouvoir en place. Les médias sont occupés par des militants, chasseurs de prix, tous aussi hystériques les uns que les autres, pour déverser leurs pulsions morbides (on sent qu’ils veulent anéantir ou tuer) sur des auditeurs et téléspectateurs passifs, démoralisés, apeurés, résignés, finis. Les gars que le Comité central du RDPC envoie, tout comme certaines intelligences volcaniques provenant de l’opposition, ne veulent pas débattre ; ils veulent imposer le déraisonnement et la loi du plus fort (le gars du système, bien placé ou l’intouchable), le cynisme et les convictions politiques et idéologiques les plus réactionnaires dans l'unique but de renflouer leur compte en banque et leur prestige sans ressorts aux yeux de ses patrons politiques. Quelle affection, quel amour peut lier les citoyens à des gens si dépourvus de scrupule (qui ne reculent devant rien pour réaliser de criminels desseins) ?
Cette détestation (la colère qu’ils inspirent) n'est pas fondée sur le manque de maîtrise de soi, ni non plus sur l'excès d'intelligence, de connaissance ou de sagesse.

D'ailleurs, lorsqu'on torture, pille et exécute l'avenir commun, aucune sagesse ne fait le poids. Marx, Nietzsche, Nizan, Sartre et tous les théoriciens de la liberté humaine l'ont établi longtemps avant nous... Ce qui est précisément en cause, entre le peuple et ces « Messieurs » d’Étoudi, c'est leur mauvaise foi indécrottable (dont ils ne peuvent plus guérir), leur absence d'autocritique et leur méchanceté qui provoquent dans les tragédies que vivent leurs concitoyens. Cette attitude interpelle tout homme sain d’esprit et de goût.

ARGUMENT 3 : LE RÉGIME ACTUEL EST DISQUALIFIÉ POUR CONDUIRE NOS DESTINÉES
Le gouvernement parle de paix, de développement et de toutes ces notions si étrangères à notre quotidien, alors même que nos ministres sont, pour la plupart, incapables de témoigner de la moindre empathie à l’égard du peuple qui souffre et se meurt ; ils sont incapables de se faire une idée précise de la justice et de l’intérêt général.

L'unique condition pour sortir de cette impasse, c’est d’apprendre aux élites aux affaires et aux citoyens ordinaires la valeur humaine et ce que signifie vivre, en un mot, l'effort palpitant pour entretenir la flamme divine en soi. Tous les scrupules que l'on va brandir maintenant, pour contrecarrer cette prétendue insurrection, sous le prétexte qu'il ne faut pas remuer le couteau dans la plaie, ne servent strictement à rien. Il faut nous mettre la légèreté des uns et le cynisme des autres plein la vue, afin que l'on réfléchisse vraiment sur notre situation actuelle. Ce n'est pas en s'empêchant de réfléchir que ça va changer ; ce n’est pas en interdisant le changement que l’on va réussir à sécuriser un pouvoir économiquement stérile.
Bien au contraire, notre office est de faire voir, de faire sentir à tous, la nécessité de mettre un terme aux abus, aux excès de pouvoir, aux privations et autres souffrances inutiles qu’on inflige au peuple. Nous devons toujours avoir dans la bouche lorsque nous donnons des leçons de sagesse, dans les pieds lorsque nous marchons sur nos victimes, dans l'esprit lorsque nous dormons, dans l’affectivité lorsque nous apprécions le beau, cette saveur humaine qui met KO la barbarie et qui, en tous temps, défend et fructifie la vie sociale sur terre.

En dénudant symboliquement les injustes, les méchants et les cyniques (le goût de faire souffrir autrui en riant), ce n'est point pour les déshabiller ou les déshumaniser tout à fait ; c'est pour les contraindre au moins à porter un masque avenant (qui ne fait pas fuir) et une carapace moins lugubre, plus adaptée aux finesses, aux rondeurs suaves et aux délicatesses exquises qui comblent les cœurs aimants et qui pimentent la vie ordinaire.
Les dérives comportementales quotidiennes de nos dirigeants interpellent nécessairement tous ceux qui ont flirté avec la foi authentique, avec philosophie, ceux qui ont frôlé la corde raide des exercices de la critique de soi et du donné. Des fois, l’on pense qu'ils sont humainement immatures, c’est-à-dire qu’ils vieillissent sans mûrir.

Mais, même jusque-là, c'est une qualité qu’on leur attribuerait, si l'on examine plus avant leur indigestion réflexive. La vérité est qu’ils entretiennent la fierté d’avoir tué leur humanité dans les sectes et la sorcellerie, pour mieux s’assurer d’être sur le toit du monde. Ils entretiennent l’illusion d’être des demi-dieux, parce qu’ils croient, à tort, que gouverner c’est se faire en permanence violence pour ne pas satisfaire ses besoins naturelles ; que vivre c’est tuer le goût. Or, à force de regarder le précipice, on finit par être happé par l’abime. La couleur et l'odeur du sacré où l’on parvient dans les sciences, les arts et les lettres, la retenue, ce sont les teintes de nuance qui enveloppent le tragique de la vie. Il y a quelque chose d’insupportable à supporter la lumière, à moins de s’y habituer.

II/ ANTITHÈSE : UNE RÉVOLUTION EST INÉLUCTABLE AU CAMEROUN, MAIS SOUS CERTAINES CONDITIONS

Il n’y a point de changement de régime, de révolution, sans que des conditions préalables de délabrement social et de dérives autoritaires ne justifient cette évolution radicale. Au Cameroun, ces préalables sont réunis. Ce qui pose problème, ce n’est donc pas l’absence d’enjeux pour légitimer et impulser ces mutations décisives, mais plutôt la nature du mouvement en cours et l’identité et le parcours des acteurs qui revendiquent de conduire ce changement décisif de paradigme (argument 1) et les intentions qui les animent (argument 2).

ARGUMENT 1 : DES RÉVOLUTIONNAIRES AUX INTENTIONS PROBLÉMATIQUES

L’insurrection n’est pas une notion usuelle dans les démocraties modernes. L’avantage immédiat et prévisible de l’insurrection, c’est de dégarnir les prisons, qui vomissent ainsi dans l’espace public et dans les ménages leur cargaison de damnés (dans notre cas, des gens maudits par la loi et qui ont pillé plusieurs centaines de milliards d’argent du contribuable camerounais). La première conséquence d’une insurrection, aujourd’hui, au Cameroun, c’est la libération des prisonniers de luxe de Kondengui, dont beaucoup vont se retrouver à la tête des plus hautes institutions de la république. C’est pourquoi le discernement est indispensable à chaque citoyen. En effet, l’on doit se rappeler que nul ne peut prétendre conduire un peuple sans le décentrement de soi d’avec l’identité particulière et le destin singulier qui l’enracine en un lieu géographique du pays. Les leaders d’une révolution devraient se distinguer par leurs qualités d’hommes et leur parcours, au point d’incarner véritablement une nouvelle voie. Pour ce faire, il faut qu’ils coupent symboliquement, philosophiquement, affectivement, le cordon ombilical qui pousse viscéralement chacun de nous à privilégier nos préférences exclusives, les intérêts partisans des nôtres, les pressions du village, au détriment du bien-être de l’ensemble des populations du triangle national.

Pour prétendre conduire un peuple multi-ethnique, comme le nôtre, à réaliser ses plus hautes aspirations, il faut préalablement s’épier soi-même longuement, se presser soi-même, extraire tout le jus amer des préférences tribales, pour s’assurer qu’on a intériorisé des dispositions d’esprit altruiste, transtribales qui nous mettent à l’abri d’un soupçon du clanisme et du tribalisme ; il faut s’être élevé au niveau moral et patriotique supérieur et irréprochable qui frise le renoncement sacrificiel (se priver de tout au profit d’un frère ou d’une sœur d’espèce qu’on ne connaît pas). Car, faire la révolution, c’est instituer la loi authentique de la souveraineté du peuple réunit en cœur autour du feu de la construction de ses repères. Il faut par conséquent que les citoyens sachent distinguer, en tout temps et en toutes circonstances, les faux amis et les prétendus frères de ce qu'ils appellent le peuple , de peur d’embrasser un pyromane qui se fait passer pour un sapeur-pompier.
Ce à quoi nous assistons actuellement n’est pas de bonne augure (les gens qui s’agitent sous nos yeux et dans les médias sociaux, et qui se revendiquent du MRC, y compris son leader Maurice Kamto, n’ont pas toujours adopté cette posture transcendante qui force le respect et qui fait adhérer la majorité des citoyens au principe de la lutte d’émancipation, au-delà de l’appartenance tribale et des partis politiques, des convictions religieuses, de la langue, etc.

Lorsque la majorité de gens doutent fort de vous, même si leurs préjugés sont infondés, donnez-leur des gages suffisants d’ouverture, de confiance, de rectitude morale et de crédibilité politique, au lieu de les accabler de quolibets et d’insanités. Si un groupe socio-politique ne tend la main aux autres que pour exiger qu’ils rendent ce qui leur revient pourtant historiquement de droit, suivant un agenda dicté par de puissantes confréries, il est très peu prévisible que de tels acteurs réussissent à fédérer efficacement au-delà de leur cercle biologique et sociologique. Cette attitude dessert la cause commune de libération nationale.

Au final, l’arithmétique de la révolution n’est pas encore actée, mais elle se constitue inexorablement, à l’insu de la classe régnante qui s’est mise elle-même hors-jeu. Bientôt, le travail de conscientisation des masses fera en sorte qu’on ait, dans les mouvements de revendications ou de manifestations publiques, le rapport 1 policier/militaire ↔ 50 citoyens. Et le fruit sera mûr…

ARGUMENT 2 : L’INSURRECTION : LA CONSÉQUENCE DE LA PÉNALISATION DE LA RÉVOLUTION

Je reste, pour a part, opposé à la pénalisation de la révolution au Cameroun. Mais je sais que c’est de bonne guerre. Dans la Loi portant Code pénal, au Livre II, qui traite des « Crimes, des délits et des contraventions », indique en effet, Titre I, « Des crimes et des délits contre la chose publique », en son Chapitre I, « Des atteintes à la sécurité de l’État », et précisément à la Section II, « De la sûreté intérieure de l’État », le législateur énumère, comme crimes, la sécession, la guerre civile, la propagation de fausses nouvelles, la révolution, la bande armée et l’insurrection. Si le législateur a pris soin de préciser ce qu’il entend par arme, dans le crime de « bande armée », ce n’est pas le cas de la révolution, où il énonce, dans l’article 114 : « Est puni d’un emprisonnement à vie, celui qui tente par la violence, soit de modifier les lois constitutionnelles, soit de renverser les autorités politiques instituées par lesdites lois ou de les mettre dans l’impossibilité d’exercer leurs pouvoirs ». La nature de la violence inférée n’est pas spécifiée ; l’insurrection est confondue avec l’insurrection. C’est à dessein : le flou entretient la culpabilité.

Ceux qui défendent actuellement l’option de l’insurrection ont, eux-aussi, travaillé à museler le peuple dont ils feignent de prendre la défense aujourd’hui, puisqu’ils ont contribué, par leur expertise juridique, à la rédaction de cette loi portant code pénal au Cameroun. Cette duplicité devrait leur être fermement opposée. Car, le vide nébuleux qu’ils ont laissé au sujet des modalités de la violence permet d’élargir le spectre d’action incriminatoire du juge pour inclure toutes les contestations de l’ordre constitutionnel, que ce soient les appels à manifestations, les marches, les tracs, une rhétorique enflammée, etc. En termes simples, on entretient la confusion au sein des lois pour mettre facilement les gens en prison.

Toutes ces actions sont susceptibles de constituer une tentative d’insurrection – « celui qui tente », précise-t-on, sans dire l’identité de la tentation. Car, l’on sait qu’un écrit peut être d’une violence fort remarquable. En ce sens, le procureur de la République est fondé à faire arrêter même les acteurs des médias sociaux, sous le fallacieux prétexte de la révolution, et à les incriminer comme des « rebelles », en ce sens qu’aux termes de la loi, appeler le peuple à faire des marches peut constituer une tentative de « Révolution ». La conséquence immédiate de ce musèlement tous azimuts des populations, c’est le développement des logiques et mouvements insurrectionnels, notamment aux Nord-ouest et au Sud-ouest.
Voilà où nous en sommes à présent. Certes, on peut leur faire une concession de poids : « Dans le bilan d’une période historique, quelle qu’elle soit, il est quasi impossible de démêler ce qui relève du mérite du politique et ce qui est le fruit du travail des peuples ».

Mais le répit serait de courte durée, car les Camerounais avaient cru, dans leur grande majorité, que l’arrivée de Paul Biya au pouvoir marquerait le début d’une révolution dans le système néocolonial institué par le Président Ahidjo. Au terme de trente-huit ans au pouvoir, ils sont désillusionnés. Biya finit par éliminer tout espoir d’un renouveau radical : il pénalise la révolution ! Je me souviens de ce qu’à la fin de sa vie, Marcien Towa, mon maître, me parlait de son accession au pouvoir, en 1982, avec des yeux étincelants, mais avec un rictus de dépit au coin des lèvres. Le Renouveau, ce fut peut-être un gros malentendu, une équivoque fatidique qui s’est amplifié avec le 6 avril 1984. On est en droit de s’interroger sur ce quiproquo historique : le peuple avait-il espéré trop de Biya, en amplifiant ses qualités et le niveau d’enracinement de son éthique et de son patriotisme ? Se serait-on mal compris au départ ? Biya avait-il entendu ce que le peuple attendait, ou celui-ci avait-il espéré voir réalisé ce que leur Président n’avait pas entendu au départ, une entreprise dont il n’était pas capable ?

III/ SYNTHÈSE : L’HEURE EST ARRIVÉE : LES « PAUL BIYA » QUI GOUVERNENT SONT MIS EN DEMEURE DE TOUT RÉFORMER OU DE FINIR MAL

Mais il ne faut pas s’arrêter à cette impression amère. Encore faudrait-il interroger la fixation que certrains « révolutionnaires » font sur la personne de Paul Biya et sur le clan bulu (argument 1). Cela nous conduit à convoquer la figure tutélaire de Ruben Um Nyobe à l’appui de notre conviction selon laquelle nos hommes d’État devraient s’en inspirer (argument 2). Enfin, nous établirons en quoi l’heure de la révolution, qui a sonné, est le prélude à un deuil cathartique (argument 3).

ARGUMENT 1 : LE FAUX PROBLÈME DE LA PERSONNE DE PAUL BIYA ET DU CLAN BULU

Cela dit, il n’est pas vrai que pour se débarrasser du régime du Renouveau et de ses infirmités, pour transformer de manière révolutionnaire notre pays, il faille non seulement s’attaquer à la personne de Paul Biya et à sa famille, mais aussi vilipender des clans et des ethnies identifiées au préalable, notamment les « Bulu ». Ceux qui défendent cette position passent sous silence deux déterminants : d’une part, dans le gouvernement moderne le pouvoir n’est pas un attribut, une possession ou une énergie concentrée entre les mains d’un seul homme ou d’une seule élite. Gouverner consiste à consacrer une polyarchie , c’est-à-dire un éclatement du pôle décisionnaire. De nos jours, le souverain ne conçoit pas seul le projet de gouvernement. Il ne décide pas unilatéralement de la marche du pays. Il travaille plutôt à arbitrer aux cœurs d’une multitude d’acteurs, d’intérêts, de visions et de jeux d’influence qui s’enchevêtrent en permanence et constituent des tensions qui animent la vie du régime et les dynamiques (de stagnation ou d’évolution) économiques, sociales et culturelles qui conditionnent la prospérité nationale et le rayonnement international.

D’autre part, notre situation, en tant que nous sommes victimes du néocolonialisme, impose que ceux qui sont porteurs d’un discours décisif et d’une praxis politique alternative, outre le devoir républicain de percer l’enflure du moi, fournissent des réponses circonstanciées et des engagements fermes devant les défis majeurs dont dépendent nos libertés en tant que peuple, à savoir la dette coloniale, les accords économiques secrets avec l’ex-colonisateur, le franc CFA, etc. Ne pas se disposer publiquement à relever ces défis, à résoudre ces problèmes, se défausser devant ces préalables, c’est se disqualifier du même coup dans les starting-blocks d’où partiront les grands hommes, aux identités ethniques inassignables, qui conduiront l’exaltante tâche d’émancipation de notre peuple, parce qu’ils auront donné des garanties de leur crédibilité et de leur détermination à conduire tous les changements y afférents. Se contenter de dire que ceux qui sont au pouvoir sont étrangers aux doléances et aspirations du peuple ne suffit pas. Car, ainsi Marcien Towa l’avait établi en son temps : « faire la révolution ne peut plus signifier uniquement se débarrasser de l’étranger, mais également se transformer en profondeur : la révolution doit être en même temps auto-révolution ». Que ceux qui veulent conduire notre révolution trahissent donc leurs attachements tribaux et fourbissent leurs armes contre le néocolonialisme qui asphyxie nos économies.

Il y a pire : la ruse de l’histoire. Advenant la réussite du mouvement insurrectionnel, on sait ce qu’il adviendrait du Président Biya : il serait exécuté ; son corps serait traîné dans la boue et certains illuminés ne manqueraient même pas cette occasion pour bafouer sa dignité, comme ce fut le cas du colonel Mouammar Kadhafi, en Libye, en octobre 2011. L’on ne s’arrêterait pas devant ces horreurs : on pourrait détruire tout ce qui porte son empreinte, tout ce qui rappelle sa présence encombrante, pour mieux s’assurer qu’il ne puisse plus jamais survivre dans la mémoire collective. On irait si loin dans la bêtise qu’on pillerait et détruirait même les palais, les musées, comme dans l’ex-Zaïre de Mobutu Sese Seko.

La communauté internationale, avec ses tortionnaires et directeurs de conscience, la France et les États-Unis en tête, comprendrait d’ailleurs facilement que le peuple se soit vaillamment débarrassé d’un « encombrant » et « pire criminel » ; elle demanderait, complice, que les accords internationaux soient préservés, c’est-à-dire, en fait, qu’ils puissent continuer de piller en paix, de miner le développement du pays avec ses armes privilégiées, la dette, les accords économiques secrets, le franc CFA, etc. D’ailleurs, à la suite de cette rhétorique macabre, on pourra réaliser le film de cette chute brutale du régime ; des studios hollywoodiens ou de l’Hexagone pourrait immortaliser cette histoire délabrée à l’écran et la présenter au Festival de Cannes, dans la sélection des films étrangers, par exemple. Il pourrait remporter un grand prix. Surtout, une fois de plus, les Nègres pourraient présenter le spectacle de leur barbarie réputée à la face du monde entier ; ils démontreraient une fois encore, à la stupéfaction générale feinte, qu’ils sont, par essence, un amas d’émotions intarissables et que leur propre est d’assumer leur « mentalité prélogique ».

ARGUMENT 2 : NOS HOMMES D’ÉTAT DEVRAIENT S’INSPIRER DE LA POSTURE DE UM NYOBE
Le 13 septembre dernier, nous avons commémoré le soixante-deuxième anniversaire de la mort tragique de Ruben Um Nyobe, exécuté en 1958. Ce héros de la lutte contre le colonialisme est mort pour la cause de toutes les ethnies. Il a péri pour bénir toutes les descendances nationales et africaines. Sa disparition est donc une sanctification (elle nous purifie et nous régénère). Quiconque aspire à poursuivre la tâche suprême de conduite de nos précieuses destinées doit épouser les contours multicolores de l’identité multiethnique et multiculturelle qu’il a incarnée (c’est-à-dire apprendre à se sacrifier pour toutes les ethnies, pour toutes les cultures).

Les grands hommes d’État, qui se séparent d’eux-mêmes, par éthique, par patriotisme, pour muer en tout un chacun, ont ceci de particulier, comme Um Nyobe, qu’ils inventent l’avenir qui convient à la générosité intime qui les constitue. Ils brisent les chaînes de l’asservissement avec la puissance de l’altruisme, l’amour sacrificiel et désintéressé qu’ils portent à l’endroit de tous leurs compatriotes, sans distinction de tribu, de religion, d’idéologie, de langue, d’obédience religieuse, et envers tous les humains.

En somme, ils percent la nuit de la résignation et de la démoralisation au moyen d’impulsions inédites qu’ils impriment à la marche de la société toute entière. En ce sens, ils annoncent notre rédemption, malgré les pièges des temps présents. Ils font donc office d’éclaireurs : ils luttent, comme les grands poètes nègres du siècle passé, contre la préemption de notre humanité décrétée par le néocolonialisme. Leur sang noble se répand avec la clameur de l’espoir. Leur mort balise notre avenir, comme un hymne vivifiant :

Dans quelle source repimenter notre sang […]
Nous avons pleuré toute la nuit
L’étape a été longue
Et la perdrix a chanté timidement.
Dans un matin de brouillard
Chants illuminés de cataractes
d’espérance
Espérance d’une aurore aux dents
de balafons
Et la perdrix s’est tue
Car son chant s’est éteint dans
la gorge
D’un python.
Et le tam-tam s’est tu
Et le grelot n’a plus ri sur la jaune savane
Et le deuil a planté sa case dans la cour du village.
Sang ! Sang ! Sang !
Torrent de sang ! »
C’est en cela que consiste la force du mot Liberté pour lequel ils ont donné leur vie. Il résonne jusqu’aux moindres recoins de nos âmes meurtries. Il emprunte le caractère impérissable d’une déclamation poétique : on ne coupe pas un souffle de vie qui a renoncé à s’éteindre sous la contrainte organisée de la prévarication systématique (le fait de voler comme les souris), de la torture ou du cynisme.

ARGUMENT 3 : L’HEURE DE LA RÉVOLUTION ET LE DEUIL CATHARTIQUE (mourir en soi pour chasser le mauvais sort)

À la suite de ce poète, l’on peut soutenir que l’heure du grand changement a sonné, certes. Mais il y a eu un contretemps...
La hantise d’un Chef d’État lucide et prévenant, c’est de terminer son mandat par la débâcle des colères du peuple, l’émeute ou l’insurrection. La tragédie, pour un souverain fatigué, pour un régime vieillissant, c’est de n’avoir pour autre programme que de durer au pouvoir, de se pérenniser lâchement, vainement, inutilement aux affaires. On est par conséquent en droit d’opposer au pouvoir en place le défi de nous répondre : Qui, parmi vous, est la meilleure promesse des nouvelles générations et comment l’entretenez-vous ? Quelle est sa garantie d’épanouissement ? Où sont les portes du rêve et de l’action dans l’immense édifice technocratique momifié que vous vous êtes constitué depuis 1982 ?

Les élites qui nous gouvernent, tous ces Biya qui nous narguent, ainsi que tous les aspirants au suffrage universel, sont donc mis en demeure de révolutionner leur voir, leur dire et leur faire relatifs au fonctionnement de nos institutions, notre école, l’armée, la justice, l’hôpital, les travaux publics, les recrutements dans la fonction publique, l’audit de l’administration publique en somme. C’est de là que viendront les impulsions de la renaissance camerounaise et africaine ; ce sont des mutations qualitatives dans ces secteurs clés de la vie de la nation qui permettront aux pouvoirs en place de se maintenir ou de déraper dans l’anti-chambre de l’histoire. À leur intention, rappelons que le grand homme d’État est un intellectuel dans l’âme ; il inspire un légitime espoir : c’est l’homme de la nuance, du degré, de la qualité, de la vérité en soi, de la complexité. Il est par définition, par essence, antimanichéen.

Quant à nous, et plus que jamais, nous devons sortir du régime ambiant de castes de prébendiers (des pilleurs de la fortune publique) pour inscrire l’action publique dans le sens d’un empowerment des citoyens. Par ce mot d’empowerment ou émancipation, nous traduisons l’urgence de sauvegarder la préséance originelle du peuple sur les institutions. Le territoire et le peuple sont la condition de toute organisation étatique : dans la démocratie, le pouvoir politique en est une émanation. Nous ne pouvons pas nous contenter d’espérer ; il faut défier la désespérance imposée ; il faut supprimer toutes les désobligeances et forcer le destin figé devant le mur des chaînes qui nous retiennent captifs.

*Fridolin NKE,
Expert du discernement.

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