Micmacs sur la manne pétrolière
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Les déclarations de la redevance pétrolière du Cameroun varient d’un document officiel à l’autre, mettant en exergue des manipulations.

La cacophonie gouvernementale sur l’impact de la pandémie de Coronavirus sur les recettes pétrolières, observée il y a quelques semaines (voir notre édition 338 du 8 juin 2020), est loin d’être un épiphénomène. Elle concerne même le volume de la redevance pétrolière. Il s’agit de l’argent issu de la vente de la part de pétrole et de gaz produits au Cameroun et revenant à l’État après déduction des charges. C’est la Société nationale des hydrocarbures (SNH) qui est chargée de la collecter, la vendre sur le marché international, déduire les charges liées à ces opérations et transférer le reliquat à la direction générale du trésor et de la coopération financière et monétaire (DGTCFM) du ministère des Finances (Minfi).

Les déclarations de la redevance pétrolière varient en effet d’un document officiel à l’autre (voir tableau 1). Pour l’année 2016 par exemple, la SNH déclare, dans son rapport annuel, avoir vendu la part d’hydrocarbures revenant à l’État à 483,3 milliards de FCFA. Après avoir retranché les « dépenses pétrolières et gazières supportées (192,058 milliards) », elle affirme avoir transféré 291,2 milliards au Trésor public. Mais dans la loi de finances 2019, il est indiqué autre chose. Son annexe, contenant les prévisions de recette, chiffre la redevance pétrolière recouvrée en 2016 à 256 milliards, soit un gap de 35,2 milliards avec les déclarations contenues dans le rapport annuel de la SNH. Et de telles divergences s’observent sur plusieurs exercices.

Limites de l’ETIE

Ces chiffres sont par ailleurs différents de ceux transmis aux administrateurs indépendants (AI) en charge de la rédaction des rapports de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE). Selon le rapport ITIE 2016, l’entreprise publique chargée de gérer les intérêts de l’État dans le secteur des hydrocarbures a déclaré avoir plutôt transféré 316 milliards de FCFA au Trésor public contrairement au 291,2 milliards indiqués dans son rapport annuel. Et de son côté, le ministère des Finances a admis avoir reçu 316 milliards contre les 256 milliards mentionnés dans l’annexe de la loi de finances 2019.

Le rapport ITIE 2016 a pourtant conclu, « avec une assurance raisonnable », que les données reportées dans le son rapport sont « exhaustifs et fiables ». Cela ne veut pas pour autant dire que ces informations sont lavées de tout soupçon. Car le rapport ITIE se fait sur la base des déclarations des entreprises extractives et des entités publiques dont le cadre de contrôle et d’audit (CCA) reste « faible », selon le même document. Une position justifiée par le fait que « les normes internationales ne sont pas encore adoptées en matière de comptabilité publique » et « les règles comptables de l’Ohada, utilisées par les entreprises, sont différentes des normes IFRS (normes internationales d’informations financières destinées à standardiser la présentation des données comptables échangées au niveau international) ».

« Malgré une amélioration de la transparence dans les industries extractives, des lacunes considérables demeurent », soutient le Fonds monétaire international (FMI) dans un rapport datant de janvier 2019. « Des mesures correctives s’imposent dans plusieurs domaines, notamment la publication de données plus complètes sur les parts de l’État dans les entreprises extractives, les valeurs de production, la répartition des recettes des industries extractives dans le budget et hors du budget, les transferts infranationaux et les dépenses quasi-budgétaires », estime le FMI.

Caisse noire

En réalité, « tout l’argent issu de la vente de la part d’hydrocarbure revenant à l’État n’est pas transféré au Trésor public », murmure une source au Minfi. « C’est ce qui peut expliquer que la SNH projette une baisse des recettes pétrolières de 70% alors que la tendance au niveau international affiche une baisse de moins de 30% par rapport aux prévisions budgétaires initiales ». En effet, selon le ministère de l’Économie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire (Minepat), au cours des cinq premiers mois de l’année 2020, les cours du brut se situent en moyenne à 39,4 dollars le baril. Tenant compte d’un baril de brut initialement budgétisé à 54 dollars, les recettes devraient normalement baisser de 30%. Dans son ordonnance rectificative de la loi de finances 2020, le président de la République, Paul Biya, a finalement réduit les prévisions de recettes pétrolières de 40%.

« Une partie des recettes provenant de la part de pétrole de l’État est conservée dans des comptes de la SNH dans les banques, au Cameroun et à l’étranger », informe Jean-Marie Atangana Mebara (voir page suivante). Dans son ouvrage « Le Secrétaire général de la présidence de la République au Cameroun. Entre mythes, textes et réalités », cet ancien ministre d’Etat partage son expérience après quatre années (2002 et 2006) passées à la tête du secrétariat général de la présidence de la République du Cameroun et du conseil d’administration de la SNH.

Pour le haut commis de l’État, ces comptes, qui échappent à tout contrôle, seraient des « fonds de réserve » pour l’avenir et pour faire face à des situations « d’urgence ou de nécessité, non prévues dans le budget de l’État ». À titre d’illustration, selon l’hebdomadaire panafricain Jeune Afrique, les 31 millions de dollars (une vingtaine de milliards de FCFA) débloqués en 2001, pour financer l’achat d’un Boeing Business Jet au président de la République (le fameux Albatros), sont venus du compte de la SNH logé à BNP à Paris.

Dépenses de souveraineté

De l’aveu même du gouvernement, la pratique se poursuit jusqu’à ce jour. Selon les explications des autorités camerounaises contenues dans les rapports ITIE ou du FMI, les transferts de la SNH, encore appelés interventions de la SNH, à l’État sont de deux ordres : directs et indirects. Les transferts directs sont des virements mensuels sur le compte de la DGTCFM à la Banque des États de l’Afrique centrale et les transferts indirects sont des dépenses, non budgétisées, exécutées pour le compte de l’État par la SNH et reprises dans le budget à postériori. En 2016, les interventions directes de la SNH ont représenté près de 62% de la redevance pétrolière. Malgré l’insistance du FMI, le gouvernement a refusé de renoncer à ce mécanisme opaque, non prévu par la loi et en déphasage avec les principes de gestion des finances publiques. « Les interventions directes de la SNH font partie des dépenses du gouvernement.

Il s’agit de paiements d’urgence effectués par la SNH pour le compte du gouvernement essentiellement pour faire face à des dépenses exceptionnelles de souveraineté et de sécurité », justifie les autorités. Yaoundé s’est cependant engagée à réduire progressivement les transferts indirects à partir de 2017. Mais les limites fixées ont été respectées seulement en 2019 (voir tableau 2). Néanmoins, depuis 2018, « la totalité des recettes pétrolières ainsi que le montant des interventions directes sont désormais indiqués pour mémoire dans le tableau des opérations financières de l’État (TOFE), en sus du montant de la redevance », assure le FMI.

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