Le Conseil de l’ordre des avocats veut stopper les abus judiciaires
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L’organe dirigeant annonce le boycott des Palais de justice de l’ensemble du pays par les hommes en robe dans deux semaines pour protester contre des violations récurrentes des droits des avocats et ceux de leurs clients. Les raisons profondes d’un ras-lebol provoqué par des faits (gardés secrets par le Barreau) que Kalara dévoile.

Le Conseil de l’ordre des avocats vient de décider de «la suspension du port de la robe et de la non-fréquentation des cours et tribunaux sur toute l’étendue du territoire pendant cinq jours, du 16 au 20 septembre 2019». Le portail des camerounais de Belgique. C’est la résolution prise par l’organe dirigeant de la corporation à l’issue de sa session tenue en son siège à Yaoundé samedi dernier, 31 août 2019. Une session essentiellement consacrée à la gestion des questions des Droits de l’Homme. Le bâtonnier et douze de ses collaborateurs se sont déterminés autour de cette mesure à l’unanimité des membres présents à la rencontre. Deux membres du Conseil manquaient à l’appel, dont le secrétaire de l’ordre, Philippe Memong, en séjour privé à l’étranger, et l’un des chargés de mission, Me Ntoko Divine, endeuillé. Ils n’ont donc pas signé la résolution relative à cet appel à la grève, qui n’a pas tardé à faire le tour du monde via les réseaux sociaux.

Cela faisait quasiment 30 ans qu’une protestation du Barreau sous la forme du boycott direct et sans condition des Palais de justice n’avait pas été enregistrée. En 1990, suite à l’interpellation de Me Yondo Mandengue Black, ancien Bâtonnier de l’ordre alors suspecté de subversion (infraction bannie du Code pénal par la suite) en compagnie de quelques compagnons d’infortune tels Anicet Ekanè et Henriette Ekwé, l’équipe dirigée par Me Bernard Muna, Bâtonnier en poste à cette époque, avait obtenu le soulèvement des avocats pour la libération de leur emblématique aîné. Depuis, quelques soulèvements spontanés d’avocats ont souvent été observés ici et là (par exemple à Douala après la condamnation de Me Etienne Abessolo en 2010). Et certains appels à la grève assortis de conditions ont aussi été enregistrés, à l’image de la grève des avocats anglophones, en 2016, qui fut à l’origine du déclenchement de la crise anglophone en cours… L’équipe du Bâtonnier Tchakouté Patié a décidé de donner un vrai coup de pied dans la fourmilière.

Abus listés

L’équipe dirigeante du Barreau n’a pas dévoilé, dans le contenu de la résolution rendue publique pendant le week-end, les faits précis à l’origine de sa prise de position. Elle s’est contentée d’indiquer que cet appel à la grève était consécutif à l’examen du «point sur les questions relatives à l’entrave à l’exercice professionnel et aux atteintes physiques contre les avocats». Elle a constaté que «le libre accès des avocats à leurs clients dans les lieux de détention (Secrétariat d’Etat à la Défense, commissariat de police, brigades de gendarmerie et prison) leur est [très souvent] refusé». Et que «les droits de la défense consacrés par les lois et les traités internationaux ratifiés par le Cameroun sont, de manière très récurrente, violés tant à la phase d’enquête préliminaire qu’à celles d’instruction de jugement».

Ces violations ont été ensuite listées, toujours sans aucune indication sur les victimes éventuelles : audition et conduite des débats dans les langues autres que celles des personnes poursuivies ; comparution des détenus nus aux audiences publiques ; obtention des aveux par la torture et le dol ; détentions illégales ; transformation illégale des gardes à vue judiciaires et garde à vues administratives ; situations de maintien abusif en détention malgré les décisions de mise en liberté ; non-réponse à certaines requêtes des avocats ; refus de délivrer des décharges laissant traces écrites de correspondance. Le Conseil de l’ordre a aussi dénoncé les «lenteurs judiciaires inacceptables» du fait de l’accaparement des dossiers par certains chefs de juridiction, les interpellations et détentions arbitraires des avocats «dans l’exercice de leur ministère au sein de certaines unités de gendarmerie et de police», puis la «récurrence des violences physiques sur les avocats par les éléments de la force de l’ordre». Il a condamné, «une fois de plus», est-il précisé, «les entraves et violences physiques [décrites] contre les avocats ».

La litanie des dénonciations et l’appel à la suspension du port de la robe sont suivis, dans la résolution du Conseil de l’ordre, par l’annonce «d’autres mesures», s’il y a lieu… L’appel lancé par le Conseil de l’ordre, duquel il apparaît que les représentants de M. le Bâtonnier ont été instruis de veiller dans leurs territoires de compétence respectifs au respect de la résolution, produira probablement ses effets dans deux semaines. Si le mot d’ordre n’est pas levé d’ici là, il est attendu que les avocats désertent les prétoires dès le 16 septembre prochain, donc que les justiciables se retrouvent orphelins de leurs conseils sur l’ensemble du territoire pendant cinq jours. Certains procès concernant les crimes pourraient faire l’objet de renvois systématiques, la présence d’un avocat étant obligatoire lorsqu’un justiciable s’expose à une peine de prison à mort ou à une réclusion perpétuelle. Mais certaines personnes pourraient payer chere la note si elles sont privées de leurs conseils à des moments clés de certains procès dans le cas où les juges venaient à passer outre l’appel au boycott des audiences par les avocats.

Condamnations expéditives

Cette perspective laisse planer un doute sur le suivi systématique du mot d’ordre lancé par le Conseil de l’ordre par un corps qui ne manque pas de clivages internes et où les intérêts des membres ne sont pas toujours convergents. Par exemple, de nombreux avocats font l’essentiel de leurs chiffres en défendant l’Etat. Ils pourraient subir des pressions de ce seul fait. Sauf que la résolution du Conseil de l’ordre est prise dans un contexte politico-judiciaire particulier où les avocats ont l’impression d’avoir été relégués au rang de faire-valoir dans la société. De ce fait, la résolution de samedi dernier redonne déjà sa fierté aux avocats eux-mêmes, eux qui sont notamment de plus en plus à la merci des violences
de la part du premier homme en tenue venu. Eux, qui peuvent faire l’objet des condamnations expéditives, comme dans le cas de certains compagnons d’infortune de M. Ayuck Tabe, leader symbolique de la cause anglophone, frappés récemment d’une peine de prison à vie et d’une amende de 250 milliards de francs...

Quoi qu’il en soit à la fin, et même si le mot d’ordre venait à être levé dans l’intervalle, le gouvernement ayant largement le temps d’entrer en négociation pour obtenir au moins un sursis, la résolution du Conseil de l’ordre produit, dès sa mise en circulation, un impact psychologique important sur les pouvoirs publics dans un contexte où la qualité du service de la justice ne cesse d’être critiquée, notamment par certains acteurs politiques et de la société civile. Les constats faits par le Conseil de l’ordre sur les abus judiciaires et la dégradation de la situation des Droits de l’homme n’est pas pour embellir l’image du pays, qui est sur le ban de la Communauté internationale en la matière. Cette résolution va sans doute meubler de nombreux dossiers judiciaires instruits contre l’Etat du Cameroun sur la scène internationale ou régionale.

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