GESTION DES DENIERS PUBLICS : Comment l’enrichissement illicite est entretenu au Cameroun
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GESTION DES DENIERS PUBLICS : Comment l’enrichissement illicite est entretenu au Cameroun :: CAMEROON

Aucune loi ne réprime cet acte. En plus, les faits incriminant les personnes aujourd’hui condamnées ou interpellées sont généralement connus des autorités plusieurs années à l’avance.

La récente mise en détention provisoire de l’ex ministre des Transports, Edgard Alain Mebe Ngo’o, pour de présumées malversations financières du temps où il était membre du gouvernement, notamment, ministre de la Défense, remet au goût du jour, l’épineux problème de la déclaration des biens par des personnes qui occupent de hautes responsabilités au sein des institutions de notre pays, aux fins de prévenir l’enrichissement illicite.

Sous l’impulsion du Fonds monétaire international dans le cadre de l’accord triennal conclu avec le Cameroun en vue de redresser l’économie nationale, le pays a adopté le 11 juillet 2018, la loi portant code de transparence et de bonne gouvernance dans les finances publiques. Et l’article 51 de cette loi dispose que « les détenteurs de toute autorité publique, élus, membres du gouvernement ou hauts fonctionnaires, font une déclaration de leur patrimoine en début et fin de mandat ou de fonction. Une loi spécifique précise les conditions et le périmètre d’application de ce principe et définit les infractions et sanctions en cas d’enrichissement illicite. »

C’est que la déclaration des biens est prévue dans la constitution du Cameroun en son article 66. En 2006, une loi d’application a été votée. Mais jusqu’ici, elle n’a pas encore été promulguée par le président de la République. Du coup, les bases pour identifier un enrichissement illicite sont difficiles à établir. Dans une production scientifique publiée en 2015 sur la question, la secrétaire générale adjointe de Transparency Maroc, Michèle Zirari, écrit : « Pour que l’on puisse considérer un enrichissement comme une infraction il faut qu’il soit illicite. L'info claire et nette. Mais comment prouver l’illicéité ? Une telle preuve revient à démontrer l’acte illicite à l'origine de l'enrichissement, vol, escroquerie, abus de confiance, corruption, etc. Ceci enlève alors tout intérêt à la création d’une incrimination nouvelle puisque l’on se retrouve dans l’obligation de prouver une infraction qui existe déjà dans le code pénal. Dans ces conditions, on est amené à proposer comme définition d’une nouvelle infraction « un enrichissement trop rapide et difficile à expliquer » et reprendre la définition donnée par la convention des Nations Unies contre la corruption : une augmentation substantielle du patrimoine d’un agent public que celui-ci ne peut raisonnablement justifier par rapport à ses revenus légitimes. »

Pour la juriste, titulaire d’un doctorat en droit, « l’illicéité consisterait donc simplement dans le fait d’être dans l’impossibilité pour la personne poursuivie de prouver que sa fortune coïncide avec ses revenus. Une telle incrimination est-elle possible ? Le fait de conférer le caractère d’infraction pénale au comportement d’individus ne pouvant raisonnablement justifier la détention de biens par rapport à leurs revenus légitimes a suscité l’inquiétude de nombreux juristes et défenseurs des droits de l’Homme, pour lesquels une telle proposition est contraire au principe de présomption d’innocence. »

C’est justement à ce niveau que le débat achoppe au Cameroun. Lorsqu’il défendait la loi portant nouveau code pénal devant le Parlement en 2016, le ministre d’Etat, ministre de la Justice (Minjustice), Laurent Esso, se prononçant sur l’enrichissement illicite a fait savoir que « la présomption d’innocence est un principe intangible dans notre système de droit. On ne peut pas le remplacer par la présomption de culpabilité et l’introduire dans le code pénal. Ce n’est pas possible ».

Autrement dit, si l’enrichissement illicite était réprimé par la loi camerounaise, cela reviendrait à accuser des personnes et à leur demander d’apporter la preuve de leur innocence. Or pour le Garde des sceaux, « la charge de la preuve appartient à celui qui accuse. On ne peut pas dire à la partie qui est poursuivie, accuse-toi toi-même. Renverser la charge de preuve c’est créer des conditions qui rendraient difficile la vie en société, parce que tout le monde deviendrait suspect de tout. » Pour finir, Laurent Esso va proposer d’adopter une loi spéciale qui prend en charge le problème de manière spécifique. D’où l’article 51 de la loi du 11 juillet 2018, portant code de transparence et de bonne gouvernance dans les finances publiques.

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