REAJUSTEMENT : Ces décès qui appellent des changements dans la magistrature
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En six mois, quatre figures importantes de la magistrature ont tiré leur révérence. Parmi elles, M. Foumane Akame, le doyen du corps, qui était quasiment devenu le gourou de la maison, faisant d’ailleurs office de ministre de la Justice bis. Aujourd’hui, le vide laissé par les partants, s’il fait encore couler des larmes, ouvre la possibilité d’une gestion plus cohérente des services judiciaires, puisque le navire magistrature ne compte plus qu’un seul chef à bord, en dehors du président de la République. Décryptage.

On ne parlera plus de lui qu’au passé. M. Jean Foumane Akame, doyen des membres du Conseil constitutionnel décédé le 13 janvier 2019, a été accompagné samedi dernier à sa dernière demeure à Ndonkol. Les obsèques de celui qui était au moment de sa mort, à 82 ans, le doyen des magistrats en activité, referme quasiment la série la plus mortifère connue dans l’histoire de la haute magistrature camerounaise. Ouverte le 18 juillet 2018, avec le décès de Mme Josette Ripault Essomba, inspecteur général des services judiciaires depuis trente ans, qui faisait quasiment office de jumelle de M. Foumane Akame, cette triste série aura enregistré le départ brusque de M. Marc Ateba Ombala, le président de la chambre des comptes de la Cour suprême, au petit matin du 21 décembre 2018, mais aussi la mort dans un accident de circulation de M. Michel Mahouvé, le 2 janvier 2019. Ce dernier était à 61 ans le directeur des affaires non-répressives et du sceau au ministère de la Justice.

Ces quatre magistrats avaient tous atteint le sommet de la carrière, soit le 1er groupe des magistrats élevés à la hors hiérarchie. Et s’ils sont partis chacun dans une circonstance toute particulière et sur une période de six mois, ces départs ne semblent pas moins annoncer comme un profond changement dans la gestion de la magistrature, compte tenu des rôles et des influences de ces personnalités dans le fonctionnement de l’ensemble du corps. Tenez : pour avoir été conseiller technique à la présidence de la République pendant plus de 30 ans et patron à ce titre de la division des affaires judiciaires de la présidence de la République, le doyen Foumane Akame était pratiquement devenu une espèce de gourou pour la plupart de ses cadets. Il était devenu, sans aucun doute, l’homme le plus influent de la magistrature, surtout qu’il assurait le secrétariat du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) pendant cette même période. C’est une position qui lui aura permis de faire et de défaire des carrières.

Positionnement des frères…

Mme Josette Essomba n’a jamais eu le même pouvoir, mais elle n’en était pas très éloignée, pour avoir été pendant trente ans aussi inspecteur général des services judiciaires, c’est-à-dire la coordonnatrice de la police interne du ministère de la Justice. Celle qui traquait les fautes professionnelles et les abus supposés de ses pairs sur les justiciables. Elle a ainsi influencé des carrières, dans tous les sens du mot. A ce titre, elle était à la fois crainte et respectée. Elle jouait dans l’antichambre du Conseil supérieur de la magistrature. Et son origine française lui donnait une aura toute particulière. Ses cadets en service dans les juridictions autres que la Cour suprême savaient se mettre à carreau lorsque son opinion dans un dossier avait tout simplement été soupçonnée.

Et, dans les services centraux de la Chancellerie, elle inspirait la révérence à tous, excepté peutêtre le Garde des Sceaux. M. Marc Ateba Ombala a fait son parcours professionnel essentiellement dans les juridictions et parfois même à l’étranger. Il n’a jamais eu une position prégnante sur l’ensemble du corps. Mais, bien que respecté pour la grande idée qu’il se faisait du rôle du juge dans la société, idée qu’il s’efforçait à incarner de façon à apparaître comme un juge indépendant en dépit du contexte, celui qui fut pressenti pour incarner le pouvoir judiciaire était aussi curieusement un chef de clan. Originaire du département de la Lékié, l’un des plus gros pourvoyeurs d’hommes dans la magistrature camerounaise, il était devenu le porte-flambeau de son terroir.

Aux côtés de Mme Essomba, épouse de l’un de ses illustres ainés, il influençait alors certaines carrières. Il pouvait aider au positionnement d’un frère, forcément au détriment d’autres prétendants… Son glorieux cadet, M. Michel Mahouvé, a été dans la même posture, mais pour le compte des hommes de la côte, c’est-à-dire les «Sawa» de la magistrature. Sans doute le plus affable des quatre, mais aussi le plus jeune, il avait réussi à s’imposer comme l’un des principaux piliers de la Chancellerie du fait de sa personnalité aux apparences souples et de son intelligence assez fine. L'info claire et nette. Sa longévité dans les services centraux du ministère de la Justice où il a longtemps été directeur des droits de l’homme avant d’hériter du poste de directeur des affaires non-répressives et du sceau élargissait aussi sa connaissance de la maison. Son départ associé à celui de ses trois aînés ne peut rester sans impact.

Seul maître à bord…

Bien qu’il soit personnellement affecté par cette série noire, le ministre de la Justice se trouve (paradoxalement) renforcé par le vide laissé par les partants. C’est devenu très clairement le seul capitaine à bord du navire aujourd’hui. De fait. Même si son parcours politique personnel et sa relation avec le sommet de l’Etat en faisaient depuis longtemps un grand pilier du régime, M. Laurent Esso ne souffrait pas moins de la présence ombrageuse au moins de M. Jean Foumane Akame dans les cercles de décision de la magistrature. Le ministre d’Etat sait qu’en tant que « frère du berceau » du chef de l’Etat, le doyen des magistrats en activité avait des liens quasi-filiaux avec M. Paul Biya. Ce dernier influençait donc sensiblement le président de la République, se trouvant d’ailleurs dans son plus proche entourage. Etant lui-même magistrat de carrière et particulièrement respectueux de l’ancienneté dans le corps, le ministre de la Justice s’était fait à l’idée de partager son pouvoir de Garde des Sceaux avec son aîné dans la magistrature. Même son attitude vis-à-vis de Mme Essomba en était influencée. C’est une donne qui a changé aujourd’hui.

Dans les milieux judiciaires, d’ailleurs, des sources dignes de foi raconte que le ministre d’Etat a souvent souffert le martyr de voir certains de ses collaborateurs, notamment à la tête de certaines juridictions, obéir à quelqu’un d’autre qu’à lui, dans la gestion de certains dossiers judiciaires. Dans une impunité totale. Il s’est parfois heurté au « ministre de la Justice bis » dans la promotion, voire le déploiement de certains magistrats. L’existence officieuse d’un autre pôle de décision que lui de la magistrature a parfois donné lieu à des incohérences préjudiciables au bon fonctionnement du corps. Le non-respect de la pyramide des grades dans les attributions des fonctions dans un corps fortement hiérarchisé a donné lieu à des situations où plusieurs magistrats parmi les plus hauts gradés se retrouvaient à des postes de responsabilité jugé juteux dans des cours d’appel, alors que la Cour suprême recevait des magistrats moins gradés. Ce sont des situations qui devraient bientôt relever du passé, puisqu’il n’y aura visiblement plus qu’un seul responsable pour en répondre. A moins que la présidence de la République décide de créer la réplique d’un Jean Foumane Akame.

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