Ebolowa : Vivre sans eau potable
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Comment les populations se débrouillent.

Ange, une habitante du quartier Mekalat est très remontée ce samedi, 15 octobre 2016. « Pouvez-vous vous imaginez ? Ça fait près de deux mois que je n’ai plus d’eau », se plaint la jeune dame. « A la camerounaise des eaux, on m’a expliqué que c’est à cause des travaux effectués dans la ville pour la pose des tuyaux du futur château d’eau d’Ebolowa que nous vivons ce désagrément », raconte-elle d’un ton amer.

« Mais, tenez-vous tranquille,  chaque fin du mois, les agents de la camerounaise des eaux se pointent chez moi avec une facture, alors même que je n’ai rien consommée », relate-t-elle d’un air angoissé. Ange lance encore dépitée, « Ils expliquent que je dois néanmoins payer 2000 FCFA des frais d’entretien du compteur sinon ils vont le démonter ». Et avec un brin d’humour, elle ajoute, « Je leur aie donc répondu d’aller démonter le compteur, tout en leur proposant de l’argent de taxi pour cette tâche s’ils en avaient besoin ».

La jeune  dame résignée, conclut avec une mine de tristesse, « depuis lors, les agents de la camerounaise des eaux ne sont plus revenus et l’eau ne coule pas toujours dans les robinets de ma maison. J’ai fini par perdre espoir ».

Un kilomètre à pieds

Depuis trois mois, la ville d’Ebolowa n’est plus régulièrement approvisionnée en eau potable. Certains quartiers passent des semaines entières sans eau potable. Un vrai calvaire pour les habitants de la ville qui ne peuvent que tirer le diable par la queue. Ici, les populations se débrouillent comme elles peuvent. Selon qu’on est fortuné ou démunis. Eau minérale, eau du forage, eau des puits ou eau des pluies. Tout y passe. Ange est une opératrice économique, son époux Jérôme, est un militaire français.

Des revenus conséquents ! Elle peut donc se permettre le luxe de ne consommer que de l’eau minérale avec sa petite famille. Pour la lessive et le reste, elle se ravitaille au puits. Pas très grave. C’est de loin mieux que la situation des milliers d’autres habitants de la cité. Dans la ville d’Ebolowa, les ménages connaissent en effet des fortunes diverses. Selon qu’on est riche ou pauvre. Il y’a par exemple ceux qui parcourent chaque jour de longues distances à la recherche de quelques forages d’eau ouverts au public dans la ville et faire la queue pour puiser.

A pieds, à moto ou en voiture, des centaines de personnes se rendent ainsi chaque jour, à Don Bosco, au collège Bonneau, à l’école des infirmiers, à la mission catholique de Nko’ovos, à Florance hôtel, à la délégation régionale de la communication ou encore à la délégation régionale des forêts et de la faune pour s’approvisionner en eau potable. C’est le cas de Viviane Balong, élève, habitant le quartier New-Bell. Chaque soir au sortir des classes, la jeune fille se rend à l’hôtel Florance pour s’approvisionner en eau potable. Soit une distance d’un kilomètre environ. Elle s’y rend à pieds à l’aller et emprunte une moto au retour. Et  les incidents ne manquent pas. Les querelles aussi. Chacun voulant puiser le premier sans nécessairement tenir compte de l’ordre d’arrivée.

En 2015 par exemple, deux voisines du quartier Ekombité se sont retrouvées à la division régionale de la police judiciaire du Sud suite à une dispute d’eau au forage de l’école des infirmiers. L’une, arrivée la première au forage voulait puiser en premier lieu. L’autre ne l’entendant pas de cette oreille et se mit à insulter sa voisine. Blessée en son amour propre du fait des paroles offensantes de sa voisine, la victime porta plainte et les deux parties se retrouvèrent à la police.  

Latrines

Au quartier Bombay, certains  habitants consomment l’eau d’un puits situé en aval des latrines, faute de mieux. Ce lundi, 17 octobre 2016 vers 16h00, un enfant du quartier arrive et demande à boire. Catherine Mendoua Ako’o épouse Ngandji lui répond à haute voix, « viens boire mon fils ». Le garçon se dirige vers la dame. Elle tend un gobelet au garçon qui se sert aussitôt dans l’un des quatre récipients d’eau disposés sur le banc à l’entrée de la maison. Madame Ngandji est habituée à recevoir de telles demandes toute au long de la journée.

Et elle sait bien rendre ce service à son entourage. Ce qui lui vaut d’ailleurs, l’appellation affective de Mimi par les habitants du quartier. Quelques minutes plus tard, Nicole Ngbwa, une vendeuse de friperie au marché Oyenga (espace marchand situé non loin du quartier), arrive bouteille d’eau minérale vide en main. La jeune commerçante vient à son tour, s’approvisionner en eau pour sa consommation. Elle est également orientée vers les récipients remplis d’eau. Pendant qu’elle se sert, les deux dames qui semblent se connaître en profitent aussi pour deviser.

Eau de javel

Au même instant, survient un autre habitant du quartier. Le jeune homme muni d’un seau d’une contenance de 10 litres de couleur noir, se dirige vers le point d’eau. Comme une personne qui y a ses habitudes, sans mot dire, il y plonge le récipient et le retire aussitôt rempli. Au moment de sortir le seau, l’eau du puits se déverse sur les abords. Le puits de Madame Ngandji tire sa source au pied d’un avocatier, au milieu des maisons d’habitation. Tout autour du puits à ciel ouvert, poussent des herbes.

Du fait des va-et-vient des personnes qui viennent se ravitailler ici, l’eau se salit constamment par la boue et d’autres ordures que traînent les chaussures et sandales. C’est cette eau que les populations de Bombay et quelques commerçants du marché Oyenga consomment au quotidien, faute de mieux. 1000 FCFA par mois pour les familles qui ne participent pas à l’investissement humain mensuel afin d’aménager le puits. Ce lundi, 17 octobre 2016, plusieurs personnes n’habitant pas le quartier viennent également s’approvisionner ici.

Juliette Avomo, une  ménagère habitant le quartier Mekalat est arrivée sur motocycle pour puiser de l’eau au puits de Bombay. La dame se plaint du manque d’eau dans son quartier depuis une semaine. Un point d’eau que ne cesse de venter la propriétaire. La sexagénaire Catherine Mendoua Ako’o épouse Ngandji. Un legs de sa défunte mère, se rappelle-t-elle. « C’est l’eau que tout le quartier boit, sans problème de maladie. Le puits est bien entretenu et régulièrement aménagé », se félicite la propriétaire. Madame Ngandji essaie même de rassurer, « je verse souvent l’eau de javel pour désinfecter le puits et parfois je fais appel aux prêtres pour bénir l’eau ». « Pour moi, c’est la meilleure eau de la ville », se félicite encore madame Ngandji.

Un avis que ne partage toutefois pas Alex Akono, un étudiant de la faculté d’agronomie et des sciences agricoles (Fasa), filière eau, bois et environnement de l’antenne de l’université de Dschang à Ebolowa, habitant du quartier. Ce lundi, 17 octobre 2016 au quartier Bombay, l’étudiant fait en effet un constat inquiétant au sujet du puits de Catherine Mendoua Ako’o épouse Ngandji en ces termes, « les latrines sont en amont et le puits est en aval ». Très inquiétant pour la santé des riverains et toute autre personne qui consomme cette eau camer.be. D’où les plaintes de certains habitants du quartier Bombay, grands consommateurs de l’eau de ce puits. Honorine et sa famille, habitent le quartier et sont régulièrement malades et se plaignent, « à cause de cette eau du puits que nous buvons ici au quartier, nous souffrons régulièrement des maladies hydriques telles que les amibes, la typhoïde et la diarrhée. Mais nous n’avons pas de choix, nous sommes obligés de la consommer parce qu’il n’y’a pas une offre alternative ». Naomie Evina, une autre habitante de ce quartier a trouvé comme solution au problème d’eau de mauvaise qualité du quartier Bombay, le filtre à eau et l’eau de javel. L’enseignante des écoles normales des instituteurs de l’enseignement général (Enieg) trouve que c’est pour le moment, la seule solution alternative au luxe de la consommation au quotidien l’eau minérale. Astuce permettant d’échapper aux nombreuses maladies hydriques qui sévissent dans le quartier.

Maladies

A New-Bell, un autre quartier de la ville d’Ebolowa, Estelle Mefouman, 19 ans, locataire d’une chambre, sans emploi, s’active à la cuisine. Ce lundi, 17 octobre 2016, non loin du foyer de fortune à ciel ouvert, ruissellent dans les rigoles, des eaux usées d’une couleur noirâtre dégageant des odeurs nauséabondes. Cette eau souillée qui met tant les habitants du quartier mal à l’aise, « charrie aussi des excréments humains provenant des latrines inondées par les fortes pluies. D’où les mauvaises odeurs », se plaint Rodolphe Obama Eto, voisin d’Estelle, élève en classe de terminale au collège Bonneau d’Ebolowa.

Et comme si cela ne suffisait pas, « ces eaux usées et souillées s’introduisent dans les puits pendant les inondations provoquées par les fortes pluies. Or, c’est dans ces puits que la plupart des habitants ici se ravitaillent pour leur eau de consommation pendant les longues coupures d’eau dans la ville d’Ebolowa, surtout en saison sèche», déplore l’élève. D’où les maladies. Ici comme dans la plupart des quartiers de la ville, les maladies hydriques ne manquent pas du fait de la mauvaise qualité d’eau consommée par les populations du coin. Estelle Mefouman, énumère d’ailleurs quelques unes d’elles, les plus fréquentes, « les amibes, la fièvre typhoïde et la diarrhée ».

La jeune dame se plaint en outre que, « du fait de la mauvaise qualité d’eau consommée, nous tombons régulièrement malade». L’eau potable ici relèvant d’une vraie gageure. Il faut en effet faire la queue devant l’unique puits aménagé du quartier, n’offrant d’ailleurs aucune garantie. Ça, c’est en saison pluvieuse. Et en saison sèche, « l’accès à l’eau potable devient encore plus difficile. L’on peut alors parfois se contenter d’une bouteille d’eau potable à boire pendant un ou deux jours, à défaut de consommer l’eau du puits», regrette encore Rodolphe Obama Eto, voisin d’Estelle, élève en classe de terminale au collège Bonneau d’Ebolowa.   

Château d’eau

Les populations de la ville d’Ebolowa doivent encore patienter pour avoir de l’eau potable en permanence. Le chantier de construction du château d’eau de la ville est encore en cours. L’ouvrage dont les travaux de construction ont débuté en 2014, devait être livré en fin d’année 2015. Mais jusqu’à ce jour bien que les travaux se poursuivent encore. Le délai ayant été de 18 mois d’après les clauses du marché. Selon un responsable de PFEFFER, entreprise adjudicataire, la principale raison à l’origine du retard accusé dans l’exécution des travaux aura été le cimetière rencontré sur le site, derrière la colline de la prison centrale d’Ebolowa.

C’est ce qui aurait donc freiné l’avancée des travaux. Les responsables de l’entreprise PFEFFR ont donc écrit au préfet du département de la Mvila pour qu’une solution rapide soit trouvée à ce problème. Il était notamment question d’après Marcel Victor Mendel Nguangué, préfet du département de la Mvila, d’exhumer les ossements humains se trouvant sur le site et de les ré-inhumer dans des cercueils zingués. Mais cette option avait un coût très élevé, à en croire le préfet du département de la Mvila.

D’où le  plan B. Celui du contournement du cimetière. Ce qui expliquerait donc le retard qu’accuse actuellement l’entreprise adjudicataire dans l’exécution des travaux. Et partant, la livraison de l’ouvrage dans les délais afin que les populations de la ville d’Ebolowa aient enfin à leur disposition, de l’eau potable en permanence, en dépit des caprices de l’énergie électrique. Le projet de construction du château d’eau d’Ebolowa fait partie du deuxième lot du marché no 000309/C/Minmap/CCPMAI/ 2014 pour les travaux d’alimentation en eau potable de 18 centres secondaires du Cameroun. Le projet est financé par l’Etat du Cameroun et le Fond africain de développement (Fad).

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